La science peut-elle évaluer la naturopathie ?

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L’autre jour je suis tombé-e sur une intervention de Christian Brun, un naturopathe de renom. Et dans son intervention, il a tenu des propos qui m’ont fait pas mal cogiter (écouter l’extrait dans la version vidéo). En gros, ce qu’il nous dit entre les lignes, c’est que la naturopathie ne peut pas démontrer son efficacité scientifiquement, parce que les outils de la méthode scientifique ne permettraient pas de saisir l’essence de la force vitale qui est à l’œuvre. En tout cas, c’est ce que moi j’en ai compris. Je me trompe peut-être, mais bon, je vais tout de même détailler ce que ça m’inspire.

Déjà, personnellement (et je pense ne pas être seul-e dans ce cas) je m’en fiche pas mal que le concept de force vitale puisse être prouvé ou pas… Je pense que ça n’a pas grand intérêt de focaliser là dessus. Ce qui m’intéresse, moi, c’est de savoir si les prétentions de la naturopathie en terme de santé sont réalistes… ou pas.

Et ça, la méthode scientifique permet de l’étudier. Alors, certes, ça demande du temps et des ressources de faire des études sérieuses, mais ça a plus de sens que d’affirmer que la science ne peut pas évaluer la naturopathie. Parce que ça, c’est faux…

Des études sur le sujet, il y en a quelques unes déjà, mais à ma connaissance aucune dont la méthodologie soit franchement rigoureuse… Et de ce fait les conclusions qui en sont tirées sont de très faible niveau de preuve… C’est dommage, parce que dans le fond, ce n’est pas si compliqué de tester la naturopathie.

Par exemple, on pourrait partir des prétentions avancées par un organisme représentatif de la profession, la Féna, fédération française de naturopathie. D’après la Féna, la naturopathie est une approche complémentaire à la médecine qui permettrait de retrouver, maintenir ou renforcer la santé. Bon ben, ça, c’est testable scientifiquement, même si les fondements invoqués, ne sont, eux, pas testables, comme par exemple les lois naturelles ou la force vitale.

Pour tester l’efficacité de la naturopathie sur la base de ces prétentions, il suffirait par exemple de monter un protocole avec deux groupes de personnes comparables, avec le plus de personnes possible pour que cela soit représentatif.

Puisque la naturopathie prétend apporter quelque chose de complémentaire, quelque chose que la médecine n’apporte pas, il s’agirait d’observer d’un côté l’évolution de l’état de santé du premier groupe, qui bénéficierait d’un suivi médical conventionnel régulier (donc avec des médecins généralistes, des médecins spécialistes, des diététicien-ne-s, des psychologues, des kinésithérapeutes etc.), et de l’autre côté on observerait l’évolution de l’état de santé du second groupe, qui aurait accès à un suivi médical conventionnel régulier (tout comme le premier groupe) ET à un suivi régulier par des naturopathes. On pourrait même imaginer que ces naturopathes soient désignés par la fédération française de naturopathie.

Sur une durée la plus longue possible on étudierait l’évolution de marqueurs biologiques mesurés au début de l’étude, mais aussi la survenue de maladies données, les guérisons, les décès etc etc. En fait, tout ça dépendrait de l’objet de l’étude. Par exemple, si on étudiait l’effet de la naturopathie sur le diabète de type 2, on regarderait si sur la période de l’étude il y a plus de diabètes déclarés dans le premier ou le second groupe, on observerait la fréquence de complications éventuelles, la survenue d’éventuelles guérisons, mais aussi l’évolution de l’IMC, de la glycémie et de l’hémoglobine glyquée pour chacun-e des participant-e-s de l’étude.

Là on aurait déjà quelque chose de pas trop mal. Et encore, ce genre d’études ne permettrait pas vraiment de conclure à l’efficacité propre de la naturopathie, puisqu’il n’y aurait pas de groupe bénéficiant d’un suivi médical régulier ET d’un placebo au lieu de la naturopathie. Avec les deux groupes que j’ai décrit, on pourrait évaluer l’efficacité de la naturopathie sans pouvoir distinguer son éventuel effet propre de ses effets contextuels.

Mais même si cette méthodologie est imparfaite, j’adorerais lire plus souvent des études comme celles-ci. Mais dans la pratique je trouve surtout des études qui compare les effets de la naturopathie avec… rien. Et c’est vraiment affligeant… C’est du même niveau que les nombreuses études qui prétendent évaluer l’efficacité propre de la réflexologie plantaire avec des protocoles dans lequel le groupe témoin ne bénéficie d’aucun massage…

Alors je guette régulièrement pour voir si je tombe à tout hasard sur une étude digne de ce nom… mais pour l’instant, rien de très sérieux à ma connaissance… Après, je peux comprendre que les organismes qui promeuvent la naturopathie ne souhaitent pas engager ce type de recherche, notamment parce que les personnes qui adhèrent à la naturopathie sont généralement peu regardantes à ce sujet, elles n’ont pas besoin de preuves scientifiques pour se former, consulter ou même ouvrir une école de naturopathie.

Mais en parallèle de cela, les naturopathes se revendiquent de plus en plus de ce qu’iels nomment « médecine intégrative », avec l’objectif affiché d’intégrer des structures médicales et de développer des partenariats avec des médecins. Dans cette logique, ça vaudrait tout de même le coup de faire ses preuves scientifiquement parlant pour convaincre les professionnel-le-s de santé…

J’espère donc voir les structures qui promeuvent la naturopathie s’engager prochainement dans des études rigoureuses, et voir les naturopathes cesser d’affirmer de mauvaise foi que la naturopathie ne peut pas être évaluée par la méthode scientifique…