Le profil idéologique des anti-véganes dans une étude récente

Quoi de mieux pour débuter l’année que de parler de véganisme ? Enfin, pardon, non, d’anti-véganisme plutôt…

Mais avant toute chose, pour que tout le monde arrive à suivre, je me dois de définir ce qu’est le véganisme, parce que, je l’oublie parfois… mais ça n’est pas une évidence pour tout le monde ! Je reprends ici la définition de la Vegan Society, qui me semble faire consensus : le véganisme, c’est « un mode de vie qui tend à exclure, autant que possible, toutes formes d’exploitation et de cruauté faites aux animaux afin de se nourrir, se vêtir ou dans n’importe quel autre but. » En pratique, ça consiste donc à choisir de se nourrir sans produits d’origine animale (on parle de végétalisme), mais aussi à choisir des cosmétiques non testés sur les animaux, à ne pas aller voir de corrida ou de cirques avec animaux, ou bien encore à ne pas acheter de vêtements en cuir ou en fourrure.

Bref… il y a des gens dans la vie qui se disent anti-végane. Des gens qui détestent le véganisme, voire qui se sentent menacés par le véganisme, et qui vont même parfois jusqu’à militer contre ce mode de vie qui consiste à minimiser autant que possible les souffrances inutiles infligées à des individus sentients. Bon, personnellement ça me paraît être une posture tout à fait étrange et indéfendable d’un point de vue éthique et politique… mais ça n’empêche pas ces gens de faire de grands discours contre le véganisme, d’écrire des bouquins, de faire des chroniques, de vendre des tee-shirts aux slogans pseudo-humoristiques ou de faire des memes moqueurs… le plus souvent sans avoir compris grand-chose au sujet, soyons honnêtes… Parce que, la plupart du temps, ces gens ne savent même pas différencier le véganisme du végétalisme et ne comprennent pas du tout les idéologies antispéciste et sentientiste qui conduisent à faire le choix d’un mode de vie végane.

Mais si je voulais vous en parler aujourd’hui, ce n’est pas pour vous donner mon avis personnel ! Je voulais plutôt vous parler d’une étude publiée tout récemment, et qui porte justement sur ces personnes qui se disent anti-véganes. Une étude dans laquelle les chercheureuses se sont intéressé.es au profil de ces gens, en comparant les données collectées auprès de 214 personnes véganes, 732 personnes ayant une alimentation carnée, et 222 personnes qui se présentent comme anti-véganes. En se basant sur les études précédemment menées sur l’idéologie anti-véganisme, les auteurices de cette publication ont notamment cherché à préciser le profil idéologique des personnes qui s’en revendiquent. Je vous laisse aller lire l’étude si vous voulez avoir les détails du protocole expérimental, mais je vous livre tout de suite certaines de ses conclusions ! Et vous allez voir, c’est… instructif.

Sans grande surprise pour commencer, les personnes véganes interrogées considèrent leur alimentation comme centrale dans leur identité, plus encore que les personnes anti-véganes. Mais ces dernières considèrent tout de même leur alimentation comme une composante importante de leur identité, bien plus que les personnes ayant une alimentation carnée qui ne sont pas anti-véganes.

Concernant les variables de nature idéologique, le fossé se creuse… Les personnes anti-véganes montrent les scores les plus élevés au questionnaire qui vise à évaluer la tendance à rire de la souffrance des autres ou à rire au détriment des autres. Elles utilisent plus l’humour noir, l’humour agressif ou l’humour de dénigrement que les personnes ayant une alimentation carnée, qui les utilisent elles-mêmes plus que les personnes véganes.

Ensuite, comme les chercheureuses s’y attendaient, les personnes anti-véganes ont aussi obtenu les scores les plus élevés au questionnaire portant sur la défense des hiérarchies sociales et la croyance selon laquelle certains groupes seraient supérieurs aux autres. Là encore, ce sont les personnes véganes qui ont obtenu les scores les plus bas.

On retrouve une répartition des scores comparable pour le questionnaire destiné à évaluer le spécisme des participant.es, c’est à dire le degré auquel une personne adhère à la discrimination basée sur l’appartenance à une espèce (par exemple en favorisant les êtres humains au détriment des animaux non humains, ou en favorisant une espèce animale au détriment d’une autre).

