Aujourd’hui je vous retrouve pour un exercice de revue de lecture. Plus précisément une analyse critique de l’ouvrage d’Irène Grojean. J’avais déjà fait une vidéo à ce sujet, mais puisqu’elle a mal vieilli, j’ai préféré vous en faire une version mise à jour.
C’est un collègue qui m’a parlé d’Irène Grosjean pour la première fois, celle que l’on présente comme la « papesse » de l’alimentation vivante. J’étais alors dans une démarche de reconversion professionnelle, et déjà très intéressée par la nutrition et d’autres outils dits « naturels » tels que les huiles essentielles. J’ai découvert la naturopathie à travers elle et c’est son discours qui m’a donné envie de me former à mon tour.
En découvrant le milieu de la naturopathie au fil des années, j’ai plongé dans un univers le plus souvent bienveillant, mais aussi propice à de nombreuses dérives. Et c’est une des raisons pour lesquelles je ne suis plus naturopathe aujourd’hui.
Avec le recul dont je fais preuve aujourd’hui, je voudrais donc vous livrer mon analyse du livre qu’Irene Grosjean a publié début 2019, dont j’ai la chance d’avoir entre les mains un exemplaire de la tout première édition. Car il semblerait que certains passages aient disparu des versions ultérieures…
1 – Sur l’absence de références sérieuses :
Je voudrais commencer par préciser que je partage avec Irène Grosjean l’idée phare de ses propos : l’alimentation et l’hygiène de vie sont des piliers importants de la santé. Mais cela n’est pas à proprement parlé une idée, c’est un fait. La qualité de l’alimentation, l’activité physique, la gestion du stress… sont autant de paramètres dont les études scientifiques ont démontré qu’ils ont une influence sur notre état de santé.
Et à ce titre, la première chose qui peut étonner quand on lit ce livre, c’est qu’il n’y a la référence à aucune étude scientifique. J’entends aucune étude scientifique publiée dans une revue à comité de lecture. Il y a bien dans la bibliographie quelques ouvrages qui ont été rédigés par des médecins, mais la plupart d’entre eux sont des personnes dont les propos suscitent l’indignation de la communauté scientifique. Et pour cause : leurs propos vont parfois à l’encontre du consensus scientifique et ne sont fondés sur aucune étude sérieuse… C’est à dire sur aucune étude dont la méthodologie est correcte, et/ou dont les travaux ont pu être reproduits par leurs collègues.
A défaut d’études scientifiques publiées dans des revues à comité de lecture, on trouve par contre dans la bibliographie des ouvrages plutôt ésotériques dont on en comprend pas bien, de prime abord, le lien avec la santé, l’alimentation ou l’hygiène de vie. Comme par exemple : « Conversation avec Dieu », « Le petit Prince », « Les quatre accords toltèques » ou encore « Comment passer commande auprès de l’univers » ou bien même « L’évangile essénien de la paix ».
Alors, ne pas mentionner de sources sérieuses ne signifie pas que le contenu est mauvais ou faux. Mais c’est un indicateur qui doit amener à faire preuve de méfiance et à redoubler d’esprit critique… particulièrement lorsque l’on aborde des sujets aussi concrets que l’alimentation et l’hygiène de vie, qui font l’objet d’innombrables études sérieuses.
2 – Sur les lois naturelles / lois divines / lois de la vie
Dans ce livre, le lien entre l’alimentation et la santé n’est pas présenté comme une donnée concrète telle qu’elle a largement été étudiée.
Irène Grosjean présente plutôt un lien de causalité étroit entre nos choix alimentaires respectueux de lois naturelles et divines et la longueur d’ondes que nos cellules peuvent atteindre pour nous permettre d’accéder à la santé, au bonheur et à l’amour.
« Ce système que nous avons appelé Esprit et dit « divin » ou « de vie », lorsque nos chères petites cellules sont capables d’atteindre la longueur d’ondes la plus élevée. Cette longueur d’ondes qui véhicule les idées qui seront d’autant plus claires, plus précises et plus constructives que nos cellules sont bien oxygénées, bien alimentées, et qu’elles baignent dans un milieu au moins propre à défaut d’être pur. Les idées que nous avons qualifiées de démentielles ou démoniaques lorsque nos cellules affaiblies, asphyxiées, carencées et empoisonnées ne peuvent se relier qu’aux seules fréquences qu’elles peuvent atteindre, les plus basses. »
La mesure des longueurs d’ondes relève du domaine très concret de la physique. Mais lorsque j’ai fait une recherche parmi les publications scientifiques, je n’ai pourtant trouvé aucune étude mesurant la longueur d’ondes des cellules humaines en lien avec l’alimentation ou l’hygiène de vie. Donc aucun fondement concret à cette théorie.
