Les tempéraments hippocratiques

S’il vous est plus agréable d’écouter ou de regarder une vidéo plutôt que de lire cet article, retrouvez son contenu en ligne sur l’une de mes chaînes :


En regardant la vidéo de Serge Bret-Morel sur le signe astrologique de Vladimir Poutine (oui oui, cette vidéo existe!), j’ai repensé aux fameux tempéraments naturopathiques et hippocratiques, souvent utilisés en naturopathie…

Si j’en crois les enseignements que j’ai reçus à ce sujet, les tempéraments seraient déterminés par des aptitudes physiques données, des comportements donnés et une certaine morphologie. Chaque tempérament serait « arrosé » de manière différente par la « force vitale », d’où ces différences. S’il existe apparemment un tempérament dominant en chacun-e de nous, nous aurions en nous toustes les tendances des tempéraments différents et il serait possible que notre morphologie ne corresponde pas tout à fait à notre tempérament dominant.

L’intérêt de déterminer le tempérament dominant d’une personne dans le cadre d’un « bilan de santé » serait de révéler les points forts, les points faibles, ainsi que la façon de fonctionner de cette personne. Cela permettrait, en complément de l’évaluation de l’état du terrain et de la vitalité de la personne, de prodiguer des conseils d’hygiène de vie adaptés, de régler les problèmes de l’instant présent, ceux du passé, et de prévenir les problèmes à venir.

De telles prétentions, ça laisse rêveur ! Du coup, en relisant mes cours de naturopathie à ce sujet, j’ai eu très envie de mettre les tempéraments à l’épreuve de la réalité en réalisant une petite expérience via les réseaux sociaux. J’ai d’abord du définir l’objet de l’expérience. Pour me faciliter le travail, et aussi parce que ce sont les plus utilisés, j’ai choisi de travailler sur les 4 tempéraments hippocratiques plutôt que sur les 6 tempéraments naturopathiques.

Dans un premier temps, j’ai dressé un tableau récapitulatif des caractéristiques de chacun des 4 tempéraments : lymphatique, sanguin, bilieux et nerveux. Pour ce faire, je me suis exclusivement basée sur le contenu de mes cours de naturopathie validés par la fédération française de naturopathie. Donc a priori sur ce qu’il y a de plus fiable à ce sujet.

Je vous mets le-dit tableau ci-dessous, mais en résumé, très grossièrement, on pourrait dire que le tempérament lymphatique correspond à une personne de corpulence assez importante, plutôt passive, calme, gourmande, sensuelle et adaptable, amatrice d’activités sportives aquatiques et sujette aux œdèmes et troubles lymphatiques. Le tempérament sanguin correspond plutôt à une personne active, sociable, qui aime bien manger, dépensière, amatrice de sports collectifs, joueuse et compétitive, sujette aux pathologies cardio-vasculaires. Le tempérament bilieux correspond quant à lui à une personne organisée et créative qui a tendance à dominer les autres, mais aussi confiante et meneuse, au physique énergique et anguleux et sujette aux troubles hépatiques. Enfin, le tempérament nerveux correspond à une personne chétive plutôt anxieuse, indécise, frileuse, introvertie, prudente, peu sportive et sujette aux troubles principalement nerveux.

J’ai ensuite crée un questionnaire en partant de ce tableau. Pour chaque catégorie, je proposais donc 4 réponses correspondant chacune à un tempérament différent, dans un ordre aléatoire. C’est à dire que pour chaque question, les réponses correspondaient aux 4 tempéraments, mais dans un ordre différent de la question précédente. L’idée c’était de proposer aux personnes de répondre de manière spontanée et sincère en choisissant la réponse qui s’approche le plus (ou qui s’éloigne le moins) de la perception qu’elles ont d’elles-mêmes.

Pour éviter les tensions liées au contexte dans lequel j’ai diffusé ce questionnaire (à savoir entre les deux tours des Présidentielles françaises), j’ai choisi de ne pas mentionner les caractéristiques liées au comportement électoral. Et pour des raisons évidentes d’inclusivité, j’ai choisi de ne pas mentionner non plus les caractéristiques du teint de la peau, car elles ont visiblement été pensées par et pour des personnes blanches uniquement…

Pour terminer ce questionnaire comprenant 15 questions avec 4 réponses possibles pour chacune d’entre elles, j’ai choisi d’ajouter à la fin une question sur la connaissance des tempéraments hippocratiques. Cette question avait pour unique but de mettre de côté les réponses (forcément biaisées) des personnes qui connaissent sur le bout des doigts les caractéristiques des 4 tempéraments…

Avant d’analyser les résultats obtenus, je me suis entendue avec moi-même sur une méthodologie. Je souhaitais tester l’hypothèse selon laquelle on retrouvait chez une majorité de personnes les caractéristiques d’un tempérament hippocratique dominant, à travers des affirmations sur leur comportement, leurs aptitudes et leur morphologie.

Retrouve-t-on chez une majorité de personnes les caractéristiques d’un tempérament hippocratique dominant ?

Au départ, je me suis dit que pour déterminer le caractère dominant, il fallait qu’une personne coche une majorité de réponses relevant d’un même tempérament, donc au moins 8 sur 15 réponses.

