Végétalisme, orthorexie et préjugés

J’avais envie de partager avec vous quelques réflexions autour du végétalisme et de l’orthorexie, le tout sur fond de préjugés tenaces. Mais peut-être pas les préjugés auxquels vous pensez…

L’autre jour je suis tombée un peu par hasard sur une étude sur les liens entre végétalisme et orthorexie. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, définissons un peu tout cela : une personne végétalienne ne consomme aucun produit d’origine animale (donc pas de viande, poisson, œufs, produits laitiers et miel). L’orthorexie quant à elle, se définit comme un ensemble de pratiques alimentaires, caractérisé par la volonté obsessionnelle d’ingérer une nourriture perçue comme saine et le rejet systématique des aliments perçus comme malsains.

A la lecture de plusieurs études sur ces sujets, les personnes végétaliennes ayant participé à ces études semblent avoir plus de connaissances sur l’équilibre alimentaire que les autres, et avoir tendance à développer un rapport à l’alimentation s’apparentant à de l’orthorexie. Et cette conclusion m’intrigue beaucoup. Parce qu’il est bien évident que ce n’est pas la consommation de végétaux qui induit ce type de comportement. Je voudrais donc prendre le temps de développer ici une proposition d’explication, un semblant de réflexion sur ce sujet.

A commencer par attirer l’attention sur un biais important dans beaucoup des études précitées, en m’appuyant notamment sur les conclusions qu’ont faites les auteurices d’une étude très intéressante sur les modes de vie adoptés par des personnes végétaliennes, selon les motivations qui les ont conduites à devenir végétaliennes : pour des raisons éthiques ou pour des raisons de santé.

Iels ont notamment trouvé que les personnes végétaliennes qui le sont devenues pour des raisons éthiques adhèrent plus longtemps à une alimentation végétalienne, consomment significativement plus de soja, de sucreries et de compléments de vitamines, mais moins de fruits que les personnes qui le sont devenu.e.s pour des raisons de santé. Iels ont conclu de leur étude qu’au regard des différences observées, il serait judicieux, lorsque l’on étudie les liens entre végétalisme et santé, de prendre en considération les motivations de ce choix. Car cela conditionne le rapport à l’alimentation, donc les résultats que l’on peut obtenir de ces études.

Et les quelques études qui prennent en compte cette distinction semblent en effet révéler que les personnes ayant choisi une alimentation végétale pour des raisons de santé ont nettement plus tendance à développer des comportements orthorexiques que celles ayant fait ce choix pour des raisons éthiques. Sans grande surprise cependant, car si l’on choisit pour des raisons de santé d’adopter un régime alimentaire qui exclut certains aliments considérés comme mauvais pour la santé, on tombe presque de facto dans la définition de l’orthorexie.

Cependant, je voudrais désormais développer plusieurs points qui me laissent penser que, oui, les personnes végétaliennes pourraient avoir plus tendance à développer des comportements orthorexiques, et que c’est plutôt logique même. Quand bien même elles n’auraient pas choisi cette alimentation pour des raisons de santé. Laissez moi vous expliquer…

Lorsque l’on souhaite adopter une alimentation strictement végétale, en pratique, on a pas beaucoup d’autre choix que de développer soi-même ses connaissances en terme d’équilibre alimentaire. D’une part parce que l’alimentation végétale n’est pas la norme, et qu’elle est de ce fait largement ignorée des recommandations nationales. Si l’on explore par exemple le site du PNNS (programme national nutrition santé), le seul et unique paragraphe concernant les personnes végétaliennes ou véganes est un avertissement sur les risques de carences en vitamine B12. Et c’est pas avec ça qu’on est plus avancé.e quand on recherche des informations sur une alimentation végétale équilibrée.

D’autre part, les préjugés et les méconnaissances des professionnel.le.s de santé à ce sujet expliquent aussi le fait que les personnes végétaliennes n’ont pas d’autre choix que de développer elles-mêmes leurs connaissances en terme d’équilibre alimentaire…

Car aujourd’hui encore, la norme dans les milieux médicaux, mais aussi au sein des professionnel.le.s de santé que sont les diététiciens et diététiciennes, c’est d’avoir des croyances fausses sur l’alimentation végétale, donc de ne pas pouvoir accompagner au mieux les personnes concernées. Ce qui est VRAIMENT problématique.