Mais Irène Grosjean tente de donner du crédit à sa théorie en affirmant qu’il n’existe pas de moyen technique permettant, pour l’instant, de réaliser les mesures nécessaires.
« A l’heure de la technique où nous sommes, comment ne pas rêver d’un appareil qui nous indiquera, comme pour toutes les mesures d’ondes existantes, qu’il faut absolument être reliés à des fréquences basses et destructrices pour commettre toutes ces inepties, folies, violences et lâchetés que nous commettons ? »
Les fondements de l’approche d’Irène Grosjean, ce sont donc les strictes lois divines, dites également lois naturelles ou lois de la vie.
« Les lois de la vie sont immuables et éternelles, et rien ne pourra les supprimer ou les modifier… »
« Les lois fondamentales de la vie ne sont pas négociables. »
3 – Sur la culpabilisation :
Et cet ouvrage, il est plein de promesses : retrouver l’énergie, la santé, développer ses performances, rajeunir,… mais cet ouvrage est aussi plein de culpabilisation.
Sur le corps : « […] il sera une merveilleux compagnon toujours prêt à nous servir si nous savons le traiter comme il doit l’être, et un maître tyrannique et exigeant s’il ne l’est pas. »
« D’où l’intérêt fondamental de retrouver et respecter ces quatre lois de base de notre fonctionnement qui feront de nous un heureux co-créateur de nous-même et de l’univers, si elles sont respectées… Et un mal-heureux destructeur de nous-même et de l’univers, si elles ne le sont pas. »
« […] nous ne sommes pas malades par hasard ou à cause des microbes, des virus, du froid, du chaud, d’un choc ou de toute autre raison apparente. Mais parce que nous avons fait mal-à-di-e, ou plus exactement mal-à-Dieu, à la vie et à ses lois. Ses lois qu’il nous suffit de retrouver et de mettre en application pour gai-rire […] »
« Toutes nos souffrances et maladies n’étant en rien le fruit de la malchance ou de la fatalité, mais celui de nos erreurs de tout ordre […] »
« Le cancer, comme toutes les maladies, étant et n’étant que le fruit de nos multiples erreurs. »
« Comme vous le savez maintenant, si nous sommes les seuls artisans de nos souffrances et de nos maladies, c’est que nous sommes aussi les seuls artisans de notre santé et de notre bonheur. »
Le ton est donné dès la toute première page : nous avons le choix d’être en bonne santé ou pas.
A d’innombrables reprises, Irène Grosjean indique de manière très directe (ou de manière plus subtile) que nous seul.e.s avons la responsabilité de notre état de santé ; que si nous sommes malades, c’est notre choix de l’être, c’est notre volonté en quelque sorte. Ce qui est très injuste, et surtout très faux.
D’une part car il existe de nombreux autres paramètres que l’alimentation et l’hygiène de vie qui entrent en compte dans notre état de santé, et sur lesquels nous n’avons pas ou peu d’influence : des prédispositions ou un héritage génétiques, l’environnement de notre lieu de vie ou de travail, des causes accidentelles, des causes infectieuses, des événements de vie traumatisants et tant d’autres facteurs…
Mais aussi parce que, même en terme d’alimentation et d’hygiène de vie, il est illusoire de penser que nous avons toujours le choix. Certaines personnes par exemple n’ont pas les connaissances leur permettant d’avoir une alimentation équilibrée, d’autres sont des dans difficultés matérielles ou financières qui limitent fortement leurs possibilités en la matière. D’autres encore sont dans une dépendance ou des troubles qui les empêchent de prendre pour elles-mêmes les meilleures décisions.
Cette culpabilisation me semble donc à la fois injustifiée et injuste. Une telle posture est même élitiste en ce qu’elle ne peut être adoptée que par des personnes qui sont à la fois en bonne santé et à l’abri du besoin.
Pourtant Irène Grosjean multiplie les exemples culpabilisants de personnes n’ayant pas retrouvé la santé car n’ayant pas mis en application pendant assez longtemps ses recommandations, ou bien de personnes que ses recommandations n’ont pas pu aider parce qu’elles avaient choisi, avant d’arriver à elle, de recourir à des traitements médicamenteux ou à des interventions chirurgicales.
4 – Sur l’appel à la nature
« La nature nous a tout donné pour faire de chacun de nous un être plein de santé, heureux, créatif et co-créateur de l’univers […] »
« N’y a-t-il pas de quoi méditer sur la simplicité merveilleuse des moyens que nous offre la Nature ? »
« Il est facile de se rendre compte qu’il n’y a pas plus d’épileptiques que d’obèses chez les animaux sauvages, pas plus d’ailleurs que chez les êtres qui vivent en conformité avec la nature. »
« Sentant grandir en moi une révolte sans nom, je pensais qu’il fallait vraiment qu’ « Il » soit malin pour avoir réussi à nous faire croire que ces choses aussi anti-naturelles pouvaient nous guérir. »
Autre point que je voulais aborder : les appels à la nature qui foisonnent dans cet ouvrage. Le postulat est simple : si c’est naturel, c’est forcément bon. Il conviendrait donc de respecter ce qu’Irène Grosjean nomme les « lois de la nature » et de se tenir à distance de ce qui n’est pas naturel.
