Prise en charge diététique des personnes vivant avec le VIH

Une fois n’est pas coutume, cet article s’adresse principalement aux collègues diététicien·nes. Mais si le sujet vous questionne et que vous n’êtes pas professionnel·le de santé, ça vous intéressera peut être quand même.


Lorsque l’on reçoit en consultation diététique un·e patient·e séropositif·ve au VIH, on peut être amené·e à se poser tout un tas de questions tant les informations disponibles sur le VIH et le Sida sont contradictoires : Est-ce que je dois prendre des précautions particulières pour recevoir cette personne sans prendre de risque ? Est-ce que je dois formuler des recommandations spécifiques ? Quels sont les points de vigilance sur lesquels je dois me concentrer ?

Je vais donc partager ici quelques recommandations concrètes pour faciliter et améliorer la prise en charge diététique de vos patient·es vivant avec le VIH, en me basant notamment sur les recommandations de bonnes pratiques élaborées par la Haute autorité de santé, le Conseil national du sida et des hépatites virales et l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales… mais pas que.

La première chose à souligner, c’est que la séropositivité, cela concerne de nombreuses personnes, puisqu’on estimait qu’en 2022 en France 180 000 personnes étaient infectées par le VIH, dont 150 000 connaissaient leur statut virologique. Et chaque année, ce sont environ 4 000 à 5 000 personnes qui découvrent leur séropositivité au VIH en France.

On peut se réjouir du fait que la mortalité liée au Sida continue de baisser en France, avec 10 % de causes Sida parmi les décès des personnes vivant avec le VIH en 2021 (contre 25 % en 2010, 36 % en 2005 et 47 % en 2000), et ce, grâce aux traitements antirétroviraux. Cependant, il reste des efforts à faire concernant le dépistage, puisqu’en 2022, ce ne sont pas moins de 43 % des cas de séropositivité au VIH qui ont été découverts à un stade tardif de l’infection, et 28% au stade avancé de l’infection… indiquant que les stratégies de dépistage peuvent être encore améliorées.

Si vous devez recevoir en consultation une personne infectée par le VIH, il me semble important de rappeler avant toute chose qu’il n’y a aucune précaution particulière à prendre pour éviter les risques de transmission. Tout simplement parce que vous ne risquez pas d’être infecté·e en étant dans la même pièce, pas plus qu’en lui serrant la main, en partageant les mêmes toilettes, ni même en lui roulant une pelle (mais ça, normalement on ne le fait pas avec ses patient·es, n’est-ce pas?!).

En fait, les modes de transmission sont limités à certains contextes d’exposition au sang, par transmission de la mère à l’enfant pendant la grossesse ou l’allaitement, et via des rapports sexuels non protégés (avec pénétration vaginale, anale ou buccale). Et encore, ça se discute, puisque sous traitement, la charge virale peut devenir indétectable, ce qui rend impossible de transmettre le virus lors de relations sexuelles non protégées… (mais ça non plus on ne le fait pas en consultation : je le dis juste pour que vous ayez l’info !)

Une autre chose qu’il me semble important de préciser, et qui est souvent mal comprise, c’est qu’un·e patient·e n’a pas à vous préciser s’iel est séropostif.ve au VIH. Quoi que vous en pensiez, iel est libre de vous parler de son statut virologique… ou pas ! Et je le répète pour que ça finisse par devenir une évidence pour tout le monde : une personne infectée par le VIH n’a aucune obligation de préciser qu’elle l’est.

Bon, ce préalable indispensable étant posé, qu’est-ce que ça induit en termes de prise en charge diététique de recevoir une personne infectée par le VIH ? (si celle-ci partage cette information avec vous)

Déjà, pour ce qui concerne les répercussions sur la santé, il faut savoir que les personnes vivant avec le VIH présentent notamment un risque augmenté de cancers, de maladies cardiovasculaires, de dyslipidémies, de pathologies rénales et hépatiques, d’hypertension artérielle pulmonaire, d’ostéoporose, de troubles neurocognitifs et de dépression. Et ce, pour partie en raison des effets secondaires des traitements antirétroviraux (dont la composition a pourtant largement été améliorée ces dernières décennies).

