Naturopathie, médecine et science

La naturopathie entretient un rapport compliqué avec la médecine, et la science d’une manière plus générale. Dans cet article, je vous livre quelques unes de mes réflexions à ce sujet. J’y évoque le rapport ambigu de la naturopathie aux médecins, je détaille également les limites de la démarche pseudo-scientifique de cette discipline, j’aborde aussi le vocabulaire naturopathique emprunté à la médecine, et je termine en me focalisant sur l’ambiguïté conséquente du « bilan de santé » naturopathique (diagnostic ou pas ?…).


S’il vous est plus agréable d’écouter ou de regarder une vidéo plutôt que de lire cet article, retrouvez son contenu en ligne sur l’une de mes chaînes, en deux volets :


La naturopathie est définie comme une méthode destinée à préserver ou améliorer sa santé et sa qualité de vie, en permettant à son organisme de s’auto-régénérer par des moyens dits « naturels ». Comme par exemple l’alimentation, l’hygiène de vie (donc le sommeil et l’activité physique), les soins à base d’eau, les exercices respiratoires ou bien encore les remèdes à base de plantes sous diverses formes.

Cette pratique à visée thérapeutique entretient un rapport compliqué avec la médecine, et la science d’une manière plus générale. Je voudrais vous livrer ici quelques unes de mes réflexions à ce sujet, en abordant différents aspects de la complexité de cette relation entre naturopathie, science et médecine.

Pour préciser mon propos, je voudrais ajouter au préalable que si je parle de la naturopathie, c’est parce que c’est la pratique que je connais le mieux, pour l’avoir moi-même pratiquée. Mais ces réflexions restent pertinentes pour d’autres pratiques thérapeutiques dites « alternatives ».

Naturopathie et médecins : oui… mais non !

En général, naturopathie et médecine, ça ne fait pas bon ménage… Il se dégage de la pratique naturopathique une méfiance prononcée à l’encontre des médecins. Et dans le même, si je m’en réfère aux contenus des publications, des ouvrages ou des formations en naturopathie, de nombreux médecins servent de références. Mais il faut bien préciser que sont pas tous logés à la même enseigne. Lorsque des médecins sont évoqués dans un contexte naturopathique, c’est toujours dans l’un des quatre cas suivants :

En premier lieu, les médecins de l’antiquité, qui sont mentionnés pour être glorifiés dans leur approche « naturelle » et religieuse de la santé. Pythagore et Hippocrate notamment.

Puis des médecins plus récents sont pris en exemple : des médecins dont les travaux et hypothèses alimentent une vision de la santé compatible avec la naturopathie. Et ce, même si la preuve de l’invalidité de ces travaux et hypothèses a été apportée, parfois même de leur vivant. Je pense par exemple à Samuel Hahnemann, inventeur de l’homéopathie (je vous renvoie d’ailleurs à la très complète série que la chaîne La Tronche en Biais a dédié à ce sujet, ou aux cours de Richard Monvoisin – voir liens en dessous de l’article). Un autre médecin central dans la naturopathie, c’est Antoine Béchamp et sa théorie des microzymas : celui-ci considérait que toute cellule animale ou végétale pouvait, sous certaines conditions, évoluer en bactérie pathogène. Les naturopathes se réfèrent aussi à Jules Tissot, dont les travaux complètent ceux de Béchamp et le font s’opposer fermement à la vaccination, en conseillant plutôt aux parents de retirer les farines de céréales de l’alimentation de leurs enfants. Car il aurait trouvé la source de la typhoïde, du typhus et de la diphtérie respectivement dans des moisissures de maïs, d’avoine et d’orge. Sont également cités les travaux de Pierre Delbet et d’Auguste Neveu sur le chlorure de magnésium et ses prétendues vertus curatives, Jean Seignalet et son régime hypotoxique, Catherine Kousmine et sa médecine orthomoléculaire, Mirko Beljanski et ses remèdes miraculeux contre le cancer et le Sida et de nombreux autres médecins dans cette lignée. Dans un autre registre, le Docteur Edward Bach remporte un franc succès auprès des naturopathes, avec ses élixirs floraux. Elixirs qui sont supposés avoir un pouvoir de ré-équilibrage émotionnel, mais qui n’ont pourtant pas les effets annoncés… Ou bien encore René Quinton, qui n’était pas pas médecin mais biologiste, et qui a développé une hypothèse selon laquelle les conditions idéales pour les cellules vivantes seraient celles du milieu marin. Il a donc développé une thérapie basée sur des injections d’eau de mer et ouvert plusieurs dispensaires pour exercer ses méthodes. Le plasma Quinton figurait dans le dictionnaire Vidal jusqu’en 1975, et remporte encore aujourd’hui un grand succès au sein des thérapies dites « naturelles ». Il est encore commercialisé à un prix très élevé, malgré le fait qu’il n’ait jamais été prouvé qu’il présente un intérêt supérieur à une basique solution physiologique…

