Lobbying des laboratoires de produits « naturels »

Beaucoup de personnes se tournent vers la naturopathie et d’autres pratiques alternatives dans l’espoir d’y trouver un accompagnement qui n’aurait pas subi la pression des laboratoires pharmaceutiques. Mais se doutent-elles que les laboratoires de compléments alimentaires exercent un lobbying tout aussi actif ?…


S’il vous est plus agréable d’écouter ou de regarder une vidéo plutôt que de lire cet article, retrouvez son contenu en ligne sur l’une de mes chaînes :


Je voudrais m’attaquer à une idée reçue coriace, sur le lobbying des laboratoires… Une des critiques que l’on fait souvent à la médecine conventionnelle, c’est qu’elle est parasitée par les lobbies de l’industrie pharmaceutique, qui exerceraient une influence non négligeable sur la recherche, les formations et même la pratique des médecins. Si une telle influence existe en effet, elle est parfois « un petit peu » exagérée…

Dans cette logique, certaines personnes se tournent vers les « médecines alternatives », dont la naturopathie, avec l’idée que ces pratiques « naturelles » ne subissent l’influence d’aucun lobby. Et… je risque fort de décevoir les personnes qui sont dans cette croyance…

Je vais vous dépeindre le tableau de l’intérieur afin que vous puissiez vous faire un avis sur le sujet… En commençant par le commencement, la période de formation.

Plusieurs de mes formateurs, en école de naturopathie, étaient également rémunérés par des laboratoires de compléments alimentaires. Ils étaient donc à la fois formateurs et représentants de ces laboratoires. C’est donc sans surprise qu’en cours de formation j’ai entendu vanter les mérites de certaines marques de compléments plus que d’autres. On nous a d’ailleurs distribué plusieurs catalogues de produits associés à ces laboratoires.

Impossible pour l’école d’ignorer la double casquette de certains formateurs, puisque l’école louait ses locaux à ces laboratoires pendant certains week-ends, où se déroulaient des « formations » auxquelles les étudiants et étudiantes étaient convié.e.s.

J’ai suivi ma formation dans une école affiliée à la fédération française de naturopathie, la Féna (anciennement Fenhaman). Pour obtenir notre diplôme, mes camarades de promotion et moi-même sommes allée.e.s à Paris pour un examen final commun à toutes les étudiantes et étudiants des écoles affiliées.

Au cours de cette journée imposée, l’examen s’est déroulé en 1 heure. Il y a eu quelques prises de paroles d’organisations professionnelles et de représentants de la fédération française de naturopathie. Mais… il y a avait aussi, tout au long de la journée, les stands de 14 laboratoires « partenaires », accolés aux 3 stands d’organisations professionnelles.

En parlant des organisations professionnelles spécifiques à la naturopathie, présentons les rapidement :

  • L’OMNES, Organisation de la Médecine Naturelle et de l’Education Sanitaire, est la principale association de naturopathes professionnels.
  • L’APHN, Association pour la promotion de l’hygiène vitale et de la naturopathie.
  • Le SPN, syndicat des professionnels de la naturopathie. Cette dernière association affiche 21 partenariats avec des laboratoires de compléments alimentaires.

Ces trois associations ont comme principal intérêt de proposer aux naturopathes, moyennant une adhésion annuelle, l’accès à des assurances professionnelles (RCP et protection juridique) négociées auprès de diverses compagnies d’assurance.

Mais la présence des laboratoires ne s’arrête pas aux liens avec les formateurs, la fédération française de naturopathie et les associations professionnelles. Non… Les laboratoires sont présents quotidiennement dans la pratique de la plupart des naturopathes, sous diverses formes.

Par exemple, il ne se passe pas une semaine sans que je sois sollicitée par des représentants de laboratoires, que ce soit par mail, par téléphone, et même par courrier postal. Je reçois des catalogues, des documents faisant la promotion de compléments alimentaires, mais aussi des proposition de rendez-vous.

Il existe en effet des représentants et représentantes, qui ont un peu le même rôle que les visiteurs et visiteuses médicales auprès des médecins. Lorsque l’on accepte de recevoir un représentant ou une représentante, il n’est pas rare de se voir offrir quelques boites ou flacons des compléments alimentaires phares du laboratoire…

La personne qui représente le laboratoire vante le sérieux de son entreprise, énumère les mérites des compléments, assure qu’ils sont d’excellente qualité et évoque souvent des études scientifiques. …des études dont souvent personne n’ira vérifier si elles disent bien ce que la personne leur fait dire, ni même si elles existent d’ailleurs…

Beaucoup de laboratoires proposent aux thérapeutes des remises de prix sur leurs produits. Et pour un nombre certain de laboratoires, les naturopathes ou autres thérapeutes se voient remettre une sorte d’ordonnancier avec toutes les références des compléments vendus par le laboratoire. Ce sont en réalité des bons de commande, à remettre en consultation pour faciliter l’achat des compléments. Les thérapeutes se retrouvent donc à jouer, d’une certaine manière, le rôle de vendeur pour le compte du laboratoire.