Au delà d’un manque flagrant de connaissances sur l’équilibre alimentaire dans le cadre d’une alimentation végétale, les croyances infondées sur des prétendues carences et sur une dangerosité fantasmée de l’alimentation végétale sont monnaie courante. Et le poids de ces croyances pèse sur les épaules des personnes végétaliennes. Avec d’une part la crainte de voir ces dangers se réaliser, et d’autre part la volonté d’apporter la preuve qu’il est possible d’avoir une alimentation végétalienne tout en étant en parfaite – voire meilleure – santé. Il paraît donc logique que les personnes concernées puissent facilement devenir extrêmement pointilleuses sur leur alimentation, voire développer des attitudes orthorexiques.

Pour ce qui concerne les professionnel.le.s de santé, la plupart n’ont pas reçu les enseignements suffisants pour avoir une connaissance éclairée du sujet. Et c’est particulièrement le cas lorsque l’on évoque l’alimentation végétale.

Si je me réfère aux travaux réalisés récemment par deux médecins dans le cadre de leurs thèses respectives, il ressort que les médecins français interrogés ont des difficultés à définir avec justesse les régimes alimentaires végétarien et végétalien. Ils ont également tendance à prescrire plus d’examens complémentaires à leurs patients et patientes concerné.e.s, sans pour autant se baser sur des craintes fondées. Car ils s’inquiètent notamment d’éventuelles carences en protéines ou en fer, alors que les études sur ces sujets sont plutôt rassurantes et ne laissent pas présager plus de carences chez les personnes végétariennes et végétaliennes que chez les autres. Par contre, l’immense majorité des médecins sous-estiment, voire passent complètement à côté des risques avérés de carences ou déficit en vitamine B12, en iode ou en acides gras essentiels chez les personnes végétaliennes et végétariennes.

Notons également que les réactions du médecin perçues comme négatives (jugements, mépris ou autre) ou encore les conseils de consommation de viande ou de produits d’origine animale nuisent à la relation entre le médecin et son patient ou sa patiente. Ce qui peut impliquer des non-dits lourds de conséquence, ou bien la non observance des conseils ou prescriptions du médecin.

Pour ce qui est des professionnel.le.s de la diététique, ce n’est pas toujours très au point non plus. Si les connaissances nutritionnelles sont bien évidemment plus précises, on échappe pas pour autant aux préjugés et méconnaissances sur l’alimentation végétale. Et pour cause : le programme des enseignements colle au cadre du PNNS et ne prévoit pas de détailler l’équilibre alimentaire pour les personnes végétaliennes. Les rares allusions que l’on trouve par exemple dans un manuel de nutrition de plus de 1100 pages (« Alimentations, Nutrition et Régimes » Studyrama – EDHN) sont tout à fait insuffisantes et mêmes infondées : aucun chapitre ou paragraphe dédié aux régimes végétarien et végétalien, un bref rappel sur le risque de carence en vitamine B12 (mais rien sur l’iode ou les acides gras essentiels), une dévalorisation cinglante des sources végétales de protéines, des affirmations infondées sur le caractère indispensable des produits laitiers, mais aussi l’affirmation du caractère déséquilibré des régimes végétarien et végétalien. En bref, le programme actuel du BTS de diététique ignore encore largement l’alimentation végétale et contribue à alimenter des préjugés négatifs…

…en allant à l’encontre des publications permettant d’affirmer qu’avec une complémentation en vitamine B12, il est aujourd’hui possible d’avoir une alimentation végétale équilibrée et saine à toutes les étapes de la vie (que ce soit durant la petite-enfance, l’enfance, l’adolescence, la grossesse ou l’allaitement, ou pour les personnes sportives et les personnes âgées…). Ce programme nie également au passage les études permettant d’affirmer qu’une alimentation végétale équilibrée présente de nombreux intérêts en terme de santé : notamment un risque réduit de maladies chroniques, de pathologies cardio-vasculaires, de diabète de type 2, d’obésité, et de certains cancers…

