Revue de lecture : « La science face à la conscience animale »

Quand je suis passée sur le stand des éditions Book-e-Book aux rencontres de l’esprit critique, mon attention a tout de suite été captée par ce mignon petit groin en couverture… J’ai été agréablement surprise de tomber sur cet ouvrage intitulé « La science face à la conscience animale », et sous titré « Évaluation et amélioration du bien-être animal ».

L’auteur, Michel Baussier, est docteur vétérinaire : les animaux, il les connaît bien. Et c’est à ce titre qu’il propose ici une synthèse de l’état de la recherche sur les animaux comme sujets d’étude, et non pas simplement comme objets d’étude.

Ce très court ouvrage est un condensé, une sorte de résumé dans les grandes lignes. Il se lit facilement et rapidement : ça me semble être une bonne entrée en matière pour les personnes qui n’ont jamais rien lu à ce sujet.

En premier lieu, l’auteur pose les définitions nécessaires à la compréhension du sujet. Il définit notamment les notions de sensibilité, de nociception, de conscience, d’émotions et d’intelligence (mais aussi d’animaux, d’éthologie, de douleur et de cognition). Il enchaîne ensuite avec un résumé de l’évolution des idées sur la sensibilité et la conscience animale, à travers la religion, la philosophie et la science. Et il dresse ensuite un état actuel de la science, en prenant quelques exemples parmi les mammifères, les oiseaux et les poissons. C’est très succinct et on reste un peu sur notre faim. Mais pour les personnes qui veulent en savoir plus, il existe d’autres ouvrages bien plus complets à ce sujet : je pense notamment à ces deux ouvrages co-écrits par Sébastien Moro, sur les animaux de ferme et sur les poissons.

Même constat au sujet des animaux destinés à l’expérimentation animale, qui sont rapidement évoqués aussi. Si le sujet vous intéresse particulièrement, vous pourrez aller plus moins en piochant dans la bibliographie de la volière des écureuils bleus.

Pour en revenir au livre du jour : l’auteur propose ensuite différentes définitions du bien-être animal, en faisant le constat de l’existence récente d’une science du bien-être animal (citation) et de nombreuses évolutions au niveau légal. C’est assez intéressant.

Mais je dois bien admettre que j’ai tout de même été déçue… En fait, l’ambition affichée est de dresser un état de la science sur la conscience animale, mais l’ouvrage aborde aussi d’innombrables aspects éthiques, moraux et politiques… et c’est là que ça cloche.

Si l’auteur ose remettre en cause l’élevage intensif et les souffrances liées à certaines pratiques courantes dans l’élevage, l’expérimentation ou même auprès des animaux dits de compagnie, à aucun moment il n’évoque la remise en question de l’exploitation animale. Enfin si, une seule fois, à demi-mots et de manière très péjorative, en évoquant au détour d’une phrase les idéologies favorables à l’abandon de l’élevage. Le reste du temps, il présente une remise en question des conditions de l’exploitation animale, mais à aucun moment il ne questionne la pertinence morale de l’exploitation des animaux par les humains, ni la légitimité des humains à exercer cette domination.

C’est selon moi le gros point négatif qui ressort de cette lecture. Alors, certes, l’ouvrage est très court et n’a pas vocation à être exhaustif. Mais questionner les modalités de l’exploitation animale en reconnaissant aux animaux une conscience et une sensibilité comparables aux nôtres, sans questionner l’exploitation elle-même, ça me semble être une vision extrêmement limitative de ce vaste sujet.

Autre point négatif de cette lecture : quelques arguments fallacieux qui s’y sont glissés. Sûrement sans que l’auteur ait conscience de leur nature fallacieuse, mais ces arguments apparaissent de manière répétée. Par exemple, à deux reprises l’auteur prétend que ce sont les personnes citadines qui s’opposent principalement à l’élevage, comme pour discréditer l’opposition à l’élevage en partant du principe que les personnes qui en sont géographiquement les plus proches auraient un avis plus éclairé à ce sujet. Sauf que, d’une part, aucune source ne permet d’étayer l’idée que les personnes citadines soient sur-représentées parmi celles qui s’opposent à l’élevage, et d’autres part, le fait de vivre en ville ou à la campagne ne dit rien de la pertinence des positions morales défendues par ces personnes.

Autres arguments fallacieux récurrents, et pas des moindres : une combinaison habile d’appels à l’ancienneté et d’appels à la nature. A trois reprises, l’auteur met en avant la nature omnivore des humains et l’ancienneté de la prédation humaine et de l’élevage, pour justifier le fait d’améliorer les conditions d’exploitation des animaux, sans remettre en question l’exploitation. C’est l’occasion de rappeler que ni la nature omnivore de l’humain, ni ses traditions prédatrices, ni l’ancienneté de la pratique de l’élevage ne disent quoique ce soit de la pertinence morale de l’élevage, de la prédation ou de la consommation de produits issus de l’exploitation animale. Autrement dit : avoir la possibilité de manger de tout signifie pas que cela soit moral de le faire, avoir des ancêtres chasseurs ne signifie pas qu’il soit moral de chasser, et l’ancienneté des pratiques d’élevage ne signifie pas que l’élevage soit moralement acceptable.

En fait, on retrouve dans cet ouvrage pas mal des arguments fallacieux que l’on trouve habituellement chez des auteurices comme Paul Ariès ou Jocelyne Porcher. D’ailleurs celle-ci est citée deux fois dans l’ouvrage, et ce n’est sûrement pas un hasard…

Je déplore également l’absence de mention de la viande de culture dans le paragraphe dédié aux actions conduites dans l’élevage. C’est pourtant une des évolutions majeures de ces dernières années, et qui contribue grandement aux perspectives de bien-être animal.

Bref, quitte à évoquer en conclusion les nécessaires réflexions morales au sujet des responsabilités des humains vis-à-vis des autres animaux, j’aurais préféré que ce soit fait de manière cohérente, sans arguments fallacieux… Si la conclusion est ambitieuse, j’ai trouvé les propos de l’auteur bien en deçà des ambitions affichées.

Je n’irai pas jusqu’à dire que je regrette mon achat, mais je ne recommande pas non plus la lecture de cet ouvrage, qui selon moi, passe complètement à côté des enjeux centraux des sujets abordés.


Pour aller plus loin :

« Les animaux de la ferme – Au cœur des émotions et des perceptions animales » par Sébastien Moro et Layla Benabid, 2021 : https://www.laplage.fr/produit/183/9782842219567/les-cerveaux-de-la-ferme

« Les paupières des poissons » par Sébastien Moro et Fanny Vaucher, 2018 :

https://www.laplage.fr/produit/154/9782842216368/les-paupieres-des-poissons

Bibliographie de la volière des écureuils bleus, sur l’expérimentation animale :

« La science face à la conscience animale » par Michel Baussier, 2021 :

https://www.book-e-book.com/livres/177-la-science-face-a-la-conscience-animale-9782372460514.html


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