Les naturopathes se prévalent de ces méthodes ou théories aux apparences scientifiques, en se reposant sur l’argument d’autorité que constitue le titre de médecin de leurs auteurs. Mais étonnamment, les naturopathes ne s’encombrent pas du fait que l’ensemble du monde scientifique considère par contre que ces méthodes ou théories n’ont strictement aucune validité. Dans cette même logique, les naturopathes se prévalent des paroles de médecins contemporains qui se distinguent par leur interprétation très libre des publications scientifiques, leurs discours sans fondement et leurs méthodologie frauduleuse, tels que Henri Joyeux, Louis Fouché, Christian Perronne et Didier Raoult.

Le troisième contexte dans lequel les naturopathes font référence à des médecins, c’est pour en travestir les travaux et les paroles, afin de servir une vision de la santé compatible avec la naturopathie. Vision que ces médecins dénonceraient sûrement haut et fort s’ils étaient encore en vie. Car on leur invente parfois des citations, et on fait dire à leur travaux… le contraire de ce qu’il en ressort en réalité. Le plus célèbre d’entre eux est Claude Bernard, médecin du 19ème siècle qui a permis d’énormes avancées dans la science expérimentale, et à qui la naturopathie emprunte la notion de « milieu intérieur » pour calquer dessus sa notion de « terrain », et utilise à tort et à travers la notion d’ « homéostatie » qu’il a développée. Mais on y reviendra…

Et enfin, certains médecins sont cités pour être critiqués, car leurs travaux sont perçus comme nuisibles à la santé : le meilleur exemple en est Louis Pasteur et son invention de la vaccination, perçue par les naturopathes comme une pratique néfaste. (et à ce sujet, je vous renvoie vers l’excellence vidéo de Defakator que je mets en lien en dessous de l’article)

Si j’essaie de résumer un peu : les médecins cités par les naturopathes le sont dans quatre contextes différents : pour mettre en avant une vision de la santé qui prévalait il y a plus de 2000 ans, pour valoriser des pratiques de santé et des théories qui sont la risée de la communauté scientifique, pour travestir les travaux de médecins célèbres, ou bien encore pour être critiqués sans fondement.

Naturopathie, rigueur scientifique et esprit critique

Ce constat n’a pas grand chose de surprenant, puisque qu’il s’inscrit dans une démarche de recherche de caution scientifique, sans pour autant emprunter à la rigueur de la méthode scientifique.

Pour préciser mon propos, ce que je dénonce ici, c’est le travers (que j’ai eu moi-même d’ailleurs) de vouloir recourir à un argumentaire scientifique, sans faire preuve de la rigueur nécessaire. Parce que cette rigueur, elle s’apprend, on ne peut pas l’inventer.

En l’occurrence, dans le milieu naturopathique (comme dans la vie courante d’ailleurs), c’est un peu un cas d’école : on retrouve toutes les erreurs et les biais caractéristiques de toute démarche balbutiante dans le monde de la science.

Par exemple, les naturopathes ont rarement conscience de l’existence d’une échelle des niveaux de preuve. Les témoignages et les paroles d’experts auto-proclamés servent souvent d’uniques fondements à leur argumentation. Dans l’ignorance la plus totale du consensus scientifique sur les sujets abordés. Par chance, des fois ça colle (comme quand on recommande à une personne de moins fumer pour réduire le risque de développer un cancer), mais des fois c’est n’importe quoi… (comme quand on recommande à une personne de ne jamais consommer de soja ou de céréales car ils seraient toxiques).