Le risque de contracter une pathologie infectieuse est également plus élevé chez ces personnes, lorsque l’infection VIH est prise en charge tardivement ou lorsque les traitements mis en place ne fonctionnent pas ou ne sont pas pris correctement. On parle alors d’infections opportunistes, qui sont principalement des pneumopathies bactériennes.

Et qu’est ce que ça change pour la prise en charge diététique des personnes infectées par le VIH ? Hé bien… rien. Il n’y a pas de mesures diététiques spécifiques aux personnes vivant avec le VIH.

Alors, attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit hein ! Ça ne veut pas dire qu’en tant que diététicien·nes on ne sert à rien. Ça signifie simplement qu’il n’y a pas de recommandations diététiques spécifiques à ces personnes qui seraient justifiées par le VIH.

Concrètement, cela signifie que notre rôle consiste à leur prodiguer des recommandations destinées à optimiser leur équilibre nutritionnel comme on le ferait avec n’importe quelle autre personne, pour leur garantir les apports les plus adaptés à leurs besoins, et leur permettre de rester en meilleure santé le plus longtemps possible. Bien sûr, en présence de certaines pathologies justifiant des mesures diététiques spécifiques, il convient de s’adapter… mais rien de spécifique aux personnes qui sont « juste » infectées par le VIH.

D’ailleurs, cela va sans dire mais je préfère le préciser : contrairement à ce que l’on peut parfois lire ou entendre en provenance de pseudo-thérapeutes bien intentionné·es mais complètement déconnecté·es de la réalité, il n’existe pas de complément alimentaire ou de régime miraculeux permettant de prévenir ou guérir le Sida, ni même d’empêcher d’être infecté·e par le VIH*. Aucun, walou, nada. Inutile donc de claquer des centaines d’euros en compléments inutiles, de boire son urine ou de s’aventurer à bannir le gluten, les produits laitiers, le sucre ou n’importe quel autre aliment en imaginant que cela pourrait avoir le moindre effet préventif ou curatif. Encourager nos patient·es à se rapprocher des recommandations du programme national nutrition santé (PNNS), c’est le mieux que nous pouvons faire, et ça demande déjà pas mal de boulot !

A noter également que, contrairement aux idées reçues, les personnes vivant avec le VIH sont désormais plus à risque d’obésité que de maigreur, exactement comme la population générale. Les recommandations diététiques en termes de régulation du poids sont donc les mêmes.

Alors, certes, il n’y a pas de recommandations diététiques spécifiques à ce profil de patient·es… mais, je vous encourage à faire preuve d’une vigilance accrue sur certaines consommations pouvant mener à des interactions avec les traitements antirétroviraux des patient·es concerné·es. En particulier le jus de pamplemousse, qui en raison de son activité enzymatique, peut augmenter la concentration de certains antirétroviraux. L’intensité de l’interaction, donc la répercussion clinique peut varier selon les traitements, mais aussi selon la marque et la composition exacte du jus. Par principe de précaution, la consommation de jus de pamplemousse est donc déconseillée en présence de tels traitements.

A noter également que la consommation de certains compléments alimentaires peut amener à des interactions avec les traitements antirétroviraux, notamment ceux à base de millepertuis, dont une étude a montré qu’ils sont susceptibles d’entraîner une diminution de la réponse virologique et le développement de résistances virales chez les patient·es infecté·es par le VIH traité·es par Indinavir (Crixivan®). Ce médicament n’est presque plus prescrit depuis 2016, car il n’est remboursé que pour les patient·es n’ayant pas d’alternatives thérapeutiques appropriées. Mais l’ANSM précisait à ce sujet en 2000 : « A ce jour, aucune information n’est disponible sur l’existence d’une interaction entre le millepertuis et d’autres médicaments antirétroviraux. Néanmoins, au vu du métabolisme et des voies d’élimination des antirétroviraux, il existe un risque d’interaction lorsque ces médicaments sont associés au millepertuis. » Cette invitation a la prudence a depuis trouvé d’autres justifications, puisque, sans faire une recherche longue et exhaustive, j’ai déjà croisé la mention d’interactions du millepertuis avec au moins deux autres traitements antirétroviraux – le Névirapine (Viramune®) et le Saquinavir (Invirase®) – dont les effets sont également diminués par la consommation de compléments sous forme de gélules d’ail.

