Culpabilisation et grossophobie

Il ne tient qu’à vous de manger des carottes râpées et boire des tisanes détox pour ne plus être obèse : voilà la solution miracle avancée par des hygiénistes et certains naturopathes. Ces thérapeutes tentent de nous faire croire à une telle simplicité, niant la réalité complexe de l’obésité… et les connaissances sérieuses que nous avons de cette condition. Je vous propose de plonger dans les mécanismes de culpabilisation employés à tout de bras par ces personnes, avec l’exemple de leur discours sur l’obésité.


S’il vous est plus agréable d’écouter ou de regarder une vidéo plutôt que de lire cet article, retrouvez son contenu en ligne sur l’une de mes chaînes :


Je voudrais prendre le temps de revenir sur une notion déjà abordée dans ma vidéo et mon article sur Irène Grosjean : la culpabilisation dans la plupart des discours hygiénistes et naturopathiques. Et pour illustrer mes propos, je vais utiliser l’exemple de l’obésité. Tout simplement parce que je me suis pris le bec avec un hygiéniste à ce sujet… J’ai essayé de rester bienveillante et constructive, mais je dois bien avouer que j’ai vite perdu patience et déserté nos échanges improductifs…

En l’occurrence, cet hygiéniste était en train de faire la promotion de sa méthode pour maigrir, à base de repas de fruits et légumes crus (ou parfois cuits, mais surtout pas mélangés avec des légumes ou des fruits crus), repas accompagnés de tisanes de plantes aux prétendues vertus detox.

Tout en insistant sur la facilité d’un changement d’alimentation et la simplicité de la perte de poids… en s’adressant à des personnes obèses (RIP la décence).

On est clairement dans le schéma typique de l’approche hygiéniste de la santé. Et sur le sujet de l’obésité, cet hygiéniste a tenu un discours consistant à réduire l’obésité à des considérations nutritionnelles, prôner la facilité du changement d’alimentation, évoquer la prétendue simplicité de la perte de poids et considérer que toutes les personnes obèses sont en souffrance. Cet hygiéniste a également suggéré à une personne obèse de (je cite) « sortir de son statut de victime » et de (je cite également) « laisser son égo de côté pour explorer les voies de la simplicité ».

Un magnifique combo de culpabilisation et de grossophobie !

Car le cœur du discours hygiéniste, c’est d’en appeler à prendre la responsabilité de nos choix. Ceci pourrait ne pas être une forme de culpabilisation. Si par exemple les considérations évoquées relevaient effectivement de nos choix, ET si ces choix étaient la cause de la problématique en question. Est-ce que vous me suivez toujours ?

Je vais illustrer ça… Pour ce qui concerne l’obésité et l’approche hygiéniste que je viens de mentionner, il est clairement abusif d’une part d’affirmer que l’obésité et ses facteurs découlent de nos choix, et d’autre part… de parler de choix. Parce que ce que l’on qualifie de choix n’en est pas forcément. Je m’explique…

En l’occurrence, cet hygiéniste semble partir du principe que notre alimentation est toujours la résultante d’un choix conscient. Or, rien n’est moins vrai. Notre comportement alimentaire découle de déterminants divers et variés, tels que notre métabolisme, l’éducation alimentaire que nous avons reçue de nos parents, la disponibilité des aliments en magasin, la perception que nous avons du meilleur comportement attendu par la société, le degré d’attention que nous accordons aux étiquetages nutritionnels, les publicités et publications nutritionnelles auxquelles nous sommes exposées, le poids des habitudes, les contraintes familiales, nos compétences en cuisine, une influence culturelle, etc…

Sans oublier les contraintes matérielles : l’accès à du matériel de cuisine et/ou le budget des courses alimentaires conditionnent aussi nos comportements alimentaires.

Je dois également évoquer le stress, l’anxiété, la dépression et les troubles du comportement alimentaire, comme déterminants majeurs de nos comportements alimentaires.