Or, le concept même de « naturel » est impossible à définir. Si une plante sauvage est communément admise comme naturelle, un légume cultivé l’est-il encore ? Des légumes cultivés, cuisinés et assaisonnés sont-ils encore naturels ?
Et des légumes qui ont été acheminés en camion jusqu’au magasin qui les commercialisent : sont-ils encore naturels ? Que penser de ces aliments qui ont traversé les continents et les océans pour arriver dans nos commerces ? (cacao, noix de coco, noix de cajou, banane…). Naturels ou pas ?
Il est probable que vous vous teniez derrière un écran à m’écouter tenir ces propos, que vous soyez habillé.e.s (possiblement), que vous utilisiez un moyen de chauffer l’endroit où vous êtes installé.e, que vous ayez pris (plus ou moins récemment) une douche chaude. Tout cela est-il bien naturel ? Où est la limite ? Qui décide de cela ?
Mais cela n’est pas le plus important en la matière. Car s’il faut bien garder une chose en tête, c’est que le caractère naturel de quelque chose ne présume en rien de son effet bénéfique sur nous. J’en veux pour preuve les innombrables poisons que l’on trouve à l’état sauvage « naturel » (la ciguë, le muguet, les amanites phalloïdes, le laurier rose, la belladone…pour n’en citer que quelques uns)
5 – Sur les analogies douteuses :
J’aimerais ensuite insister sur plusieurs analogies qui illustrent maladroitement les propos d’Irène Grosjean. Je voudrais vous en citer quelques unes.
- Au sujet de l’influence de l’alimentation sur le comportement des humains, Irène établit un lien pour le moins osé entre l’alimentation des soldats nazis et miliciens rwandais et … la guerre et les génocides.
« Je suis persuadée que si les allemands n’avaient pas été nourris de bières et de charcuteries comme ils l’ont été, ils n’auraient jamais pu faire ce qu’ils ont fait pendant la dernière guerre mondiale » (point Godwin!)
« Dans le même ordre d’idées, il serait sûrement utile de se demander qu’elle est la nourriture des peuples qui ont commis ou qui commettent des génocides. N’est-ce pas au Rwanda qu’il y a eu un génocide terrible dans les dernières années ? Une émission télévisée disant que ce peuple en état de famine, tenait avec des plantes hallucinogènes. Raison plus que suffisante pour que ces êtres soient devenus aussi fous et sanguinaires. »
« Je comprends que cela puisse vous paraître complètement fou ou utopique de prétendre que tous nos conflits, toutes nos guerres, toutes nos pénuries, toutes nos souffrances et toutes nos maladies ne sont que les produits de nos erreurs alimentaires et de la toxémie qu’elles ont engendrées. Il suffit de le pratiquer pour le comprendre »
Comment est-il possible d’établir ainsi un lien de causalité entre les aliments cités et les comportements meurtriers ? Cette logique fallacieuse est plus connue sous le nom d’effet cigogne, en référence à l’exemple cité dans la vidéo que je mets en lien en fin d’article : on remarque en Alsace que les villes qui ont le plus de cigognes sur leur toits sont celles qui ont le plus grand nombre de bébés. On pourrait en conclure un lien de causalité : ce sont donc bien les cigognes qui portent les bébés ! Mais la réalité est toute autre : dans les grandes villes, il y a plus de toits donc plus de cigognes, et dans le même temps dans les grandes villes la population est plus importante donc il y a plus de bébés.
Impossible donc de conclure sans plus d’éléments que la charcuterie est une des causes des comportements meurtriers nazis…
- Sur les bienfaits de l’alimentation crue et la nocivité des aliments cuits qualifiés d’aliments morts, les comparaisons ne sont pas plus pertinentes : Irène Grosjean précise par exemple que les baleines et les pingouins ne font pas cuire leur soupe pour la manger chaude…
« Car si l’on en croit nos sacro-saintes habitudes, au pôle Nord, les baleines et les pingouins devraient cuire leur soupe et la manger chaude pour se réchauffer. Pour quoi ne le font-il pas ? Sinon parce que leur instinct sait pertinemment que la cuisson détruire l’énergie dont ils ont besoin. »
Mais que disent les comportements des autres espèces sur ce que devraient faire ou pas les humain.e.s ? Devrions-nous manger nos crottes parce que certains animaux le font ? Devrions nous dévorer nos partenaires sexuels après avoir copulé parce que certains animaux le font ? Devrions nous séduire notre partenaire en urinant sur son visage, comme le font certains animaux ?
