Zet ou ne pas être ? Telle est la question…

Je voudrais préciser au préalable que je ne me prends pas en exemple : je ne suis pas un modèle à suivre et je ne prétends pas l’être ! Je tombe encore parfois dans certains des travers cités ci-dessous, même si j’essaie de faire en sorte que cela se produise de moins en moins.

Je ne sais pas si ça a grand intérêt de partager mes ressentis à ce sujet. Mise à part la possibilité que ça vous offre de me rappeler à l’ordre si jamais je venais un jour à ressembler à ces personnes qui aujourd’hui me donnent envie de fuir – mais pas au point de redevenir naturopathe, ouf !


Depuis que j’ai commencé à porter un regard critique sur la naturopathie, j’interagis avec pas mal de personnes qui se disent « zététicien-ne-s » (ou bien c’est l’inverse, je porte un regard critique sur la naturopathie depuis que j’interagis avec elleux – bref, la poule, l’œuf, tout ça… c’est pas le sujet du jour !). Certain-e-s parlent même de « communauté zet » ! Et moi, à la longue, ça m’interroge : Quelle est ma place dans tout ça ? Est-ce qu’en développant mon intérêt pour la zététique et l’esprit critique je suis devenu à mon tour membre de la « communauté zet » ?

La plupart des « zététicien-ne-s » semblent partager un intérêt commun pour la méthode scientifique, la zététique et l’exercice de l’esprit critique. Et ça fait envie ! Ça sonne comme une promesse d’échanges passionnants, de débats constructifs, de remises en question déstabilisantes (mais positives !)…

Bon, ça c’est sur le papier… Parce que dans la pratique, c’est pas forcément aussi intéressant… Si mon intérêt pour l’esprit critique et les outils de la méthode scientifique va croissant, j’ai de plus en plus envie de prendre mes distances avec la « communauté zet ». Mais pourquoi donc cette envie d’apprendre toujours plus, et de fuir en même temps ?…

En fait, j’ai rencontré de nombreuses personnes « zet » avec lesquelles j’ai pu avoir des échanges constructifs, des questionnements profonds et enrichissants, des doutes partagés… Mais j’ai aussi (et surtout, malheureusement) perdu temps et ressources en étant confronté à des personnes moins représentatives de l’idée que je me faisais de la zététique…

Des personnes étonnamment sûres d’elles pour des personnes censées cultiver l’art du doute.

Des personnes condescendantes persuadées détenir une vérité absolue.

Des personnes qui exigent des autres de remettre en question leurs croyances sans prendre le temps de questionner les leurs.

Des personnes qui passent plus de temps à pointer du doigt les biais et sophismes observés chez les autres, qu’à observer et corriger les leurs.

Des personnes qui semblent penser que l’ancienneté de leur parcours dans la « communauté zet » confère une solidité inébranlable à leurs discours.

Des personnes qui semblent penser qu’avant de découvrir les outils de la méthode scientifique, on avait pas de vie, pas de convictions, pas de valeurs, pas d’aptitude à la réflexion ou au raisonnement.

Des personnes qui semblent incapables d’envisager un dialogue sans qu’on leur fournisse des méta-analyses pour appuyer chacune de nos phrases.

Des personnes qui ne semblent pas prendre en considération le coût que cela a de réviser ses croyances (je pense notamment aux personnes dont les croyances structurent leur vision de la vie, sont leur principale source de revenus, sont un pilier de leur vie sociale etc.).

Des personnes plus aptes à remettre en cause les croyances des autres que leur façon oppressive de communiquer (coucou le sexisme et la psychophobie!).

Des personnes qui alimentent une culture de l’humiliation-spectacle.

Des personnes qui brandissent leurs diplômes, leur âge ou leur titre comme des arguments recevables.

Des personnes qui ont la prétention inhumaine de s’extraire de toute considération sociale et de parvenir à livrer des discours neutres et apolitiques (donc des personnes qui nient les implications sociales liées à leur statut personnel, en imaginant que c’est un gage de neutralité de prendre la parole en tant qu’homme blanc cis dans une société raciste et patriarcale).