Vous pensez que j’exagère ? Regardez de plus près ces bons de commande. Vous trouvez peut-être, dans un angle, la mention d’un « code praticien » ou « numéro de thérapeute », voire plus ironiquement un « code client » déjà pré-imprimé sur le document, ou renseigné par le ou la thérapeute. Il s’agit d’une numéro permettant au laboratoire de déterminer quel thérapeute a été à l’origine de la commande, afin de lui accorder, selon les laboratoires, des avantages : des remises sur de futurs achats, des produits offerts, voire même une cagnotte qui lui permettra d’arrondir ses fins de mois. Comment s’assurer dans ce contexte que ces compléments ne vous sont pas recommandés, au moins pour partie, avec une intention lucrative ?

Mais ce n’est pas tout. Car les laboratoires ont bien compris comment exploiter les failles du secteur des « médecines alternatives ». Ces métiers n’étant pas reconnus par l’État et ne faisant pas l’objet de formations diplômantes, les thérapeutes ont souvent besoin, pour exercer sérieusement, de compléter leur formation initiale. Les laboratoires ont bien compris cela. C’est la raison pour laquelle beaucoup proposent des formations gratuites pour les thérapeutes. Que ce soit des webinaires, des conférences en ligne, mais aussi des formations en présentiel dans des salles de conférence ou des hôtels. En offrant bien évidemment les repas et les supports de formation.

Ces formations sont une occasion rêvée pour assurer la promotion de leurs compléments alimentaires en proposant aux thérapeutes qui y assistent des « protocoles de soin » clé en main adaptés aux pathologies et troubles présenté.e.s en cours de formation.

Certains laboratoires élaborent même des supports d’aide à la prescription, spécifiques à leurs compléments. Ces documents sont destinés à faciliter les recommandations des naturopathes et autres thérapeutes. De cette manière, nul besoin d’aller chercher à recommander autre chose que ce que l’on a déjà sous les yeux et à portée de main.

Alors, sur ces derniers documents, vous ne trouverez par contre pas toujours le nom du laboratoire, ni même les références de ses compléments. Car les laboratoires le savent, les allégations de santé sont strictement encadrées par les lois européennes, et il est interdit d’indiquer qu’un complément peut avoir un effet thérapeutique. Mais bon, puisqu’ils ne mettent pas leur nom sur le document, ce droit il le prennent.

Certains laboratoires n’hésitent d’ailleurs pas à mentir en apposant consciemment des mentions trompeuses sur leurs produits. Il y a quelques années par exemple, une consultante a émis un doute sur la composition d’un complément dont l’emballage mentionnait en toutes lettres « ce complément est adapté aux personnes végétariennes et végétaliennes ». J’ai sollicité le laboratoire concerné pour demander si la vitamine D3 contenue dans le complément était d’origine animale. On m’a répondu, sans blaguer, que la vitamine D3 extraite de la lanoline (donc de la graisse de laine de mouton) n’était pas d’origine animale. Je vous laisse imaginer à quel point cela a pu entacher la réputation de ce laboratoire à mes yeux. Et j’ai tristement conscience que cela concerne d’innombrables autres produits et laboratoires.

Vous pensez peut-être encore que ces laboratoires sont de petites entreprises artisanales ou familiales, des entreprises mues par la volonté première de rendre accessible des soins naturels de qualité, voire des entreprises crées pour avec le souhait sincère de changer le monde.

En fait, non. Ces entreprises n’ont rien à envier aux méthodes et au rendement des entreprises pharmaceutiques qui opèrent dans le milieu de la médecine conventionnelle. La plupart des compléments qu’elles commercialisent n’ont aucune utilité ou nécessité, si ce n’est celle de rassurer des personnes anxieuses qui désirent acheter des compléments pour se donner l’impression de faire quelques chose d’utile pour être en meilleure santé. Et cette anxiété, cette peur, elle rapporte gros à ces entreprises.

Pour ne citer que quelques unes de ces entreprises, j’ai choisi de vous donner quelques informations sur le chiffre d’affaires de certains laboratoires qui m’ont démarchée ou dont on a assuré la promotion pendant ma formation.

ENTREPRISE – ANNEE – CHIFFRE D’AFFAIRES

HERBOLISTIQUE – 2015 – 5 732 694 €

PILEJE – 2018 – 103 432 900 €

COPMED – 2019 – 14 070 800 €

LPEV – 2019 – 5 790 200 €

D PLANTES – 2019 – 4 650 500 €

SUPER DIET – 2010 – 13 761 100 €

LE STUM – 2018 – 5 776 500 €

FAMADEM (Fleurs de Bach) – ???

Comme vous pouvez le constater, ces entreprises réalisent des chiffres d’affaires mirobolants. On est bien loin de la petite société coopérative anticapitaliste amoureuse de la Nature…. Pour ce qui est du laboratoire Famadem, présenté comme le distributeur français des élixirs « Fleurs de Bach », les données ne sont pas accessibles car l’entreprise est basée à Monaco. Petit pays européen réputé pour son grand prix de Formule 1… et pour être un refuge pour évadés fiscaux.

Toutes ces choses que nous venons d’aborder ne sont pas assez dites. Il est illusoire de croire que la naturopathie et les autres «médecines alternatives» ne subissent pas le lobbying agressif de laboratoires dont le seul objectif est … d’engranger des thunes. Votre santé leur importe peu.

Vous l’aurez compris, j’ai vraiment à cœur de préserver mon indépendance dans ma pratique et je refuse d’endosser le rôle de commerciale pour quelque laboratoire que ce soit. Ce n’est malheureusement pas le cas de tout le monde. Et je peux aussi le comprendre, car il est difficile de vivre d’une telle activité. Mais personnellement, je ne fais aucune concessions avec mes valeurs.