Dans la même logique, même lorsqu’elles sont mises face à l’évidence des publications scientifiques qui concluent que la réflexologie plantaire n’a pas plus d’effet qu’un placebo, les personnes qui pratiquent cette technique persistent à croire en son efficacité sur la base du constat de menus effets sur leurs clients et clientes.

Par ailleurs, les quelques naturopathes qui cherchent des fondements scientifiques à leur pratiques tombent très souvent dans une lecture erronée des publications scientifiques. Comme la plupart des personnes qui ne sont pas formées à cela, les naturopathes ne savent pas, pour la plupart, évaluer la qualité d’une étude scientifique, apprécier le poids d’une méta-analyse face à la publication d’un avis d’expert. Leurs recherches sont par ailleurs souvent orientées par un biais de confirmation. Et quand on oriente ses efforts dans la recherche de ce qui confirme ce que l’on pense, on tombe rarement (ou moins souvent) sur des publications qui contredisent nos croyances. Ou alors, par malhonnêteté, on procède à du cherry picking, c’est à dire que l’on omet volontairement ce qui n’alimente pas notre croyance, en choisissant de ne mettre en avant que ce qui nous conforte dans notre vision du sujet abordé. C’est ainsi que certaines personnes défendent encore l’efficacité supérieure de l’homéopathie sur un traitement placebo et des liens de causalité entre vaccination et autisme.

Comme on l’a évoqué précédemment, les naturopathes et autres thérapeutes alternatifs usent et abusent également des arguments d’autorité : la parole de certaines personnes ne souffre d’aucune remise en question si elles sont considérées comme expertes ou fondatrices de quelque théorie ou outil utile à la pratique de la naturopathie. C’est le cas par exemple du Professeur Luc Montagnier, dont le prix Nobel sert de caution scientifique à la théorie de la mémoire de l’eau et aux travaux du Docteur Jacques Benveniste et de Masaru Emoto. Et pourtant, cette théorie a été maintes et maintes fois invalidée….

Les naturopathes nient régulièrement les consensus scientifiques et balayent d’un revers de main toute étude sérieuse qui contrevient à leur vision de la santé, au prétexte que la science serait corrompue. On pourrait donc se demander pourquoi les naturopathes persistent, dans le même temps, à se prévaloir des travaux ou publications scientifiques de certains médecins, en utilisant ce titre comme preuve de la validité de leurs travaux. Hé bien tout simplement parce que dans le milieu naturopathique, on considère ces médecins comme des professionnels compétents silenciés par un système de santé et une communauté scientifique aux bottes de l’industrie pharmaceutique. Le fait que ces médecins soient désavoués par leurs pairs, voire radiés de leur ordre professionnel ou condamnés pour la fraude de leurs travaux est également perçu comme alimentant cette vision complotiste d’une science sous l’emprise de Big Pharma. S’il y a bien sûr beaucoup à redire sur notre système de santé, ses rouages, ses failles et ses influences, la vision qu’en ont les naturopathes et exagérément faussée. Et ce qu’il y a de pratique avec une telle vision du monde (ou de triste selon le point de vue), c’est qu’aucun élément de preuve n’est jamais convaincant pour les personnes qui y croient. C’est à dire que l’on est dans une telle irrationalité qui fonctionne en circuit fermé que rien ne peut infléchir cette position. C’est d’ailleurs, entre autres, cette irréfutabilité qui permet de qualifier la naturopathie de pseudo-science.

Un autre argument fallacieux qui ponctue les discours naturopathiques, c’est évidemment l’appel à la nature. Cela consiste à croire que ce qui est considéré comme naturel est nécessairement meilleur, selon une logique qui emprunte plus à la croyance qu’à une réalité factuelle.

