C’est quoi le problème avec les « craquages » alimentaires ?

C’est quoi le problème avec les « craquages », que mes patient·es appellent aussi parfois des « écarts », des « extras », des « dérapages », des « interdits », des « ratés », des « exagérations », des « entorses », des « abus », des « cochonneries »… ? Le problème, c’est de les considérer comme tels.

Le fait de considérer certains aliments ou plats comme des « écarts » ou des « craquages » est révélateur d’une privation, souvent dans le but de perdre ou ne pas prendre de poids. Lorsqu’une personne essaie de contrôler son comportement alimentaire en se privant pour conserver son poids ou pour maigrir, on parle de restriction cognitive. Il peut s’agir de s’interdire certains aliments (généralement des aliments gras, sucrés, ou même des féculents). Mais la restriction peut aussi consister à s’imposer des limites de quantité (en pesant ses repas, en comptant ses calories, en s’interdisant de se resservir…), à s’imposer des contraintes horaires (ne pas manger de féculents le soir, ne rien manger avant midi, ne manger des gâteaux que le dimanche…).

Une personne en restriction cognitive craint de perdre le contrôle sur son alimentation et de prendre du poids. Sauf que… ces règles strictes et interdits rigides sont justement favorables à la perte de contrôle. La frustration qui découle de cette restriction (car je fais une croix sur le plaisir de manger certains aliments qui me font tant envie), cumulée à la déconnexion de ses sensations alimentaires (je n’écoute plus mes signaux de faim ni de rassasiement, mes prises alimentaires étant guidées par les règles que je me suis fixé, je ne sais donc plus dire quand j’ai faim – sauf faim intense) rendent quasi-inévitable le moment où l’on lâche complètement les rênes. Un moment de stress ou de fatigue, un contexte de tentation, un besoin de réconfort… et bim, on se retrouve à transgresser les règles dans un élan compulsif ! Il n’est d’ailleurs pas rare dans ces moments de « craquage » de consommer un aliment « interdit » en grande quantité (en se disant « Foutu pour foutu ! »).

La culpabilité intense qui découle de la transgression de ces interdits alimente souvent une envie très forte de compenser les « écarts » en s’imposant des règles plus strictes encore (consommer encore moins de féculents, sauter des repas, prendre une assiette encore plus petite en s’interdisant de se resservir…). Et c’est un cercle vicieux dans lequel on s’enferme et où le contrôle du poids et de l’alimentation prennent une place démesurée, avec un risque augmenté de ne pas satisfaire ses besoins nutritionnels (pas assez d’énergie, pas assez de nutriments) et une frustration toujours plus grande. Ce comportement restrictif n’est pas tenable sur la durée et, à terme, le plus probable est de complètement perdre le contrôle et de reprendre plus de poids que celui qui a été perdu pendant la période de restriction… Avec à la clé une baisse de l’estime de soi puisqu’on se sent en échec.

Bon, c’est bien beau de savoir tout ça, mais qu’est-ce qu’on fait quand en cas de « craquage » alors ? Hé bien, si vous êtes dans une situation où vous êtes en train de consommer un aliment que vous vous interdisez habituellement, je vous invite à essayer de garder en tête l’idée qu’aucun aliment n’est problématique en soi lorsque l’on cherche à perdre du poids. Il peut le devenir s’il prend trop de place, s’il est consommé trop fréquemment ou en trop grandes quantités, mais rien ne justifie de s’en passer complètement pour contrôler son poids. Si des pensées de culpabilité ou de honte vous habitent, je vous encourage à ne pas vous y accrocher, à les laisser s’éloigner de vous et à plutôt vous concentrer sur le plaisir gustatif que vous ressentez. Autrement dit : appréciez ce moment de dégustation, kiffez ! Et une fois ce moment délicieux terminé, je vous propose d’essayer de ne pas chercher à vous restreindre ensuite pour compenser cet « écart » : continuez votre vie comme si rien n’était. Et n’oubliez pas que l’équilibre ne se fait pas sur un repas ni même sur une journée, et que c’est normal de ne pas avoir des journées parfaites nutritionnellement parlant.

Ceci étant dit, si vous vous sentez enfermé·e dans cette dynamique de restriction et de frustration et que vous souhaitez retrouver un rapport apaisé à la nourriture, n’hésitez pas à solliciter l’accompagnement d’un·e diététicien·ne et/ou d’un·e psychologue pour vous aider à amener un peu de souplesse dans ces règles, pour retrouver une alimentation équilibrée et adaptée à vos besoins, tout en apprenant à contrôler différemment votre alimentation, notamment à travers un travail sur vos sensations alimentaires (faim, rassasiement, satiété) et le plaisir gustatif.

Et pour terminer en amenant quelques réflexions sur ces sujets, j’ai bien envie de partager le concept d’alimentation équilibrante, que j’emprunte à mon collègue Florian Saffer et qui explique en quoi un repas équilibré (de par sa composition nutritionnelle) n’est pas suffisant car cela ne répond pas forcément à l’ensemble de nos besoins, notamment affectifs :

« Pour qu’un repas puisse être équilibrant, il doit également intégrer nos besoins de satisfaction et de réconfort. Un repas est équilibrant quand il nous permet de quitter la table dans un état de grande stabilité. Cet état de stabilité se caractérise par différentes dimensions :
– disparition totale de la faim (sensation)
– non-préoccupation pour la nourriture (pensée)
– état positif de plénitude (émotion) 
»

Florian Saffer, « Je fais la paix avec mon poids », Éditions Solar, 2023