Sur le questionnaire suivant, même répartition également : les personnes anti-véganes adhèrent bien plus que les personnes ayant une alimentation carnée aux stéréotypes de genre sexistes (notamment ceux concernant la virilité, la masculinité). Là encore, les personnes véganes sont celles qui obtiennent les scores les plus bas.

Pour ce qui concerne le relativisme moral, idem : les personnes anti-véganes présentent les scores les plus élevés, devant les personnes ayant une alimentation carnée, puis les personnes véganes. Il s’agissait dans cette partie du questionnaire d’évaluer l’adhésion à la position éthique selon laquelle les postures morales sont toutes des expressions de valeurs culturelles ou d’opinions individuelles et qu’aucune d’entre elles ne peut être considérée comme objectivement vraie ou fausse. En gros, toutes les postures morales se valent dans cette conception de l’éthique.

Dans le questionnaire suivant, les chercheureuses ont mesuré le niveau de confiance général en la science. Là encore, comme c’était attendu, ce sont les personnes anti-véganes qui doutent le plus de la science, et les personnes véganes qui ont eu les scores indiquant le plus haut niveau de confiance.

En résumé, les personnes qui s’identifient comme anti-véganes présentent des scores qui les différencient nettement des personnes ayant une alimentation carnée également mais qui ne sont pas anti-véganes. Les personnes anti-véganes valident globalement plus l’idéologie spéciste et les rapports de domination sociale en général, notamment en perpétuant des stéréotypes sexistes ; elles font moins confiance à la science, adoptent plus souvent une posture de relativisme moral et pratiquent plus volontiers un humour agressif et de dénigrement.

Les chercheureuses soulignent que les éléments de profilage idéologique qui ressortent de leur étude aident à comprendre la forte opposition des anti-véganes au mode de vie végane. Iels observent notamment que les personnes véganes sont perçues comme une menace à l’idéologie spéciste et aux rapports de domination sociale défendus par les personnes anti-véganes. Une partie de cette menace symbolique porterait sur les normes de genre traditionnelles, notamment à travers le lien établi entre masculinité et consommation de viande.

Les auteurices mentionnent également les liens observés entre la pratique d’un humour noir, l’adhésion à des idéologies conservatrices, la propagation de stéréotypes masculinistes et la consommation de viande.

Pour ce qui concerne la défiance des anti-véganes vis-à-vis de la science, les auteurices supposent là encore que cela serait une conséquence possible de leur tendance à se situer à droite de l’échiquier politique, car des travaux précédents montrent une corrélation entre la méfiance envers la science et les positions politiques conservatrices et de dominations sociale.

Dans le paragraphe dédié à résumer les implications des conclusions de leur travaux, les auteurices indiquent quelque chose qui me paraît essentiel à retenir. A savoir que, puisqu’il existe un lien étroit entre l’idéologie anti-véganisme et les croyances favorables aux dominations de toutes sortes, les efforts déployés pour combattre les hiérarchies entre groupes sociaux humains peuvent possiblement avoir, par ricochet, des implications favorables à l’adoption de régimes alimentaires végétalisés… Bon, c’est une traduction personnelle de leurs propos, alors je vous invite plutôt à vous fier à la publication originale, dont je glisse comme toujours les références en bas de page :

Finally, given the strong link between anti-vegan sentiment and dominance-related beliefs, general efforts to address hierarchical group-oriented attitudes are likely to have downstream implications for the adoption of plant-based diets, beyond the wider societal benefits of reducing intergroup conflict and prejudice.

Selon moi, c’est un message très clair qui rappelle l’importance de la convergence des luttes. Que ce soit en raison des conséquences positives de la prise en considération de l’ensemble des discriminations arbitraires, bien sûr, mais aussi en raison de sa pertinence stratégique du fait de l’interconnexion des processus de discrimination et de domination. Et à mon sens, c’est le point le plus important de cette publication.

Bref, il y aurait encore beaucoup à dire sur cette étude, car les auteurices ont aussi pris le temps d’étudier le rapport identitaire à la nourriture des sujets de l’étude… et c’est tout aussi passionnant. Mais je vous laisse aller lire directement la publication pour découvrir tous ces aspects là !


L’étude mentionnée est celle-ci : Rebecca Gregson, Jared Piazza, Heather Shaw, Is being anti-vegan a distinct dietarian identity? An investigation with omnivores, vegans, and self-identified “anti-vegans”, Appetite, Volume 192, 2024, 107126, ISSN 0195-6663, https://doi.org/10.1016/j.appet.2023.107126.