L’équilibre acido-basique

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L’équilibre acido-basique est l’un des concepts phares de l’alimentation dans le cadre d’une approche naturopathique, au même titre que l’alimentation hypotoxique, l’alimentation naturelle, l’alimentation anti-oxydante ou l’alimentation anti-inflammatoire. Il y aurait beaucoup à dire sur chacun de ces aspects, mais aujourd’hui nous allons nous concentrer sur l’équilibre acido-basique uniquement et vous allez voir que c’est déjà un gros morceau…

L’équilibre acido-basique, c’est l’un des processus de régulation à l’œuvre dans l’organisme (on parle d’homéostasie). C’est un processus parmi tant d’autres, car il existe de nombreux autres processus de régulation, comme par exemple la régulation thermique pour la température du corps, l’équilibre hydro-minéral pour la teneur en eau, ou bien encore l’homéostasie phospho-calcique pour le phosphore et le calcium.

L’équilibre acido-basique permet d’ajuster la teneur en ions H+, ce qui permet de maintenir le pH du sang quasi-stable, car ce paramètre est vital. Le pH, ou potentiel hydrogène, c’est l’unité de mesure de l’acidité, qui correspond à la concentrations en protons H+ dans un milieu donné. Le pH est compris entre 0 et 14 (de la mesure la plus acide à la mesure la plus basique ou alcaline).

Pour parvenir à maintenir le pH sanguin quasi-stable, l’organisme équilibre en permanence les charges acides et basiques, en recourant aux systèmes tampons qui opèrent dans les reins et les poumons et qui permettent d’éliminer les acides en excès. Que ces acides proviennent du métabolisme ou de notre alimentation.

Si ce concept d’équilibre acido-basique est aussi central en naturopathie, c’est parce qu’en naturopathie, on part du principe que l’acidose est la cause fréquente de nombreux problèmes de santé, car elle déséquilibrerait le « terrain » dans sa globalité.

Dans les cours de naturopathie que j’ai reçus, comme dans de nombreux ouvrages à ce sujet, on trouve mentionné le risque d’acidose tissulaire : lorsque les systèmes tampons sont dépassés et ne parviennent plus à éliminer correctement les acides en excès, ces derniers seraient stockés dans les tissus conjonctifs et les articulations, ce qui aurait des conséquences plus ou moins graves en terme de santé.

Notamment des pathologies inflammatoires qui seraient liées à l’agressivité des acides, comme par exemple la conjonctivite, la gingivite, des inflammations digestives de type œsophagite, gastrite ou colite, la cystite, les dermatites, la sciatique, les tendinites, ou bien même l’arthrite et d’une manière générale toutes les pathologies qui terminent en « -ite ».

D’autres conséquences de l’acidose tissulaire seraient des manifestations diverses de déminéralisation, telles que l’ostéoporose, des ongles mous, cassants ou dédoublés, des dents cariées, des cheveux secs, cassants et qui tombent.

Il résulterait aussi de l’encrassement des organes et des tissus par les acides des pathologies de type arthrose, fibroses, calculs rénaux ou salivaires…

Et pour finir de dresser cette liste déjà bien dense, je me dois de mentionner d’autres manifestations de l’acidose tissulaire : la mauvaise haleine matinale, les pathologies chroniques de manière générale, les migraines, les perturbations du sommeil, le manque d’entrain, l’irritabilité, la fatigue, la transpiration abondante nocturne, les pertes blanches, la peau sèche, la frilosité, les crampes ou douleurs musculaires, l’hypertension artérielle, les douleurs articulaires, ou bien encore les douleurs intercostales…

Bon, tout ça, ça ne fait pas très envie… Et pourtant, en lisant la liste des manifestations de l’acidose tissulaire, on aurait tendance à trouver au moins une ou deux choses qui nous concernent personnellement. Un peu comme si on ne pouvait pas éviter d’être concerné-e-s tant les manifestations sont diverses et surtout variées…

Au delà de cette liste de manifestations très dense, un autre moyen de déterminer si l’on est en acidose tissulaire serait de mesurer le pH de ses urines sur plusieurs jours, et d’analyser les données à la lumière des informations que je précise dans ce tableau.

Bon, tout ça c’est bien beau, mais maintenant, on va voir d’où ça vient, cet état d’acidose tissulaire. Dans la conception naturopathique du concept d’équilibre-acido-basique, on identifie plusieurs causes :

  • La consommation de certains médicaments,
  • Les éliminations insuffisantes liées à la sédentarité, au stress ou à une trop faible consommation d’eau,
  • Les fermentations digestives liées à des incompatibilités alimentaires, des intolérances alimentaires, la suralimentation, le grignotage ou le stress,
  • La mauvaise oxygénation des tissus liée à la sédentarité, au stress, aux pollutions diverses,
  • Le stress d’une manière très générale,
  • Mais aussi et surtout les aliments acides ou acidifiants…

Les recommandations alimentaires faites dans un contexte naturopathique se fondent donc très souvent sur la notion de « diète alcalinisante ». Diète qui serait supposée contribuer à l’équilibre acido-basique et permettrait donc de corriger ou prévenir un état d’acidose.

