Stigmatisation des personnes véganes et « végéphobie »

Vous avez sûrement déjà vu passer des memes ou vidéos dans lesquels les véganes sont représenté⸱es de manière caricaturale sous couvert d’humour. Le plus souvent, il s’agit de présenter les véganes de manière stéréotypée, avec le lot de préjugés qui va bien… A ce sujet, je suis justement tombé⸱e il y a peu sur un récent ouvrage sur les alimentations végétales et le véganisme dans lequel un chapitre entier est dédié à la stigmatisation des personnes véganes.

Dans ce chapitre, l’autrice Kelly Markowski détaille l’origine et les conséquences négatives de la stigmatisation vécue par les personnes véganes. Elle commence par rappeler que globalement, les véganes sont perçus négativement par le reste de la société, et que leurs représentations sociales sont peu flatteuses, que ce soient dans les médias, les films et même dans certaines revues scientifiques. Pour expliquer cette perception négative, l’autrice précise qu’être végane implique d’appartenir à la catégorie sociale des personnes véganes, catégorie au sein de laquelle on s’attend à voir des comportements, caractéristiques et croyances qui seraient spécifiques à ces personnes et qui souffrent d’une image négative.

Elle détaille notamment les stéréotypes vis à vis de ce que mangent les véganes, de qui iels sont, de ce qu’iels pensent et de qui iels fréquentent.

Pour ce qui concerne la nourriture, le végétalisme est souvent défini par rapport au régime carné qui est la norme. De ce fait, il est souvent perçu comme restrictif et déficitaire : il manquerait certains des aliments couramment consommés dans le cadre de l’alimentation carnée dominante. Le végétalisme souffre également de l’image négative que peuvent avoir les substituts végétaux à la viande, parfois perçus comme artificiels et non naturels.

Pour ce qui concerne la personnalité des personnes véganes, l’autrice indique que c’est souvent le stéréotype de la personne rabat-joie qui revient, celle qui ennuie tout le monde en parlant de véganisme dans n’importe quel contexte. Les véganes sont également souvent perçu⸱es comme ayant une posture moralisatrice, polémique et agressive… bien que les personnes véganes – et particulièrement les hommes – soient perçues comme faibles en raison des supposées carences liées à leur régime alimentaire…

Au sujet de leur façon de penser, l’autrice précise que les personnes véganes sont perçues comme ayant des opinions arrêtées et ne supportant pas que les autres pensent ou agissent différemment d’elles. Beaucoup pensent également que, pour les véganes, la vie des animaux non humains est plus importante que celles des humain⸱es. Les personnes véganes sont aussi régulièrement perçues comme aveugles à leur privilèges sociaux (tels que la blancheur ou leur classe sociale), donc méprisantes envers les personnes opprimées.

Et puis, toute personne végane étant perçue comme étant également activiste de la cause animale, elle endosse les stéréotypes négatifs associés aux activistes véganes. En bref, le stéréotype de la personnes végane cumule des caractéristiques peu enviables socialement.

Ce portrait de la stigmatisation des personnes véganes étant dressé, l’autrice prend ensuite le temps d’expliciter les conséquences que cela peut avoir concrètement dans le quotidien des personnes concernées.

Et les difficultés commencent dès la période de transition, où le choix de basculer vers le véganisme est souvent perçu comme temporaire par les proches qui ne soutiennent pas la démarche. C’est aussi le moment où l’on peut subir des interrogatoires destinés à souligner le prétendu illogisme du véganisme, ou bien où l’on est volontairement trompé⸱es pour être amené⸱es à consommer des aliments d’origine animale contre sa volonté…

Les personnes véganes peuvent également souffrir de se sentir ostracisées et de ce fait chercher à faire de nouvelles rencontres, avec des personnes qui s’identifient également comme véganes.

Dans le cadre des interactions avec des personnes non véganes, certaines essayeront de gérer l’impression qu’elles donnent pour essayer de ne pas coller au stéréotype végane, notamment en n’abordant pas le sujet du véganisme sans y avoir été invitées, ou bien en évitant la dimension éthique et morale du véganisme pour se limiter à des considérations de santé… Ces stratégies ayant pour objectif de maintenir et préserver les liens avec des personnes non véganes.

