Suivi médical des enfants végétariens et végétaliens – Nouvelle étude

Le mois dernier je vous parlais de la prise en charge médicale des personnes végétaliennes en proposant le résumé d’une étude récente faite en République Tchèque… et c’était pas glorieux. Je vous renvoie vers la vidéo et l’article que j’ai rédigé à ce sujet si vous voulez prendre connaissance des détails, mais en gros, il ressortait de cette étude le constat de la méconnaissance des professionnel.les de santé au sujet des alimentations végétales… et de l’influence négative que ça a sur la prise en charge des personnes concernées. Plusieurs pistes étaient suggérées pour remédier à la situation, et nous avions vu qu’en France, les mêmes solutions pouvaient être envisagées, puisque nous rencontrons grosso modo les mêmes problèmes.

Mais aujourd’hui, c’est d’une étude française dont je voudrais vous parler : une étude parue le mois dernier et qui porte plus spécifiquement sur les enfants végétariens et végétaliens. Les chercheureuses à l’origine de cette étude se sont fixé un double objectif : évaluer les pratiques de prise en charge médicale des enfants végétariens ou végétaliens d’une part, et recueillir les perceptions qu’en ont leurs parents d’autre part. Pour réaliser cette étude, 241 familles ont été interrogées, ainsi que 501 médecins. Nous allons rentrer un peu dans le détail de l’étude, mais pour donner quelques éléments de conclusion dès à présent, il s’avère que les modalités de prise en charge de ces enfants sont très hétérogènes, avec globalement une faible connaissance des recommandations nutritionnelles spécifiques aux alimentations végétales de la part des médecins, et une faible confiance des parents en leurs médecins.

Si vous voulez connaître les détails des résultats, je vous encourage à aller lire l’intégralité de l’étude. Mais je vais quand même vous en livrer quelques points qui ont particulièrement attiré mon attention, et je vous livrerai mon avis personnel à ce sujet ensuite seulement.

Déjà, l’étude permet d’avoir quelques données sur la complémentation en vitamine B12. Mais ce n’est pas très rassurant car seuls 72 % des enfants végétariens étaient complémentés, pour 96 % des enfants végétaliens. Seuls 5 % de ces enfants complémentés en vitamine B12 bénéficiaient d’une prescription médicale ; pour les autres il s’agissait d’auto-médication, donc avec la possibilité que les compléments choisis contiennent une forme inactive de vitamine B12 ou des quantités insuffisantes…

Pour ce qui concerne les médecins interrogé.es, 63 % indiquent avoir au moins un enfant végétarien ou végétalien dans leur patientèle. Pourtant, seule la moitié des médecins ont déclaré mettre en place un suivi spécifique pour ces jeunes patient.es, et seulement un tiers d’entre elleux indiquent prescrire une complémentation spécifique et/ou renvoyer ces patient.es vers un.e professionnel.le de santé spécialiste des alimentations végétales. De manière inquiétante, parmi les médecins ayant déjà accompagné un enfant végétarien ou végétalien, le score médian obtenu au questionnaire destiné à évaluer leurs connaissances spécifiques à ce profil était de seulement 4 sur 20.

En termes de perception de la part des parents, les résultats me semblent assez inquiétants aussi, puisque plus d’un quart indiquent ne pas être satisfait.es du suivi médical de leur enfant (avec une insatisfaction équivalente que les enfants soient végétariens ou végétaliens). Trois quarts des parents pensent que leur médecin n’est pas capable de les informer correctement sur les risques de carences, les compléments indispensables et le suivi nécessaire pour leur enfant. D’ailleurs, ces parents pensent globalement être aussi compétent.es que des médecins pour surveiller la croissance de leur enfant. Le manque cruel de confiance observé dans cette étude résulte également du refus de consultation médicale justifié par le régime alimentaire de leur enfant, que 11 % des parents disent avoir déjà expérimenté. Dans la continuité de ce constat, 27 % des parents interrogé.es pensent que leur médecin pourrait refuser de les suivre s’iel avait connaissance du régime alimentaire de leur enfant.

Les auteurices de l’étude concluent à juste titre que la prise en charge des enfants végétariens et végétaliens devrait être améliorée, tant sur l’identification systématique des enfants concernés que sur la prise en charge clinique, les bilans biologiques et la complémentation. Pour ce faire, iels évoquent la nécessité d’améliorer la formation des médecins et pédiatres, ainsi que la nécessité de publier des recommandations pratiques spécifiques.