Bien évidemment, ces recommandations alimentaires ne viennent pas seules : y sont ajoutées des recommandations destinées à favoriser l’élimination par les organes dits émonctoires que sont les reins, le foie, les poumons et la peau (avec l’activité physique, le sauna, ou à grand renfort de compléments supposés drainer et/ou détoxifier). Il est aussi question de travailler à réduire le stress, de mettre en place une activité physique adaptée, et de re-minéraliser la personne, si besoin avec des compléments alimentaires.

Pour en revenir aux recommandations alimentaires, puisqu’elles sont centrales dans la conception naturopathique de l’équilibre acido-basique, quelques précisions sont nécessaires. Il est question de limiter les aliments acides tels que la tomate, les agrumes (sauf le citron), les aliments et boissons lactofermentés, le vinaigre… et les aliments considérés comme acidifiants tels que les sources de protéines animales (produits laitiers, viandes, charcuteries…), les sources de purines (thé, café, chocolat, légumineuses…), les graisses saturées ou hydrogénées, le sucre blanc, les sodas, les aliments raffinés en général, l’alcool et les plats préparés.

Il est souvent fait référence à l’indice PRAL pour déterminer quels aliments sont acidifiants, neutres ou alcalinisants. Mais on remarque que de nombreux aliments qui ne sont pourtant pas acidifiants sur la base de cet indice sont déconseillés fortement dans le cadre de l’alimentation recommandée pour corriger l’acidose tissulaire.

Bon, en gros, cela revient à recommander d’adopter une alimentation à dominante végétale, avec des aliments peu ou pas raffinées, beaucoup de légumes, peu de sucre, peu de plats préparés, peu d’alcool, de thé ou de café. Ce qui en soit ne peut pas faire de mal…

Sauf que… tout cela n’a pas vraiment de fondement. Enfin, ce que je vous ai décrit de l’équilibre acido-basique au tout début si. Mais dès que j’ai commencé à parler d’acidose tissulaire, ça s’est sérieusement gâté…

Parce que l’acidose n’a en réalité rien à voir avec l’acidose décrite pas les naturopathes et autres pseudo-thérapeutes. Il ne s’agit pas d’une pathologie causée par une alimentation trop acidifiante, le maque d’activité physique, une vie stressante ou un environnement pollué. Il s’agit d’une pathologie rénale et/ou respiratoire grave qui nécessite des soins médicaux parfois urgents et adaptés aux causes exactes de cette pathologie, qui peuvent être diverses. Et c’est seulement dans ces cas là, lorsque les systèmes tampons des reins et des poumons dysfonctionnent, que le caractère acidifiant ou alcalinisant de l’alimentation a du sens pour préserver l’équilibre acido-basique.

En dehors de ces situations qui nécessitent une prise en charge médicale et dans lesquelles votre médecin vous recommandera en complément une alimentation alcalinisante, votre organisme sait très bien s’adapter et gérer seul les charges acides excessives, de la même manière que votre organisme n’a pas besoin de votre aide pour réguler sa température : il le fait de manière automatique.

S’imposer une rigueur prétendument alcalinisante lorsque l’on est pas en état d’acidose métabolique, c’est aussi peu justifié que de refuser d’être exposé-e à une température extérieure éloignée de 22°C au prétexte que l’organisme ne saurait pas s’y adapter.

La très longue liste des manifestations d’acidose que je vous ai retranscrite n’a pas de rapport avec l’état d’acidose scientifiquement fondé. Pas plus que les mesures de votre pH urinaire d’ailleurs. Ces variations de pH sont justement la manifestation du bon fonctionnement de vos reins et de leur aptitude à éliminer les acides.

Si les recommandations que vous avez reçues d’un-e naturopathe vous ont fait du bien, c’est n’est pas parce que vous étiez acidifié-e. C’est simplement parce que vous avez adopté une activité physique adaptée, parce que vous avez éliminé certaines sources de stress ou appris à les gérer, parce que vous avez amélioré votre alimentation en réduisant les sucres, les graisses saturées et en augmentant votre consommation de végétaux et de produits complets. Et tout cela n’a absolument rien à voir avec la correction d’une prétendue acidose tissulaire, et encore moins avec une acidose métabolique.

Oui, parce que quelque part c’est jouer sur les mots que de parler d’acidose tissulaire pour prétendre parler d’une condition autre que l’acidose métabolique. Alors, c’est astucieux, certes, mais ça ne fait pas exister l’acidose tissulaire pour autant, et cela ne justifie pas non plus les prétentions de la diète alcalinisante…

Pourtant, malgré son absence de fondements, l’équilibre acido-basique dans sa conception naturopathique fait vendre d’innombrables ouvrages et est un des piliers des enseignements naturopathiques… J’espère donc que cet article pourra contribuer à amener un peu de discernement et permettra de poser un regard éclairé et critique sur les prétentions en lien avec ce sujet.

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