On peut également ajouter à l’ignorance des professionnel.le.s de santé un contexte médiatique majoritairement ignorant et défavorable à alimentation végétale. Les articles, vidéos et reportages relayant des craintes infondées de carences foisonnent dans les médias conventionnels et sur les réseaux sociaux. Y compris – et c’est bien triste – sur des chaînes se revendiquant de la rigueur de la méthode scientifique (cf La Tronche en Biais – Pierre Dechelotte). Médecin ou pas, chacun ou chacune étale ses idées reçues, ses préjugés… mais surtout son ignorance manifeste du sujet.

Un autre problème de taille lorsque que l’on est livré.e à soi-même pour trouver des informations sur l’équilibre alimentaire végétalien, c’est le risque de s’éloigner de la médecine conventionnelle, incompétente en la matière. Les personnes végétaliennes en recherche de recommandations adaptées sont parfois amenées à s’orienter vers des pratiques pseudo-scientifiques qui valorisent le végétalisme, le crudivorisme et le frugivorisme. Je pense notamment au mouvement hygiéniste et aux autres dérives naturopathiques, mouvements qui trouvent les fondements de leurs recommandations alimentaires dans des textes religieux de plus de 2000 ans… donc en dépit des connaissances actuelles que nous avons en terme de santé et d’alimentation végétale.

Cet engouement des personnes végétaliennes pour ces approches dangereuses et infondées est largement motivé par la persistance des idées reçues et préjugés négatifs qui règnent encore dans le milieu médical à l’encontre du végétalisme. Faire barrage à ces pratiques passera donc aussi par une prise en considération honnête et non stigmatisante de l’alimentation végétalienne par les professionnel.le.s de santé….

Fort heureusement, plusieurs initiatives se développent pour rendre accessibles des informations fiables concernant l’alimentation végétale, pour le plus grand nombre et plus particulièrement pour les professionnel.le.s de santé. Je pense au très fourni site internet « je mange végétal .fr », mais aussi au site « végéclic.com », qui est un outil d’aide à la prise en charge nutritionnelle des patients et patientes suivant une alimentation végétarienne ou végétalienne. Ces deux sites émanent de professionnel.le.s de santé regroupés au sein de l’observatoire national de l’alimentation végétale.

Pour résumer, les personnes végétaliennes semblent avoir plus tendance à développer des comportements orthorexiques lorsqu’elles ont choisi cette alimentation pour des raisons de santé. Mais dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que des personnes végétaliennes, quelles que soient leurs motivations, développent des attitudes orthorexiques.

Pour inverser cette tendance, il nous appartient de lutter contre la désinformation, de faire preuve de scepticisme lorsque nous sommes confronté.e.s à des affirmations en terme de santé, mais aussi de rigueur dans nos affirmations. Nous pouvons ainsi contribuer ensemble, sur la base de connaissances sérieuses et éprouvées, à améliorer la perception de tous et toutes sur l’alimentation végétale.


RESSOURCES POUR ALLER PLUS LOIN :

Outil d’aide à la prise en charge nutritionnelle des patients et patientes suivant une alimentation végétale (destiné aux professionnel·le·s de santé) : https://vegeclic.com/

Informations nutritionnelles fiables sur l’alimentation végétale : https://jemangevegetal.fr/

Observatoire national de l’alimentation végétale : https://onav.fr/

Publication sur les modes de vie adoptés par des personnes végétaliennes selon les motivations qui les ont conduites à devenir végétaliennes (pour des raisons éthiques ou pour des raisons de santé) : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0195666315000732

Sur les connaissances des médecins français en rapport avec les alimentations végétariennes et végétaliennes :

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02097968

 http://pepite.univ-lille2.fr/notice/view/UDSL2-workflow-8511

Review de 14 études sur les liens entre végétarisme/végétalisme et orthorexie :

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31784944/

Sur la possibilité de mener une alimentation végétale équilibrée et saine à toutes les étapes de la vie et les bénéfices en termes de santé : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27886704/ + https://www.mdpi.com/2072-6643/9/8/848/pdf


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