L’autrice évoque la possibilité que les stéréotypes qui pèsent sur les personnes véganes soient un facteur qui contribue au risque de dépression et d’anxiété majoré que l’on observe chez les personnes véganes. Autrement dit, la stigmatisation des personnes véganes et les préjugés qui pèsent sur elles pourraient contribuer à altérer leur santé mentale.

L’autrice va plus loin en affirmant que la stigmatisation des personnes véganes nuit également aux personnes non véganes, notamment en renforçant la norme d’une alimentation carnée à laquelle il ne faudrait rien changer, et donc en les éloignant des bienfaits qu’elles pourraient tirer d’une alimentation plus végétale.

La fin du chapitre est ensuite dédiée à des réflexions sur les futures recherches scientifiques à mener au sujet de la stigmatisation des véganes. Et ça s’annonce passionnant. Enfin, je préférerais bien sûr que cette stigmatisation n’existe pas et qu’on ait pas besoin de l’étudier. Mais bon, puisque c’est là… autant l’étudier convenablement.

Ces travaux sont importants car ils contribuent à nommer et visibiliser les stéréotypes négatifs et préjugés concernant les personnes véganes, ce qui est un préalable indispensable pour apprendre ensuite à les déconstruire, pour minimiser les conséquences néfastes qu’ils peuvent avoir. En la matière on pourrait aussi parler des moqueries et discriminations que subissent les personnes végétariennes, végétaliennes et véganes. Certaines personnes parlent même de « végéphobie ».

Personnellement je n’emploie pas ce terme parce qu’il ne me convient pas, et ce, pour plusieurs raisons. La principale d’entre elle étant que ce terme de « végéphobie » conduit à identifier comme victimes d’une oppression les humain⸱es végétarien⸱nes ou végétalien⸱nes. Sauf que… le système de domination et d’oppression derrière les discriminations vécues par les personnes végé c’est le spécisme, dont les seules victimes sont les animaux non humains. Inventer un terme comme celui-ci tend à mettre au centre les individus humains, en faisant oublier au passage qu’ils sont les oppresseurs dans ce système (on parle même de suprémacisme humain).

Bon, c’est un sujet sur lequel je pourrais bavarder pendant de très longues heures (comme je le fais parfois avec des ami⸱es ou collègues), mais pour aujourd’hui je me contenterai de peu et je vous renvoie par contre volontiers vers l’excellent article « Ceci n’est pas de la végéphobie » rédigé par Ophélie Véron en 2017: https://antigone21.com/2017/10/11/ceci-nest-pas-de-la-vegephobie/

Alors certes, je ne suis pas ok pour parler de « végéphobie », par contre je suis plus que ok pour que l’on dénonce les discriminations vécues par les personnes végé. Par exemple, les difficultés pour accéder à des choix satisfaisants de restauration (que ce soit au restaurant, à l’école, au travail ou à l’hôpital), ou bien encore pour évoquer les différences de traitement en termes de soins médicaux. J’en avais d’ailleurs déjà parlé ici et notamment.

On peut par exemple dénoncer les refus de prise en charge par certains médecins particulièrement hostiles, les jugements négatifs émis en cours de consultation qui peuvent amener les personnes visées à ne plus vouloir consulter de professionnel⸱les de santé, ou bien encore la tendance que certains médecins ont à rendre le végétarisme ou le végétalisme responsable de n’importe quel problème de santé, ce qui éloigne d’un réel diagnostic et d’un traitement adapté…

Bref, être végétarien⸱ne ou végétalien⸱ne expose au risque de subir un certain nombre de réactions hostiles et de comportements discriminatoires inadmissibles. En parler, ce n’est bien sûr pas suffisant, mais c’est la première étape pour espérer les faire disparaître un jour…



L’ouvrage auquel je fais référence est le suivant : Yanoula Athanassakis, Renan Larue, William O’Donohue, « The Plant-based and Vegan Handbook, Psychological and Multidisciplinary Perspectives », 2024, chapitre 23 « Vegan Stigma » par Kelly L. Markowski.