Cela vous paraît sûrement absurde. Cela ne l’est pourtant pas plus que de comparer notre alimentation à celle d’autres animaux.
- Et dans la lignée des comparaisons et associations étranges, on note aussi que l’argumentaire en faveur de l’alimentation végétale crue est basé … sur des extraits des manuscrits de la Mer Morte qui seraient tirés des archives du Vatican.
6 – Sur les référence religieuses et la binarité
Ce qui m’amène à aborder le point suivant de mon analyse. L’ouvrage d’Irène Grosjean regorge en effet d’un vocabulaire religieux abondant et très imagé. Mais aussi très binaire : c’est soit bien, soit mal, soit divin, soit démoniaque. Cette binarité contribue à faire des généralités simplistes qui ne recouvrent pas la réalité de la diversité et des nuances propres à chaque situation individuelle. Cela accentue aussi la culpabilisation de son discours : c’est soit parfait, soit nul…
Avoir des croyances religieuses est tout à fait acceptable bien sûr. Mais pourquoi s’en servir de référence pour des recommandations d’alimentation plutôt que de se fier aux innombrables études sérieuses qui ont été faites sur le sujet ?
« Donnez leur de la viande, du sucre industriel, du thé, du café et de l’alcool et ils connaîtront tous les troubles et maladies que nous connaissons. A peu de chose près, ces éléments apparemment anodins, ne seraient-ils pas les mêmes que ceux qui agissaient déjà sur les pauvres cellules de ceux que l’on a dit « possédés » il y a plus de 2000 ans et que Jésus a soigné et guéri par le jeûne, les lavements et la prière ? »
Irène Grosjean assure aussi avoir fait devenir ou redevenir hétérosexuelles des personnes homosexuelles avec ses « traitements », ce qui n’est pas sans rappeler les thérapies de conversion qui sévissent encore tristement dans les milieux religieux les plus conservateurs. Il est toujours bon de rappeler à ce titre que l’homosexualité n’est ni un choix ni une pathologie. Il s’agit simplement d’une orientation sexuelle, qui n’est d’ailleurs pas propre à l’espèce humaine.
« Grande fût ma surprise encore de constater avec les cinq couples d’hétérosexuels que j’ai traités pour de troubles de santé différents, que neuf personnes sur dix, étaient, après deux ans de traitement, devenues ou redevenues hétérosexuelles. »
Pour accompagner ces propos homophobes, quelques perles sexistes se sont également glissées dans l’ouvrage.
« […] ce fameux gâteau qu’un certain dimanche, j’avais acheté pour recevoir une amie médecin qui sur mes conseils, avait réussit à remplacer les pantalons destinés à cacher ses horribles varices par des jupes tout de même plus féminines. »
« L’exercice bien fait doit masculiniser les hommes en les musclant et féminiser les femmes en les galbant et les embellissant. On pourrait dire que le corps de la femme qui se forme et se déforme plus vite que celui de l’homme, est d’argile, et que celui de l’homme est de bronze. »
« La femme n’a pas besoin d’haltères qui ne conviennent pas à sa physiologie et la virilisent, mais d’exercices d’assouplissement. […] La vitesse et la détente s’obtiennent par la course rapide. Ces qualités sont plus intéressantes pour l’homme que pour la femme. […] La résistance est essentiellement masculine et s’obtient par la course de fonds, les longs parcours à bicyclette ou la travail à la gueuse. […] La souplesse est un qualité des deux sexes, et plus particulièrement féminine. »
7 – Sur l’appel à l’ancienneté / à la tradition :
Autre point important de cet ouvrage : la récurrence des références traditionnelles ou anciennes.
Que ce soit en rappelant la « sagesse » qu’elle tirerait de ses 60 années de pratique, en se référant aux « anciens », aux médecines « traditionnelles » ancestrales (chinoise, grecque, amérindienne, romaine ou égyptienne), en se référant aux vieux médecins, au vieux curé, à de vieux dictons – bref, en se référant à de vieilles choses – Irène Grosjean multiplie les appels à l’ancienneté et à la tradition.
Cette argumentation est fallacieuse en ce qu’elle présume que l’ancienneté d’une idée ou d’une pratique étaye sa véracité. C’est le fameux argument qui consiste à dire qu’une pratique est juste parce « l’on a toujours fait comme ça », parce que « c’était mieux avant ».
Fort heureusement, nous sommes capables de remettre en cause des pratiques et idées en nous adaptant aux connaissances qui évoluent avec le temps. Ainsi, nous avons pu laisser tomber les théories qui ont prévalu à une époque, comme celle affirmant que la Terre était plate ou bien encore que le Soleil tournait autour du Terre.
