Causalisme et lois naturelles

Le causalisme est un des piliers de la naturopathie. Cette pratique (au même titre que d’autres pratiques dites de médecines alternatives) prétend adopter une approche causaliste, par opposition à une médecine conventionnelle symptomatique. En se reposant sur le fondement des lois naturelles ou divines, qu’en est-il en réalité ?…


S’il vous est plus agréable d’écouter ou de regarder une vidéo plutôt que de lire cet article, retrouvez son contenu en ligne sur l’une de mes chaînes :


Un des piliers de la naturopathie, avec l’hygiénisme, le vitalisme, l’humorisme et le holisme, c’est le causalisme. Celui-ci est défini comme une approche méthodologique visant à corriger les causes profondes et premières des problèmes de santé.

La supériorité prétendue de la naturopathie et autres thérapies dites « alternatives » tiendrait notamment au fait que, contrairement à la médecine conventionnelle, ces pratiques s’attacheraient à avoir une approche causaliste et ne se limiteraient pas à traiter les symptômes. A ce titre, dans le cadre de la naturopathie on considère les symptômes comme des indicateurs, des voyants d’alerte permettant de déterminer et traiter la cause du problème. En ciblant la racine des maux, la naturopathie se présente donc comme une approche de santé radicale.

Dans ce contexte, la médecine conventionnelle est quant à elle critiquée, en ce qu’elle ne s’attarderait que sur les symptômes, négligeant les causes, mais aussi la dimension globale de l’être et de ses troubles. Les traitements médicamenteux ne seraient que de vaines tentatives de faire taire un symptôme. Symptôme qui finirait par se manifester sous une autre forme, la cause du dysfonctionnement n’étant pas résolue.

Mais dans la réalité, cela ne fonctionne pas tout à fait comme ça… S’il est vrai que dans le parcours de santé conventionnel, certains aspects sont clairement négligés ou sous-estimés (l’équilibre alimentaire, l’équilibre émotionnel et psychologique et l’activité physique notamment), on ne peut pas affirmer pour autant que l’approche est strictement symptomatique. Mais ce n’est pas sur ça que je vais m’attarder aujourd’hui. Je voudrais plutôt prendre le temps de décortiquer le causalisme affiché de la naturopathie et autres thérapies comparables.

Le présupposé de la naturopathie, c’est d’affirmer que les problèmes de santé proviennent de l’éloignement des lois de la Nature, parfois appelées aussi lois divines. Ces lois, immuables et universelles, émaneraient d’une entité supérieure immatérielle considérée comme divine ou naturelle : Pour certaines personnes ce sera Dieu, ou Gaïa, la Nature, la Terre Mère, la Vie avec un grand V ou bien encore l’Univers.

Ces lois prescrivent notamment le recours à une alimentation qualifiée de naturelle : une alimentation à dominante végétale, de saison, non transformée, biologique, et idéalement crue.

Mais ces lois prescrivent aussi le respect d’une hygiène de vie stricte associant exercice physique adapté, exercices respiratoires, bains et autres soins avec les eaux, repos et exposition au soleil modérée. De manière plus ou moins subtile, les naturopathes accordent aussi à ces lois naturelles ou divines des prescriptions d’ordre moral, que l’on pourrait résumer de la sorte : si l’on ne se comporte pas en bon chrétien ou en bonne chrétienne, il est normal d’être malade. Tout cela n’a pas grand chose de surprenant si l’on se rappelle que la naturopathie trouve ses fondements notamment dans des textes religieux.

Si cela vous paraît caricatural ou exagéré, je vous encourage à visionner ma vidéo ou lire mon article sur Irène Grosjean, naturopathe de renom. J’y détaille assez longuement ces aspects, en me basant strictement sur le contenu de son livre.

Pour résumer, en naturopathie, on considère que la cause des maladies réside dans le non-respect de ces prescriptions divines ou naturelles en termes d’alimentation, d’hygiène de vie et de morale. Les « traitements » proposés sont donc des recommandations alimentaires et d’hygiène de vie, mais aussi de foi, de développement personnel, de spiritualité ou de morale. Ce qui serait censé agir sur les causes des maladies et donc les faire disparaître. Dans la pratique, on retrouve aussi très souvent des recommandations de purges, de cures prétendument détox, de jeûne, de diètes ou de lavements, et bien sûr, divers compléments alimentaires.

Cette approche présentée comme responsabilisante est en réalité culpabilisante, en ce qu’elle affirme que les maladies sont causées par une alimentation, une hygiène de vie ou une morale qui va à l’encontre des lois divines ou naturelles. Ce qui permet de suggérer que toute personne peut guérir si elle le souhaite vraiment, mais aussi que l’on est responsable de sa maladie et de ses souffrances. Dans le même temps, cela permet d’envisager les maladies comme quelque chose de positif, une façon d’être alerté.e sur nos déviances et de nous rappeler le bon chemin à suivre.

C’est culpabilisant, mais ça pourrait avoir du sens si les maladies avaient pour causes uniques une alimentation déséquilibrée, une mauvaise hygiène de vie ou une morale considérée comme déviante. Dans un tel contexte, la naturopathie pourrait revendiquer à raison son approche causaliste.

Sauf que, dans la réalité, ça ne fonctionne pas ainsi. Si les maladies de civilisation sont en effet causées ou aggravées par une mauvaise alimentation et hygiène de vie, les causes de maladies sont plurielles et de nombreux facteurs ne dépendent pas de notre seule volonté.

Il existe en effet de nombreux paramètres qui entrent en compte dans notre état de santé, et sur lesquels nous n’avons pas ou peu d’influence : des prédispositions ou un héritage génétiques, l’environnement de notre lieu de vie ou de travail, des causes accidentelles, des causes infectieuses, ou bien encore des événements de vie traumatisants, entre autres choses…

La moralité ou la spiritualité, quant à elles, ne confèrent pas non plus une immunité ou une longévité spécifique. La naturopathie n’a donc pas une approche plus causaliste que la médecine conventionnelle, malgré ses prétentions. J’oserai même ajouter que l’approche naturopatique échoue également dans une logique symptomatique.

En effet, les purges, cures détox et lavements relèvent plus d’un désir de purification religieuse ou spirituelle que d’une réelle nécessité physiologique. Dans le même temps, l’immense majorité des compléments alimentaires est sans effet propre et/ou strictement inutile. L’approche naturopathique encourage donc le recours à des soins ou traitements inutiles et coûteux qui n’agissent ni sur les causes ni sur les symptômes…

D’ailleurs, pour celleux qui auraient encore le sentiment que l’approche dite « naturelle » de la santé est autre chose qu’un énorme marché financier comparable au marché pharmaceutique, tant dans ses méthodes que dans sa rentabilité, je vous encourage à visionner ma vidéo ou lire mon article sur le lobbying des entreprises de compléments alimentaires.

Au final, l’approche naturopathique n’est pas plus causaliste que la médecine conventionnelle, ni réellement symptomatique. Les seules choses qui permettraient de conférer des effets bénéfiques à cette pratique, ce sont les quelques recommandations pertinentes parfois émises en terme d’alimentation et d’hygiène de vie, et l’effet contextuel : le charisme, l’assurance et la sympathie du ou de la thérapeute, être reçu-e longuement, être écouté-e, avoir l’illusion d’être acteur ou actrice de sa guérison, avoir le sentiment d’aller à contre-courant de la médecine conventionnelle qui a échoué à soulager nos souffrances… Toutes ces petites choses contribuent à améliorer notre santé, bien que cela ne relève en aucun cas des prétentions causalistes affichées par la naturopathie.