D’une part il est impossible de déterminer avec exactitude ce qui relève du « naturel ». Cette impossibilité à définir ce qui est naturel transparaît d’ailleurs dans la diversité incohérente de que ce qu’on lui oppose, et qui n’est pas déterminable non plus : ce qui est « chimique, synthétique, humain, moderne, ou encore artificiel ». Une pomme par exemple, c’est censé être naturel. Mais cette pomme, elle vient d’un pommier dont la variété a été sélectionnée par les êtres humains depuis des milliers d’année. Elle a été cultivée. Elle a reçu des traitements. Elle a été cueillie mécaniquement. Elle a été livrée au magasin en camion. Elle est vendue dans un supermarché dont la caisse fonctionne avec de l’électricité. Et on pourrait continuer longtemps à creuser comme ça… Alors, cette pomme ? Qui décide de si elle est naturelle ou pas, et selon quels critères ? En réalité, personne ne détient une définition objective de ce qu’est la nature et de ce qui est naturel : ces concepts sont indéfinis car ils ne relèvent d’aucune réalité concrète.

D’autre part, le caractère prétendument « naturel » de quelque chose n’est jamais la garantie que cette chose soit bénéfique ou meilleure pour nous. Par exemple, de nombres choses considérées comme naturelle sont pourtant mortelles et/ou sources de souffrances : les champignons toxiques, les maladies en général, les métaux lourds, etc… Une version « naturelle » de quelque chose n’est pas non plus nécessairement préférable. Si l’on prend l’exemple d’un comprimé d’aspirine, en comparaison avec de l’écorce de saule blanc, la biodisponibilité et la concentration en principe actif du comprimé soulage bien plus efficacement une migraine ou une fièvre excessive qu’une infusion d’écorce de saule blanc… Ainsi, le caractère « naturel » d’une chose ne dit absolument rien sur le fait qu’elle soit bénéfique ou pas, préférable ou pas.

Enfin, la naturopathie regorge d’appels à la tradition et à l’ancienneté. Les pratiques anciennes (ou prétendues anciennes) de santé sont perçues comme meilleures car à la fois plus « naturelles » et plus « traditionnelles ». La naturopathie emprunte en effet énormément aux médecines traditionnelles de tous les continents, plus ou moins remises au goût du jour. Par exemple avec les humeurs et tempéraments hippocratiques, l’énergie vitale (empruntée au prana hindouiste ou au chi de la médecine traditionnelle chinoise), les techniques d’hydrothérapie, le jeûne (d’inspiration religieuse), les soins à l’argile, la théorie des signatures etc.

Et de ce point de vue là, ce n’est pas non plus le raisonnement le plus rationnel. Car ce qui est perçu comme traditionnel ou ancien n’est pas nécessairement meilleur. En terme de santé et de médecine par exemple, on a fort heureusement abandonné de nombreuses pratiques traditionnelles qui ont pourtant eu un fort succès à une époque : la trépanation, les interventions chirurgicales sans anesthésie et les saignées par exemple. Ainsi, le caractère « ancien » ou « traditionnel » d’une chose ne dit absolument rien sur le fait qu’elle soit préférable ou pas. Pourtant, la naturopathie continue à affirmer une prétendue supériorité des thérapeutiques dites naturelles, anciennes ou traditionnelles.

En bref, la naturopathie repose sur des fondements dont certaines personnes voudraient les faire passer pour rationnels et scientifiques, en ignorant les nombreux biais et arguments fallacieux qui les sous-tendent. Ces fondements pseudo-scientifiques ne résistent en effet pas à une analyse un tant soit peu critique et scientifique.

Lorsque des naturopathes revendiquent le caractère scientifique de leur méthode, c’est uniquement en s’appuyant sur les travaux de médecins ou chercheurs … qui n’ont justement rien de scientifique et sont décriées par les personnes exerçant avec rigueur.

Un vocabulaire naturopathique qui emprunte à la médecine… mais des fois surtout pas !