Les auteurices évoquent également la possibilité pour les médecins de renvoyer vers des collègues professionnel.les de santé qualifié.es au sujet des alimentations végétales si iels ne se sentent pas suffisamment compétent.es à ce sujet, ce qui concernerait près de 90 % des médecins généralistes et pédiatres français.

Bon, voilà en gros pour ce qui ressort de cette étude. Mais j’avais envie d’aller un peu plus loin désormais, en partageant quelques réflexions personnelles à ce sujet.

Je dois tout d’abord préciser que, tristement, les constats qui ressortent de cette étude ne me surprennent pas… La prise en charge médicale des personnes végétariennes et végétaliennes n’est globalement pas adaptée, et les enfants ne font pas exception. Cela m’étonne d’autant moins que les enfants suscitent plus de craintes que les adultes en raison des conséquences lourdes que des carences nutritionnelles peuvent avoir sur leur développement et leur croissance. Des craintes avérées, car le risque de carences est réel. Mais ce risque est souvent mal évalué et surtout… mal accompagné car n’impliquant que rarement des professionnel.les de santé formé.es aux spécificités des alimentations végétales.

Pour ce qui concerne la méconnaissance des professionnel.les de santé au sujet de ces alimentations, il y aurait beaucoup à faire, que ce soit en réformant les formations initiales des professionnel.les concerné.es, mais aussi en faisant mieux connaître les deux seules formations science-based qui existent actuellement en France : à savoir celle de Sorbonne Université (avec son DU Alimentations végétariennes), ou bien celle du CFDC (centre de formation diététique et comportement). J’ai déjà réalisé un article sur chacune d’entre elles, je vous y renvoie si vous voulez en savoir plus (ici et ici). On peut aussi se réjouir de la publication à venir des recommandations de l’ANSES sur les populations végétariennes (courant 2024?), car pour l’heure il n’existe pas de recommandations officielles complètes spécifiques aux alimentations végétales. Dans cette attente, je me dois d’évoquer vegeclic.com, un outil en ligne gratuit d’aide à la prise en charge des patient.es végétarien.nes et végétalien.nes (y compris des enfants!). J’encourage toustes les professionnel.les de santé à aller y jeter un œil pour faciliter la prise en charge de leurs patientèle concernée. Et bien évidemment, il est important de reconnaître les limites de ses compétences et de renvoyer si besoin vers un.e professionnel.le de santé sérieusement formé.e aux spécificités des alimentations végétales. Pour cela, il est possible de se tourner par exemple vers le répertoire mis en ligne par l’ONAV, l’observatoire national des alimentations végétales.

Bon, par contre, ça serait pas mal que les recommandations formulées pour les personnes végétariennes ou végétaliennes ne soient pas inutilement alarmistes. Un bon exemple pour illustrer cette fâcheuse tendance me semble être la publication du GFHGNP mentionnée dans l’étude résumée plus tôt. Dans cette publication scientifique de 2019, plusieurs membres du Groupe Francophone d’Hépatologie-Gastroentérologie et Nutrition Pédiatriques ont formulé des recommandations pour les enfants et adolescent.es végétalien.nes. Et leurs choix de formulation sont intéressants, puisqu’iels ont choisi d’affirmer notamment que « l’alimentation végétalienne […] n’est pas adaptée à l’espèce humaine » et que « l’alimentation végétalienne n’est pas recommandée pour les nourrissons, enfants et adolescent.es en raison du risque de carences nutritionnelles inévitables en l’absence de compléments alimentaires ». Pourquoi c’est intéressant ? Hé bien parce que, d’après leurs propres recommandations, il aurait été possible de conclure au contraire par exemple qu’une alimentation végétalienne est possible chez les nourrissons, enfants et adolescent.es, à la condition de veiller à l’équilibre des repas et de mettre en place les complémentations adéquates (notamment en vitamine B12).