Bref, réduire nos comportements alimentaires à des choix, ce n’est pas aussi simple…

Mais surtout, pour en revenir au sujet de la culpabilisation appliquée au sujet de l’obésité :affirmer que les personnes obèses doivent prendre la responsabilité de leurs actes, en réduisant l’obésité à une conséquence d’un comportement alimentaire, c’est nier la réalité complexe de cette situation. L’alimentation a bien sûr un rôle à jouer, mais elle ne fait pas tout, loin de là.

Par exemple, des prédispositions génétiques et des facteurs environnementaux modifiant l’expression des gènes ont un rôle important dans la survenue de l’obésité. La prise excessive de poids peut également être facilitée par des traitements médicamenteux : je pense notamment à certains anti-psychotiques et des traitements à l’insuline. Des dysfonctionnements de la thyroïde causés par l’obésité peuvent aussi contribuer à perturber plus encore le métabolisme. D’autres facteurs de risque sont également en jeu, particulièrement l’activité physique et des déterminants physiques (notamment les limitations induites par un handicap) ou sociaux (la condition socio-économique, l’accès aux soins et aux transports, la présence ou l’absence de soutien social etc).

Dans ce contexte, affirmer que les personnes obèses doivent prendre la responsabilité de leurs actes, en réduisant l’obésité à une conséquence d’un comportement alimentaire, c’est à la fois faux, déplacé, stigmatisant et culpabilisant.

Agir sur des facteurs sur lesquels nous pouvons prendre la main pour être en meilleure santé, c’est bien évidemment une chose à encourager. Mais culpabiliser des personnes en occultant la complexité de leur condition, tout en les renvoyant à leur prétendue responsabilité en conséquence de choix qui n’en sont pas, non.

Si vous avez été attentifs et attentives à mon raisonnement, vous n’aurez sûrement aucune difficulté à débusquer à votre tour la dynamique culpabilisante dans les discours des hygiénistes et autres naturopathes. En tout cas je le souhaite, car c’était l’objet de cet article : vous amener à comprendre cette logique pour mieux vous en préserver.

RESSOURCES POUR ALLER PLUS LOIN :

Hardcastle SJ, Thøgersen-Ntoumani C, Chatzisarantis NL. Food Choice and Nutrition: A Social Psychological Perspective. Nutrients. 2015;7(10):8712-8715. doi:10.3390/nu7105424

Leng G, Adan RAH, Belot M, Brunstrom JM, de Graaf K, Dickson SL, Hare T, Maier S, Menzies J, Preissl H, Reisch LA, Rogers PJ, Smeets PAM. The determinants of food choice. Proc Nutr Soc. 2017 Aug;76(3):316-327. doi: 10.1017/S002966511600286X. Epub 2016 Dec 1. PMID: 27903310.

Singh RK, Kumar P, Mahalingam K. Molecular genetics of human obesity: A comprehensive review. C R Biol. 2017 Feb;340(2):87-108. doi: 10.1016/j.crvi.2016.11.007. Epub 2017 Jan 13. PMID: 28089486.

Arroyo-Johnson C, Mincey KD. Obesity Epidemiology Worldwide. Gastroenterol Clin North Am. 2016;45(4):571-579. doi:10.1016/j.gtc.2016.07.012

Barton BB, Segger F, Fischer K, Obermeier M, Musil R. Update on weight-gain caused by antipsychotics: a systematic review and meta-analysis. Expert Opin Drug Saf. 2020 Mar;19(3):295-314. doi: 10.1080/14740338.2020.1713091. Epub 2020 Mar 12. PMID: 31952459.

Russell-Jones D, Khan R. Insulin-associated weight gain in diabetes–causes, effects and coping strategies. Diabetes Obes Metab. 2007 Nov;9(6):799-812. doi: 10.1111/j.1463-1326.2006.00686.x. PMID: 17924864.

Fontenelle LC, Feitosa MM, Severo JS, Freitas TE, Morais JB, Torres-Leal FL, Henriques GS, do Nascimento Marreiro D. Thyroid Function in Human Obesity: Underlying Mechanisms. Horm Metab Res. 2016 Dec;48(12):787-794. doi: 10.1055/s-0042-121421. Epub 2016 Dec 6. PMID: 27923249.