La terminologie employée par les naturopathes relève d’une contradiction évidente : il s’agit d’éviter le vocabulaire médical, tout en utilisant des termes médicaux choisis et détournés. L’équilibre est délicat…

Pendant la période de formation, il est notamment fortement déconseillé de recourir à des termes pouvant laisser entendre qu’il s’agirait d’une forme d’exercice illégal de la médecine : on propose notamment de remplacer les termes « patients », « diagnostic » et « consultation » par des termes plus flous tels que « consultants », « bilan de vitalité » et « accompagnement holistique », par exemple. Dans cette logique, un florilège de termes et concepts non médicaux structurent la pratique naturopathique, tentant de faire oublier qu’il s’agit bel et bien d’un accompagnement à visée thérapeutique : on parle de terrain, de forces, de faiblesses, d’énergie vitale, d’hygiène vitale, de bilan de vitalité, de pratique holistique, de tempéraments naturopathiques, ou bien encore de lois naturelles… Mais ce changement de terminologie ne change rien à la pratique, ni au fait que la plupart des naturopathes contribuent activement (parfois sans en avoir conscience) à éloigner directement ou indirectement de la médecine conventionnelle.

J’ai d’ailleurs le souvenir précis de l’avocate de la fédération française de naturopathie encourageant vivement des centaines de naturopathes en devenir à ne jamais rédiger de recommandations écrites à leur clientèle. Afin d’éviter tout risque de poursuite pour exercice illégal de la médecine.

Et dans le même temps, en parallèle de cette prudence terminologique, la naturopathie n’hésite pas à se ré-approprier et à détourner des termes médicaux pour s’octroyer une caution prétendument scientifique. Par exemple, vous entendrez couramment les naturopathes manier les concepts d’acidose, d’équilibre acido-basique, d’intolérances alimentaires, d’homéostasie, de toxines, de détoxification, d’inflammation, d’anti-oxydant, de microbiote intestinal, de probiotiques, de milieu intérieur, ou de iatrogénie…

Alors, clairement, ce serait interminable de vous expliquer point par point dans cet article en quoi ces concepts médicaux ou scientifiques sont détournés par la naturopathie de leur sens réel. Mais je vais m’attarder sur deux d’entre eux, qui sont parmi les fondements de la pratique naturopathique : le « terrain » et l’équilibre acido-basique.

La notion de « terrain » en naturopathie est une récupération des travaux du médecin Claude Bernard. Elle repose sur les concepts d’homéostasie et de milieu intérieur qu’il a développés au 19ème siècle et qui sont les fondements de la physiologie moderne. L’homéostasie c’est le phénomène par lequel un facteur est maintenu à une valeur bénéfique au système donné, par un ensemble de processus de régulation. Autrement dit, appliqué à notre organisme, c’est l’aptitude que notre corps a de réguler par lui-même différents paramètres pour se maintenir en bonne santé. L’organisme sait par exemple maintenir une température idéale malgré la température extérieure, maintenir une glycémie convenable quels que soient nos repas, ou bien encore assurer une oxygénation des tissus adaptée à nos activités.

Le milieu intérieur, autre concept développé par Claude Bernard, est composé du sang, de la lymphe et du liquide interstitiel, dont les variations conditionnent notre état de santé. Et c’est en mélangeant, entre autres, ces deux concepts et en les détournant que la naturopathie fonde sa pratique sur la notion de « terrain ». Le terrain, lui même mélange des concepts flous de constitution, diathèse, toxémie et tempérament, est conçu comme étant une sorte d’allégorie du milieu intérieur. Selon la nature de votre terrain, vous auriez certaines prédispositions, des faiblesses, mais aussi des forces.

Dans cette logique, améliorer la « qualité » de son terrain permettrait d’améliorer sa santé ou de prévenir des maladies. Et pour se faire, il faudrait un terrain « propre ». La naturopathie évoque donc l’importance capitale de nettoyer le milieu intérieur, de drainer la lymphe et détoxiner le liquide interstitiel. Étrangement, la naturopathie invoque l’homéostasie, donc l’aptitude que le corps a à maintenir ses constantes à des niveaux optimaux, pour justifier la nécessité de détoxifier, drainer, purger et plus largement nettoyer le terrain et le milieu intérieur, via des diètes, purges, et autres compléments alimentaires.