En matière de santé, nous avons par exemple conservé et amélioré de nombreuses pratiques et outils qui ont été développés parfois dès l’antiquité. Mais nous avons dans le même temps mis à jours nos pratiques en abandonnant les pratiques traditionnelles inutiles, contre-productives ou dangereuses qu’étaient les saignées, la trépanation, les remèdes gynécologiques à base d’excréments d’animaux, les vermifuges à base de mercure, les compresses de sang menstruel… entre autres choses.
8 – Sur les bienfaits de la maladie et les purges :
Cette approche qui emprunte ses fondements à des croyances religieuses et aux pratiques médicales de l’antiquité, lui fait concevoir la maladie comme une chose très positive, ne devant pas être enrayée par les traitements médicamenteux car indispensable à l’élimination de prétendues toxines.
« Grâce à ce précieux et de plus en plus rare privilège [disposer d’une solide constitution], nous avons toutes les chances de faire de violentes et même de très violentes crises d’élimination, que nous avons appelées maladies. Ces crises ou maladies que nos aïeux beaucoup plus solides que nous, ont faites à travers la peste et le choléra dont le rôle était de le libérer des résidus de farines et de cochonnailles dont ils étaient particulièrement nourris. »
« Les rhumes et bronchites de nos petits sont des crises d’élimination nécessaires à l’expulsion de leurs glaires et viscosités, et leurs maladies rouges, leurs otites et leurs fièvres sont des crises chargées d’éliminer leur surcharge acide. »
« Car les crises ou maladies soignées « bien soignées » au sens où l’entend la médecine peuvent faire d’énormes ravages. »
« Mais n’est-ce pas dans les pays dits sous-développés que les laboratoires de nos pays civilisés ont « généreusement » offert le vaccin de l’hépatite, qui avait comme seul objectif de les priver de ces précieuses crises qui, même si elles n’avaient rien d’agréables, avaient l’avantage de les libérer de leurs glaires excédentaires ? »
Ainsi Irène Grosjean défend l’idée que les purges sont des traitements indispensables à la santé, en faisant allusion à la notion religieuse de « purgatoire », passage obligé pour se rendre au paradis.
« Si comme moi vous êtes allée au catéchisme lorsque vous étiez enfant, comme moi vous avez peut-être appris que pour sortir de l’enfer et aller au paradis, il fallait passer par le purgatoire. […] D’où l’intérêt de nettoyer nos humeurs, autrement dit de passer par le purgatoire en nous purgeant. »
Les fondements de l’utilité des purges avancés par Irène Grosjean sont les pratiques traditionnelles des indiens d’Amériques (avec leurs cérémonies religieuses impliquant des plantes purgatives supposées les aider à rester en bonne santé et à restés reliés au « Grand Esprit »), ainsi que le recours de certains animaux à la consommation de plantes pour se purger.
Elle vante particulièrement les mérites de purges régulières à l’huile de ricin, qui seraient bénéfiques quasi-instantanément … et sur à peu près tous les maux : du rhume aux tumeurs, en passant par les angoisses… Ça semblerait presque magique !
« L’huile de ricin est utilisée depuis la nuit des temps pour décoller et expectorer les glaires et mucosités qui sont à l’origine de tous les rhumes, sinusites, bronchites, asthme, angoisses, idées noires et maladies et troubles pénibles et gênants et non douloureux… et aussi les tumeurs… »
Pourtant, si l’huile de ricin est effectivement utilisée par voie orale de manière traditionnelle pour divers problèmes de santé (notamment comme laxatif ou pour provoquer les accouchements), aucune étude n’indique que d’y recourir de manière régulière présente un quelconque intérêt. Il faudrait au contraire ne pas en abuser, notamment en raison de sa toxicité et de son effet abortif.
Il me semble que cette obsession pour la purge, pour le nettoyage profond, voire même la purification pourrait-on dire, a plus à voir avec l’idée d’une forme de pureté religieuse qu’avec une réelle nécessité physiologique.
8 – Sur les « constitutions » :
J’avais ensuite envie de vous parler des fameuses « constitutions ». Sur plusieurs pages, Irène nous indique que nos narines, nos yeux, nos lèvres, notre corpulence… seraient des indicateurs de notre « constitution », de nos aptitudes digestives, des maladies auxquelles nous serions prédisposé.e.s, de notre tempérament émotionnel et psychologique.
Ces constitutions font écho à aux constitutions et tempéraments élaborés par Hippocrate, il y a environ 2500 ans donc. Tout cela emprunte aussi à la morphopsychologie, discipline héritière de la plus ancienne physiognomonie. Théories qui, bien que n’ayant jamais apporté de preuve tangible de leur fondement ou de leur véracité, continuent à influencer certaines pratiques, y compris (et surtout peut-être) les pseudo-médecines.