Mais on m’a fait remonté l’information selon laquelle les réponses proposées pouvaient parfois être évitées du simple fait qu’elles renvoient à des qualificatifs perçus comme négatifs. Sur les questions pour lesquelles les 4 réponses incluent des qualificatifs perçus comme négatifs, ça n’a pas grande influence (par exemple la question sur les principaux défauts). Par contre, il y avait 2 questions pour lesquelles deux des réponses seulement contenaient des propositions perçues comme négatives. Sur ces deux questions, les réponses risquaient donc d’être plutôt orientées vers les deux réponses perçues comme plus positives. Alors pour prendre en compte cette possibilité, j’aurais pu réduire le seuil permettant de déterminer le caractère dominant à 6 réponses sur 15 au lieu de 8. Mais puisque le questionnaire était administré de manière absolument anonyme, j’ai estimé que les réponses seraient de toute façon moins biaisées que celles obtenues lors d’une consultation naturopathique en tête à tête, où la crainte d’être jugé-e est forcément plus grande et où l’on ne connaît qu’une infime partie de la personnalité de la personne qui est en face de nous. Du coup j’ai conservé un seuil de 8 réponses sur 15.

En 5 jours de temps, j’ai reçu 89 réponses à ce questionnaire, dont 83 émanent de personnes dont la méconnaissance des tempéraments hippocratiques limite les biais. Alors, bien évidement, avec un si petit nombre de réponses et tous les biais liés à l’auto-administration du questionnaire, cette expérience n’est pas vraiment représentative… Mais ça reste amusant et ludique, alors j’ai choisi de tout de même analyser les résultats obtenus !

Sur ces 83 réponses exploitables, seules 9 présentent au moins 8 réponses correspondant à un même tempérament sur la base de leur morphologie, soit moins de 11 %… C’est à dire que sur l’ensemble des personnes qui ont répondu, à peine 1 sur 10 présente une majorité de caractéristiques concordant avec le tempérament qui correspond à son apparence physique. C’est assez éloigné de la majorité tant attendue… (voir note de bas de page à ce sujet)

Si on est particulièrement charitable et que l’on occulte l’importance accordée à la morphologie, on trouve des résultats un peu plus probants : sur 83 personnes, 27 présentent au moins 8 réponses correspondant à un même tempérament. C’est à dire qu’environ un tiers des personnes interrogées correspondent majoritairement aux caractéristiques dépeintes pour un tempérament donné, avec ou sans correspondance morphologique.

Et si on cherche la proportion de personnes qui ont répondu très franchement majoritairement aux caractéristiques de l’un des tempéraments (avec 10 réponses sur 15) sans considération de morphologie, on tombe à 3 personnes, soit moins de 4 % des personnes qui ont répondu… Et sur ces 3 personnes, aucune ne présente la morphologie correspondant aux caractéristiques du tempérament dominant exprimé. C’est donc finalement très décevant… Il semblerait que dans la réalité, nous ne soyons donc pas une majorité à avoir les caractéristiques d’un tempérament hippocratique dominant…

Bon, personnellement, ça ne me surprend pas vraiment… Ça me surprend d’autant moins que les tempéraments et leurs variantes, il en existe autant que vous en voulez ! Ce qui est assez pratique, comme ça on peut toujours finir par trouver une description dans laquelle on se reconnaît parfaitement.

Dans l’ouvrage du naturopathe Daniel Kieffer « Guide personnel des bilans de santé » par exemple, on trouve une bonne quinzaine de classifications de différents tempéraments, constitutions et autres typologies supposées donner des indications sur la personnalité à partir de traits physiques : tempéraments naturopathiques, constitutions hippocratiques, constitutions homéopathiques, constitutions iridologiques, constitutions selon le groupe sanguin ou les empreintes digitales, constitutions astro-planétaires, tempéraments phrénologiques (étude de la forme du crâne et des bosses du front), profils psycho-hormonaux, tempéraments neurologiques, tempéraments ayurvédiques, tempéraments chinois, diathèses de Ménétrier, diathèses naturopathiques, ou encore typologie animalière.

On voudrait nous faire croire qu’à partir de nos caractéristiques physiques, il serait possible de déterminer nos traits de personnalités, nos prédispositions en terme de santé et les risques que nous encourront le plus souvent. C’est l’objet même de toutes ces variantes qui existent autour de la physiognomonie ou de la morphopsychologie… Ces disciplines pseudo-scientifiques dont on connaît les dérives racistes et antisémites notamment…

Ce n’est pas sans raison que les seules occurrences faisant référence à la théorie des humeurs et des tempéraments hippocratiques dans la littérature scientifique récente figurent dans des articles sur l’histoire de la médecine… et nul par ailleurs.

En bref, méfiez vous des personnes qui prétendent lire sur votre visage ou sur votre silhouette vos traits de personnalités ou vos prédispositions en terme de santé : tout cela n’a aucun fondement. Et sur un sujet comparable, vous serez peut-être intéressé-e par la vidéo que j’ai faite au sujet de l’iridologie, cette discipline qui consiste à tirer des conclusions à partir de l’observation de la partie colorée de vos yeux…


J’ai partagé les données anonymisées de cette petite expérience avec mon collègue du Cortecs Nicolas Martin, docteur en mathématiques (donc forcément plus qualifié que moi pour faire des stats/proba ^^). Il a notamment produit un graphique intéressant sur ce qu’il a appelé le « pouvoir prédictif de la morphologie » . Le voici reproduit ci-dessous, avec son aimable autorisation :

Pour compléter le graphique, il précise :

« On regarde combien de gens ont 1 réponse qui correspondrait à leur morphologie, 2 réponses qui correspondrait à leur morphologie… et on le compare à ce qu’on aurait du trouver avec des réponses au hasard. Par exemple, avec des réponses aléatoires on devrait avoir ~22% des réponses qui collent à la morphologie et on observe seulement ~15%… Globalement ce qui est observé suit à peu près bien ce qu’on attendrait de réponses aléatoire. Donc il semble que la morphologie est vraiment un critère tout pourri pour prédire les autres traits. »

CQFD. Merci Nicolas !