Ce qui m’amène à évoquer le deuxième concept phare que la naturopathie emprunte à la médecine pour le détourner : l’équilibre acido-basique. Il s’agit de l’un des processus de régulation à l’œuvre dans l’organisme, dans le cadre de l’homéostasie. L’objectif de ce processus est de maintenir un pH sanguin stable, car ce paramètre est vital. Pour y parvenir, l’organisme équilibre en permanences les charges acides et basiques, en recourant aux systèmes tampons qui opèrent dans les reins et les poumons et permettent d’éliminer les acides en excès. Que ces acides proviennent du métabolisme ou de notre alimentation.

Les recommandations alimentaires faites dans un contexte naturopathique se fondent très souvent sur la notion de « diète alcaline ». Diète qui serait supposée contribuer à l’équilibre acido-basique et sans laquelle nous risquerions d’être en acidose. Et c’est bien là le problème. Parce que l’acidose n’a en réalité rien à voir avec l’acidose décrite pas les naturopathes et autres thérapeutes. Il ne s’agit pas d’une pathologie causée par une alimentation trop acidifiante. Il s’agit d’une pathologie rénale et/ou respiratoire grave qui nécessite des soins médicaux parfois urgents et adaptés aux causes exactes de cette pathologie, qui peuvent être diverses. Et c’est seulement dans ces cas là, lorsque les systèmes tampons des reins et des poumons dysfonctionnent, que le caractère acidifiant ou alcalinisant de l’alimentation a du sens pour préserver l’équilibre acido-basique.

S’imposer une rigueur prétendument alcalinisante lorsque l’on est pas en état d’acidose métabolique, c’est aussi peu justifié que de refuser d’être exposé-e à une température extérieure éloignée de 22°C au prétexte que l’organisme ne saurait pas s’y adapter.

Le pharmachien a d’ailleurs réalisé un chouette article sur l’équilibre acido-basique, que je vous encourage à aller lire. Pour ce qui est de la détox que j’ai évoquée plus tôt, je ne vais pas détailler ce sujet, mais je vous renvoie à la très complète vidéo de Benjamin Dariouch, qui prend le temps de définir ce que sont les toxines, comment elles sont éliminées, et comment aider à la détoxification. En démontrant au passage que les prétendues cures détox promues en naturopathie… n’en sont pas. Et pour ce qui est des allégations destinées à booster votre système immunitaire à travers l’alimentation notamment, vous pouvez faire confiance à Thibault Fiolet, qui a pris le temps de vérifier tout ça et partage ses recherches dans une vidéo. (voir liens en dessous de l’article)

Si le rapport de la naturopathie à la terminologie médicale est donc ambigu et contradictoire, le meilleur exemple pour illustrer ça reste le « bilan de santé ».

Bilan de santé et diagnostic

Je voudrais prendre un temps pour insister sur la notion de diagnostic. Dont je rappelle la définition : le diagnostic médical est la démarche par laquelle une personne détermine l’affection dont souffre un ou une patiente. Poser un diagnostic lorsque l’on est pas médecin relève de l’exercice illégal de la médecine.

Le discours officiel de la naturopathie consiste à affirmer que les naturopathes ne sont pas concerné-e-s par l’exercice illégal de la médecine, car iels ne font pas de diagnostic mais un « bilan de santé » ou un « bilan de vitalité » : on parle alors de terrain, de forces, de faiblesses, de prédispositions, d’indices, d’hypothèses, d’énergie vitale, de tempérament, de constitution ou de diathèse…

D’ailleurs, quand on se plonge dans l’ouvrage de référence, rédigé par le célèbre naturopathe Daniel Kieffer (« Bilans personnels de santé »), il se défend dès l’introduction d’empiéter sur la compétence exclusive des médecins en terme de diagnostic.

Cet ouvrage est pour le moins …hétéroclite : sont abordés entre autres choses les tempéraments hippocratiques, les diathèses, des techniques d’astrologie, de graphologie, d’iridologie, de kinésiologie, de radiesthésie, de réflexologie ou bien encore de numérologie… On y trouve aussi des recommandations psychanalytique et antrophosophique pour guérir du cancer, diverses méthodes de bilan énergétique, et la retranscription d’une prière chrétienne, accompagnée d’une invitation à se réconcilier avec le Christ, qui serait le seul médecin véritable.