Ces approches faisant un lien douteux entre l’apparence physique d’une personne et ses traits de personnalité ne sont pas sans rappeler les théories racistes et xénophobes basées sur les mêmes fondements…
Quoi qu’il en soit, les « constitutions », « tempéraments » et autres « diathèses » n’ont pas apporté plus de preuve de leur fondement et de leur réalité.
9 – Sur la médecine :
Au sujet de la médecine, Irène Grosjean dénonce une approche très symptomatique, le rôle mineur de la prévention en terme de santé et la vision parctielle de la santé qu’ont de nombreux spécialistes…
Elle critique aussi vivement le système de la sécurité sociale.
Et selon elle, les traitements médicamenteux qui guérissent les enfants de leurs maladies infantiles sont la cause de la plupart des infirmités que l’on dit de naissance et de l’autisme.
Si elle rappelle par moments que des traitements médicamenteux vitaux sont nécessaires, elle a tout de même tendance à dénigrer bon nombre de traitements et chirurgies, les vaccins, les radio et chimiothérapies contre les cancers, mais aussi le traitement du VIH. Comme évoqué précédemment, elle évoque par exemple le cas de personnes que ses recommandations n’ont pas pu aider parce qu’elles avaient choisi, avant d’arriver à elle, de recourir à des traitements médicamenteux ou à des interventions chirurgicales.
« […] jusqu’au jour où un examen médical lui révéla qu’il été porteur du VIH. Choc évidemment ! Heureusement pour lui, sa solide constitution ayant préservé une partie de son instinct, il refusa toute médication. »
10 – Sur le VIH et le SIDA :
A ce sujet justement, le chapitre sur le SIDA est très confus. J’ai eu de grandes difficultés à comprendre l’enchaînement des idées qui se succèdent et semblent sans lien entre elles.
Irène Grosjean présente notamment le cas d’une personne sidéenne qu’elle aurait accompagnée et aidée à guérir, avec des recommandations alimentaires de graines germées, fruits et crudités, avec le concours de purges régulières. Selon elle, le SIDA n’est pas tant imputable au virus VIH qu’à la toxémie de la personne qui favorise son installation.
Et dans la foulée, elle évoque des travaux scientifiques qui auraient prouvé que le VIH est une création issue d’un laboratoire de recherche « par le biais des essais de vaccinations contre l’hépatite B sur les homosexuels. ». Ce virus ayant ensuite été propagé en Afrique du fait des campagnes de vaccinations contre la variole, de manière volontaire, à la demande de l’OMS.
Elle évoque également des travaux qui concluent que le VIH est une forme de leucémie et établit des liens plutôt confus entre le développement de l’épidémie de VIH et les cancers. En concluant qu’il relève de notre choix d’en être atteint ou pas.
« D’où le double échec de la prévention et du traitement médical du cancer. Échec ? Mais pour qui sinon pour les malades, dont nous avons le choix d’être ou de ne pas être. »
Sur ce sujet, Irène Grosjean présente ce qui ressemble étrangement à un mélange plus ou moins subtil de diverses théories du complot élaborées autour du VIH, aucunes d’entre elles n’ayant fait l’objet de preuves tangibles.
11 – Sur les vaccins :
Au sujet des vaccins, ce n’est pas beaucoup mieux : Irène Grosjean manifeste une forte opposition à la vaccination.
La vaccination empêcherait aux enfants d’éliminer, grâce aux maladies, les toxines dont ils auraient hérité avant même de venir au monde. Provoquant asthme, pathologies respiratoires, cardiaques et digestives. Chez les personnes âgées (vaccination contre la grippe), la vaccination serait la cause de la maladie d’Alzheimer et de dégénérescence cognitive liée à l’entrave à l’élimination de résidus alimentaires. La vaccination empêcherait donc de vivre des maladies libératrices destinées à nous permettre d’éliminer les excès de nos erreurs alimentaires.
« […] le progrès nous a convaincu qu’il suffisait de nous faire vacciner pour ne plus être malade, sans se demander ce que notre corps allait faire de cette surcharge empoisonnée et empoisonneuse que le vaccin allait lui interdire d’éliminer. »
Selon elle, les vaccins seraient même à l’origine des maladies génétiques…, tout comme la Ritaline d’ailleurs.
Il m’est impossible dans cet article déjà longue de développer ce sujet pourtant essentiel… Mais je glisse en fin d’article quelques ressources pertinentes qui détaillent les idées reçues sur la vaccination et sur les maladies pour lesquelles la vaccination est obligatoire. Je vous encourage vivement à visionner ces contenus.