La vigilance est également de mise avec les compléments alimentaires contenant du magnésium, du fer, du calcium ou du zinc, y compris les compléments multivitamines qui en contiennent. Ceux-ci sont en effet susceptibles de diminuer les effets de certains traitements antirétroviraux, parfois lorsqu’ils sont consommés au même moment, ou lorsqu’ils sont consommés ensemble entre les repas.

Et c’est l’occasion de rappeler qu’il est recommandé de solliciter un avis médical avant de consommer tout complément alimentaire, que ce soit de plantes, de vitamines ou de minéraux, notamment pour éviter les risques d’interactions. Il nous appartient, en tant que diététicien·nes, de le faire savoir à nos patient·es et d’aborder ces risques en consultation.

Mais notre boulot en tant que professionnel·les de santé ne s’arrête pas là. Nous avons également une part de responsabilité conséquente dans l’accès aux soins des personnes vivant avec le VIH. A ce titre, il nous appartient à minima de ne pas alimenter les discriminations qu’elles subissent et d’accueillir sans jugement leur parole à ce sujet. Il me semble que c’est aussi notre rôle de dénoncer ces discriminations, de lutter contre les discours stigmatisants et de déconstruire les fausses informations qui aliment les préjugés qui leur collent à la peau.

Car même en 2024, la peur de la contamination provoque des réactions de rejet vis à vis des personnes vivant avec le VIH et ce, dans tous les domaines de la vie quotidienne : que ce soit pour accéder à des soins médicaux, trouver un emploi, nouer des relations amicales, sexuelles ou amoureuses, se loger, voyager etc. On parle de sérophobie.

Ces discriminations qui sont la conséquence de craintes infondées sont lourdes de conséquence puisque, en plus de limiter l’accès de ces personnes à leurs droits les plus fondamentaux, cela peut également les conduire à s’isoler, à mentir à leur médecin et à leurs proches, voire à cacher leur traitement ou à l’arrêter pour ne pas être suspectées par leurs proches.

Une partie importante des personnes vivant avec le VIH expérimente dans le même temps d’autres discriminations, liées notamment à leur orientation sexuelle, leur genre, leur précarité, leur consommation de drogues, leur activité de travail du sexe ou bien encore leur nationalité. Autrement dit, elles subissent aussi souvent des violences homophobes, transphobes, classistes, toxicophobes, putophobes ou racistes. Et cette liste n’est malheureusement pas exhaustive…

Pour accompagner au mieux les patient·es concerné·es, il est de notre devoir de ne pas alimenter ces discours et comportements discriminants aux conséquences tragiques. Et ça commence par se renseigner, s’intéresser au sujet du VIH pour déconstruire ses propres croyances et craintes infondées. Pour faciliter la chose, j’ai glissé quelques ressources que je pense pertinentes ci-dessous, et je vous encourage vivement à aller y jeter un œil !

Je ne peux que vous encourager également à suivre sur les réseaux sociaux des personnes qui parlent du sujet en connaissance de cause, comme par exemple Nicolas, que l’on peut trouver sur Instagram ou Tiktok sous le pseudo @supersero, et qui a rédigé « Le petit dico des superséros » pour sensibiliser le grand public au sujet de la séropositivité.


*Je ne parle pas ici de la PrEP, qui n’est pas un complément alimentaire mais un traitement préventif destiné aux personnes particulièrement exposées au VIH. Ce traitement empêche le virus du VIH de survivre et permet aux personnes sous traitement de rester séronégatives.


Ressources généralistes :

https://www.sida-info-service.org

https://preventionsida.org

Ressources spécifiques aux professionnel·les de santé :

Sur la sérophobie :

Statistiques récentes sur le VIH et le Sida en France :