Et parmi cette diversité de techniques dites de « bilan de santé », on trouve notamment une technique permettant de diagnostiquer des allergies alimentaires en mesurant son pouls, le diagnostic d’inflammations respiratoires chroniques grâce à des examens iridologiques et réflexologiques, mais aussi la promotion détaillée de bilans biologiques variés (sanguins, urinaires ou salivaires) dont aucun n’a jamais apporté de la preuve de son intérêt en terme de diagnostic. Comme par exemple la culture d’algues sur du sérum pour déterminer si la personne prélevée a un cancer ou les mesures de la bio-électronique de Vincent.

Cet ouvrage est très dense (presque 800 pages), mais je vous invite à le consulter si vous voulez vous faire un avis sur le caractère diagnostique des « bilans de santé » naturopathiques. Personnellement, j’y trouve de très nombreux éléments caractéristiques de « la démarche par laquelle une personne détermine l’affection dont souffre un ou une patiente », donc du diagnostic médical.

On trouve également couramment dans la pratique naturopathique des questionnaires de diagnostic. Notamment pour déterminer si une personne a une candidose, avec le mal-nommé questionnaire-diagnostic du Dr Besson, héritier du Dr Kousmine. Ce questionnaire réduit le diagnostic de candidose à 73 questions plutôt vagues et banales.

Un autre test proposé pour diagnostiquer une candidose consiste à cracher dans un verre d’eau le matin au réveil et à observer la salive : si elle coule au fond du verre par filaments, ce serait un signe de candidose… Je vous laisse juger de la pertinence de ces outils de diagnostic, en sachant que la Haute-Autorité de Santé a besoin de 120 pages pour exposer les modalités complexes des examens pertinents pour diagnostiquer une candidose, en se référant à presque 60 publications scientifiques à ce sujet.

On trouve le même genre d’outils pour l’hyper-perméabilité intestinale, avec la suggestion d’un diagnostic en observant nos selles après avoir bu du jus de betterave. Ou bien encore avec ce célèbre questionnaire grâce auquel, avec seulement 10 questions, il serait possible de déterminer des « carences » en neurotransmetteurs (plus spécifiquement en dopamine, noradrénaline ou sérotonine).

Dans une logique approchante, les naturopathes recommandent communément la mesure du pH urinaire comme outil de mesure de l’acidité de l’organisme. Ce qui en réalité n’indique rien de plus que l’aptitude de votre organisme à éliminer les acides et à s’adapter pour maintenir l’équilibre acido-basique…

Je ne peux pas évoquer le « bilan de santé » naturopathique sans me référer à l’iridologie. Cette pratique, fréquente dans le milieu de la naturopathie, consiste à observer l’iris, la partie colorée des yeux, pour déterminer des prédispositions ou des troubles de santé. En réponse à la vidéo que j’ai faite à ce sujet, j’ai reçu sur les réseaux sociaux des commentaires de naturopathes-iridologues offusqués qui affirmaient que leur pratique ne relevait pas du diagnostic mais du « bilan », d’une « approche globale du terrain », de la « diathèse ». En précisant pourtant que cet outil leur permettait de déterminer la présence de carences, de toxines, de marqueurs d’oxydation ou de surcharges métaboliques. Ce qui relève donc bien du diagnostic…

Quel que soit le vocabulaire utilisé en naturopathie, kinésiologie, acupuncture ou autre thérapie dite alternative, l’iridologie, les questionnaires, tests et autres outils du même genre sont bel et bien des outils utilisés à des fins diagnostiques. La terminologie employée pour laisser penser que cela n’est pas le cas ne change rien à la réalité de l’usage qui est fait de ces outils.