12 – Sur l’alimentation :
« Selon les travaux du Dr Bordeaux Szekely que je considère comme la référence la plus sûre en matière nutritionnelle, nous classerons les aliments en quatre catégories qui n’ont strictement rien à voir avec la classification habituelle basée sur leur teneur en protéines, lipides, glucides et calories, mais sur leur capacité à engendrer la vie, à la soutenir, à la ralentir ou à la détruire. »
Au sujet de l’alimentation, Irène fait reposer ses recommandations sur les travaux du Dr Szekely. Auteur de « L’évangile essénien de la paix » cité en bibliographie, il est docteur oui, mais docteur en philosophie. Ses travaux autour de l’alimentation trouvent leur sources dans la traduction qu’il a faite à partir des années 1920 de textes qui seraient issus des archives « secrètes » du Vatican : les rouleaux de la mer morte.
L’approche nutritionnelle d’Irène Grosjean est simple à résumer. Pour être en bonne santé, nous ne devrions consommer que des fruits, verdures et racines, sans les cuire bien sûr, avec quelques graines oléagineuses, huiles végétales, algues et graines germées.
« […] il suffit d’observer les grands singes qui ont le même système digestif que nous et de voir qu’ils mangent indifféremment des fruits, des feuilles tendres ou des racines au fur et à mesure qu’ils les trouvent. Pardonnez-moi de nous comparer à ces animaux, mais étant donné que nous avons le même système digestif, c’est que nous devons manger de la même façon. Même moteur, même carburant n’est-ce pas ? »
« En commençant et cela serait bien la moindre des choses, par traiter notre corps, au moins aussi bien que notre voiture. Autrement dit, en lui donnant le carburant que son constructeur, en l’occurrence nous l’appellerons Le Créateur, a prévu pour son fonctionnement et tel qu’il l’a prévu, c’est à dire végétal et cru. »
Encore une fois, l’absence de références scientifiques n’indique pas que ce qui est affirmé est faux. Mais étant donné que cette approche crudivore va à l’encontre du consensus scientifique, il aurait été judicieux d’étayer ces affirmations avec des données plus concrètes que la traduction de manuscrits araméens datant de plus de 2000 ans.
En effet, s’il a été démontré que l’augmentation de la part végétale de l’alimentation est bénéfique à plusieurs titres et qu’une alimentation strictement végétale peut être équilibrée et saine, aucune étude ne laisse penser, même de loin, qu’une alimentation strictement crue soit saine ou meilleure.
La diabolisation des céréales et légumineuses est même étonnante en ce qu’elle va à contre-courant des études qui montrent les bienfaits de la consommation de céréales complètes et de légumineuses.
Pour ce qui est des compléments alimentaires, jugés indispensables en raison de notre « alimentation civilisée », Irène annonce faire reposer le choix de ses recommandations sur l’utilisation de techniques de radiesthésie, c’est à dire en utilisant un pendule. Pendule qu’elle utilise également pour personnaliser les recommandations alimentaires.
Sur le pendule : « Grâce à lui, non seulement j’allais pouvoir prescrire les plantes, les huiles essentielles et les compléments alimentaires dont mes consultants avaient le plus besoin, mais les bains, les exercices et toutes les techniques complémentaires les mieux adaptées à leurs besoins particuliers. Sans oublier les aliments qui leur convenaient le mieux. »
13 – Sur l’appel au bons sens, aux évidences :
Si l’on revient à cette première page colorée, on note l’importance qu’Irène accorde au bon sens, à aller « dans le bon sens » dit-elle également. Elle en appelle en effet souvent au bon sens, à la simplicité irréfutable des évidences.
« Autant de raisons ne pouvant nous conduire qu’à l’envers du bon sens, celui du bonheur et de la santé pour tous les êtres qui respectent les lois de la vie. »
« La réponse est simple et nous la connaissons. »
« Question de bon sens, tout simplement ! »
« Ce qui sera d’autant plus facile si nous sommes en bonne santé, qui est le privilège de tous ceux qui s’entretiennent comme le veut la Nature. De ceux qui ont du « bon sang ». Du bon sang qui fait le bon sens. »
Et… c’est embêtant… D’une part parce que le bon sens, c’est comme le sens de l’humour ou le bon goût : tout le monde croit en avoir, mais on en a toutes et tous un différent. Le bon sens relève en effet plus d’observations et de déductions personnelles, d’intuitions que d’une démarche objective opposable à toutes et à tous. C’est d’ailleurs le bon sens qui nous a longtemps fait croire que le Soleil tournait autour de la Terre par exemple. Partant de ce constat, le bon sens ne peut pas être considéré comme preuve de quelque théorie que ce soit.
La référence au bon sens peut parfois servir un propos en faisant gagner du temps sur des évidences qui sont effectivement partagées par tout un chacun et faisant l’objet d’un consensus scientifique. Mais en appeler au bon sens à longueur d’ouvrage sur des considérations qui ne sont pas partagées par tout le monde et qui sont en marge des connaissances scientifiques actuelles, ce n’est pas un argument recevable.