Ce choix de conclure autrement n’est pas neutre et me semble révélateur d’un certain nombre de préjugés, notamment un préjugé naturaliste manifeste : l’alimentation végétalienne ne serait pas souhaitable car elle serait… contre-nature. Vous pensez peut-être que j’exagère et que je fais dire aux auteurs des choses qu’ils ne pensent pas. Ce sont pourtant les mots exacts de l’un d’entre eux dans un article de presse récent, dans lequel il qualifie le végétarisme chez les enfants de « comportement contre-nature », précisant que « ce n’est pas un hasard si les enfants ont été sélectionnés pour aimer les produits carnés et laitiers et ne pas apprécier les végétaux. Il est regrettable que certains cherchent à détruire ce que la Nature a mis des millénaires à construire. »

Ce procédé rhétorique fallacieux qu’est l’appel à la nature est assez étonnant dans un contexte qui se veut scientifique… Et je ne peux pas m’empêcher de remarquer qu’il est particulièrement présent lorsqu’il s’agit d’évoquer les alimentations végétarienne ou végétalienne. Personnellement, je n’ai jamais lu d’appel à la nature dans les publications qui rendent compte de la nécessité de la complémentation en vitamine D chez tous les nourrissons, ni dans celles évoquant l’enrichissement en iode du sel de table ou en fer de certains produits laitiers et céréales. Je n’ai pas lu d’appel à la nature non plus dans les études qui évaluent les effets de différents compléments alimentaires donnés aux animaux d’élevage pour améliorer la valeur nutritionnelle de leurs œufs, de leur chair ou de leur lait. Il semblerait donc que la consommation de compléments alimentaires ne soit pas problématique en soi… mais qu’elle le devienne quand elle s’inscrit dans le cadre d’une alimentation végétarienne ou végétalienne.

Ce double standard n’étant pas justifié par des considérations nutritionnelles, cela m’amène à me questionner sur l’existence d’a priori négatifs vis à vis des alimentations végétalisées : des a priori qui ne tiendraient pas uniquement aux aspects nutritionnels, mais qui seraient possiblement fondés sur le rejet des motivations éthiques qui conduisent à opter pour de telles alimentations. En tout cas, personnellement, je ne trouve aucune autre justification raisonnable qui expliquerait ce double standard. Et s’il s’agissait bien de cela, ça serait très problématique, parce qu’on ne peut pas créer une alliance thérapeutique efficace ni accompagner correctement nos patient.es si on se permet des jugements négatifs sur leurs engagements éthiques, philosophiques, politiques, religieux, idéologiques ou autre, d’autant plus si ces jugements impactent leur prise en charge (voire conduisent à refuser de les prendre en charge, comme évoqué plus tôt).

Bref, tout ça pour dire qu’en parallèle de la lutte contre la méconnaissance des professionnel.les de santé d’un point de vue nutritionnel, il serait grand temps de cesser d’alimenter les préjugés négatifs dont souffrent les alimentations végétalisées, et ce, dans l’intérêt des patient.es concerné.es. Parce que ces personnes ne vont pas cesser d’exister ; elles vont même devenir de plus en plus nombreuses… même si on les bombarde d’appels à la nature fallacieux et de conclusions alarmistes pour leur santé, même si certain.es médecins refusent de les suivre. Je pense donc que nous ferions mieux de travailler à développer la capacité des médecins et autres professionnel.les de santé à leur prodiguer les meilleures recommandations possibles, quelque soit leur âge et sans jugement. Sans quoi, il ne fait nul doute que ces personnes choisiront de se diriger vers des conseils random glanés sur internet, ou bien de solliciter l’accompagnement de personnes n’ayant aucune formation diététique ou médicale sérieuse, comme des naturopathes ou des coachs en nutrition par exemple… Et cet éloignement de la médecine peut être lourd de conséquences, tant pour les parents que pour les enfants concerné.es, puisqu’il induit des conseils nutritionnels et de santé malavisés, mais aussi possiblement un retard de diagnostic et une perte de chance d’être soigné.e en cas de maladie, voire même parfois un risque de dérives sectaires. Ce qui n’est bien évidemment pas souhaitable, je pense que tout le monde en conviendra.


L’étude résumée ci-dessus est la suivante : Marion Barbier, Irène Boisseau, Julie Lemale, Marie Chevallier, Guillaume Mortamet, Medical management of vegetarian and vegan children in France: Medical practices and parents’ perceptions, Archives de Pédiatrie, 2023, ISSN 0929-693X, https://doi.org/10.1016/j.arcped.2023.10.006


Allez, petit bonus juste pour le plaisir de ré-entendre ce désormais célèbre « contre-naturaaaanh » 😅