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Sous ses apparences scientifiques, la naturopathie emprunte un vocabulaire médical pour détourner des concepts de leur sens réel. Et dans le même temps, tout en se défendant d’empiéter sur la médecine, les naturopathes établissent des diagnostics médicaux sur la base d’outils sans fondement scientifique. Et c’est un des dangers de cette discipline justement : proposer des diagnostics et des recommandations thérapeutiques infondés, sous l’apparence d’une méthode qui se prétend fondée et efficace. Ce qui éloigne tristement de la possibilité d’un diagnostic médical sérieux et de soins adaptés.

Même si cet article est loin d’être exhaustif, j’espère qu’il vous aura permis de porter un regard plus éclairé sur ces sujets.


RESSOURCES POUR ALLER PLUS LOIN :

Sur l’homéopathie :

Sur les niveaux de preuve :

Sur la réflexologie plantaire : Vidéo 7 minutes Infox Naturo par Sohan Tricoire : https://www.youtube.com/watch?v=BikTmEQCdD4

Sur la mémoire de l’eau : Deux vidéos (40 minutes) par La Tronche en Biais : https://www.youtube.com/watch?v=H9O-XS6tqEY

Sur les Fleurs de Bach : « Les fleurs de Bach, enquête au pays des élixirs » par Richard Monvoisin : https://cortecs.org/archives/sante-richard-monvoisin-les-fleurs-de-bach-enquete-au-pays-des-elixirs/

Sur la théorie complotiste de Big Pharma : Robert Blaskiewicz (2013) The Big Pharma conspiracy theory, Medical Writing, 22:4, 259-261, DOI: 10.1179/2047480613Z.000000000142 (Sci-Hub est ton ami…)

Sur les arguments fallacieux et biais cognitifs (dont l’appel à l’autorité, l’appel à la popularité l’appel à la nature et l’appel à ancienneté) : Vidéo (14 minutes) par Hygiène Mentale et Le Top 5 : https://www.youtube.com/watch?v=R9McgUw6kso&t=0s

Sur l’homéostasie : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hom%C3%A9ostasie

Sur la notion de milieu intérieur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Milieu_int%C3%A9rieur

Sur l’acidose métabolique rénale : https://www.revmed.ch/RMS/2007/RMS-101/32112

Sur le traitement diététique de l’acidose métabolique : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29677110/

Sur l’équilibre acido-basique, par le Pharmachien : https://lepharmachien.com/acidite/

Sur la détox, par Benjamin Dariouch : https://www.youtube.com/watch?v=ULc5OwCG-vc

Sur l’alimentation pour renforcer sur système immunitaire, par Thibault Fiolet : https://www.youtube.com/watch?v=7grjpA6m_mI

Sur le bilan de santé comme diagnostic :

(J’attire votre attention sur le fait que ces outils n’ont amené aucune preuve de leur intérêt diagnostique. Un diagnostic doit être établi par un médecin, à l’aide d’outils fiables ayant prouvé leur pertinence. C’est tout l’objet de cette vidéo…)

« Guide personnel des bilans de santé » par Daniel Kieffer : https://livre.fnac.com/a935046/Daniel-Kieffer-Guide-personnel-des-bilans-de-sante

Questionnaire-diagnostic « naturopathique » pour la candidose : http://vie-sante.fr/wp-content/uploads/2017/09/TEST-CANDIDOSE.pdf

Publication de la Haute Autorité de Santé sur les examens permettant le diagnostic de candidose : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2017-10/argumentaire_candidoses_invasives.pdf

Diagnostic de la porosité intestinale avec le jus de betterave : https://www.youtube.com/watch?v=IZgjVY-aSF0

Questionnaire de diagnostic du SIBO : https://siboguru.com/wp-content/uploads/SIBO_Questionnaire_PDF.pdf

Questionnaire de diagnostic relatif aux neurotransmetteurs (dopamine, noradrénaline, sérotonine) – Bilan DNS : https://www.iedm.asso.fr/le-dns-dopamine-noradrenaline-serotonine-francais-anglais-et-espagnol/

Diagnostic de l’acidose par la mesure du pH urinaire : https://www.christophervasey.ch/francais/articles/gerez_votre_equilibre_acido_basique.html

Ma vidéo sur l’iridologie : https://www.youtube.com/watch?v=5JdCpFamtJQ