14 – Sur les anecdotes et témoignages – Argumentation par l’exemple et biais du survivant
L’ouvrage d’Irène Grosjean est également ponctué de nombreuses anecdotes familiales, de patients et patientes, voire d’anecdotes animales… Le problème, c’est que ces exemples ne servent pas tant à illustrer ses propos qu’à fonder son argumentation. Ce qui est assez ennuyeux.
Faire des généralités en se basant sur divers exemples et témoignages n’est pas un raisonnement très solide. D’une part parce que personne ne peut vérifier la véracité de ces exemples, et d’autres part parce qu’ils ne sont pas nécessairement représentatifs d’une réalité plus globale. Ce faible niveau de preuve est d’autant plus inadapté que la démarche d’Irène Grosjean est en marge du consensus scientifique actuel. Or, les affirmations extraordinaires nécessitent des preuves extraordinaires.
En matière de santé comme dans d’autres domaines, l’argumentation par l’exemple est typiquement un raisonnement qui peut conduire au biais que l’on nomme le « biais du survivant » : les personnes qui survivent aux soins et conseils prodigués vont apporter leur témoignage et ainsi donner du crédit à la méthode proposée, même si elles sont minoritaires. A l’inverse, les personnes qui n’auront pas survécu ne seront plus là pour en témoigner. En basant une argumentation sur des témoignages positifs, on occulte des informations importantes pour apprécier l’efficacité de la méthode proposée : quelle proportion des personnes ayant suivi la méthode sont insatisfaites, quelles ont été les conséquences négatives pour elles ? Le bilan est donc faussé.
Ce biais est souvent exploité (consciemment ou pas) par les personnes qui défendent une approche de santé n’ayant fait l’objet d’aucune étude sérieuse. Et donc pour laquelle on ne peut pas mesurer la proportion des réussites et des échecs de la méthode. En cas de témoignage négatif, cela laisse la possibilité aux personnes défendant ces approches d’affirmer que les échecs tiennent au fait que les conseils n’ont pas été suivis à la lettre, ou bien encore que des facteurs extérieurs ont contribué à l’échec.
Ce qui fait particulièrement sens avec l’approche culpabilisante d’Irène Grosjean, car selon elle, si vous êtes en mauvaise santé ou décédé, après tout, c’est parce que vous avez fait les mauvais choix.
15 – Conclusion :
Pour conclure cet article, je voudrais préciser que je ne doute absolument pas de la bienveillance d’Irène Grosjean et des personnes qui tiennent un discours similaire au sien. J’aurais même tendance à croire qu’elle est de bonne foi et sincère dans sa démarche.
Il y a tant d’autres choses que j’aurais voulu dire, mais il a bien fallu faire des choix et synthétiser pour que cet article ne soit pas trop long… Je vous encourage bien évidemment à faire la lecture du livre pour vous faire un avis personnel à son sujet.
Ressources :
Une vidéo incontournable « Comment garder son sens critique face aux conseils santé sur YouTube ? (Thierry Casasnovas and co) » (26 minutes) : https://www.youtube.com/watch?v=D4plSf-1yHw
Sur l’appel à la nature (5 minutes) : https://www.youtube.com/watch?v=hughAmqa_jY
Sur quelques arguments fallacieux (dont l’appel à la nature, l’appel à l’ancienneté et l’appel à la popularité – 14 minutes) : https://www.youtube.com/watch?v=R9McgUw6kso
Sur quelques arguments fallacieux (dont l’effet cigogne – 16 minutes) : https://www.youtube.com/watch?v=RtF6CMZ6hMw
Sur la morphopsychologie : https://fr.wikipedia.org/wiki/Morphopsychologie
Sur les vaccins :
- Les maladies couvertes par la vaccination (56 minutes) : https://www.youtube.com/watch?v=1CifyVPCZ10
- Sur les théories anti-vax (59 minutes) : https://www.youtube.com/watch?v=y_Is5iNwGpA
Sur le VIH : https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_du_complot_au_sujet_du_sida et https://fr.wikipedia.org/wiki/Contestation_de_la_responsabilit%C3%A9_du_VIH_dans_le_sida
Sur l’argumentation par l’exemple (4 minutes) : https://www.youtube.com/watch?v=vQ-R7wMyY1Y
Sur le biais du survivant (8 minutes) : https://www.youtube.com/watch?v=9jhXy_xW89c
Sur la radiesthésie : http://zetetique.fr/radiesthesie-ou-la-perception-extrasensorielle-grace-au-pendule-ou-a-la-baguette/
Pour se procurer l’ouvrage « La vie en abondance » d’Irène Grosjean : https://www.biovie.fr/se-former/livres/la-vie-en-abondance-irene-grosjean