Des personnes pour qui la méthode scientifique ne semble s’appliquer qu’aux sciences dites « dures » (et pas aux considérations sociales, aux considérations éthiques, aux considérations politiques – comme si la rationalité avait des frontières…).

Des personnes qui instrumentalisent leur notoriété pour tenir des discours politiquement situés, mais en feignant la neutralité (et c’est pas pour tenir des discours progressistes, sans surprise… cf. les interventions de « zet apolitiques » sur les médias d’extrême-droite).

Des personnes qui abordent des sujets complexes et éminemment politiques (la santé en fait partie) en prétendant que la science permet de les aborder sans avoir à se préoccuper des implications sociales et politiques.

Des personnes qui, au lieu de pointer du doigt les limites des sciences sociales, les rejettent en bloc pour servir une vision dépolitisée du monde (au profit de classes dominantes donc).

Des personnes qui détournent les outils de la méthode scientifique pour servir des idéaux réactionnaires – sans que ce soit pour blaguer (coucou les pseudo-zet amateurices de fiction qui pensent qu’il existe une secte végane, un complot féministe ou un grand remplacement trans).

Des personnes qui semblent plus intéressées par la vérité vraie absolue, universelle et scientifique (ok j’exagère un peu, je grossis le trait…) que par l’emploi de la méthode scientifique et ses outils pour minimiser les dangers, les souffrances, les risques, et augmenter le bien-être de toustes.

Des personnes qui ne voient pas le problème de la sous-représentation des personnes sexisées, racisées ou issues des classes sociales dites inférieures au sein des espaces dédiés à l’esprit critique.

Bref, des personnes auxquelles je n’ai pas envie de ressembler.

Et ce qui est dommageable à la « communauté zet », c’est que ces personnes prennent beaucoup de place. Trop de place. En tout cas suffisamment pour faire fuir d’innombrables personnes qui auraient pu s’intéresser aux outils de la zététique mais qui s’en détournent en faisant le même constat que moi.

Se dire « zet » aujourd’hui, c’est revendiquer l’appartenance à une « communauté » qui assure une visibilité énorme aux personnes mentionnées plus haut. Et ça fait pas envie à grand monde je pense. Du moins, pas à moi, ni aux nombreuses personnes avec lesquelles je partage un certain nombre de valeurs et d’idéaux : notamment les personnes animées par la volonté de contribuer à minimiser les souffrances, à l’émancipation et au bien-être du plus grand nombre (ce qui implique la volonté d’éradiquer les mécanismes de domination).

Aujourd’hui, si je me dis parfois « bébé zet », je n’ai en réalité pas du tout envie d’être associé à la majorité visible de cette « communauté », et encore moins de leur ressembler un jour. Et, de manière assez étonnante, j’ai le sentiment que ce n’est pas en côtoyant la « communauté zet » que je parviendrai le mieux à développer une forme d’humilité pourtant inhérente à l’art du doute…

Par contre, ne croyez pas vous débarrasser de moi comme ça ! Porter un regard critique sur la « communauté zet » ne m’empêchera pas de continuer à m’approprier les outils de la méthode scientifique et de l’esprit critique et d’en faire usage ! Ça ne m’empêchera pas non plus de continuer à œuvrer pour dénoncer les dangers des pseudo-médecines à travers les activités que je mène en ce sens.

D’ailleurs, on se retrouve bientôt aux Rencontres de l’Esprit Critique pour causer naturopathie, pseudo-médecines, alimentation et politique un peu aussi, forcément… (parce que l’on ne fera pas semblant d’incarner la neutralité et qu’on occultera pas la dimension sociale des thématiques abordées, n’est-ce pas ?)

[ EDIT : J’apprends que Nicolas Martin publiait au même moment que moi (Synchronicité ? Huuum, je ne crois pas ^^), un article qui rejoint quelques unes de mes réflexions – bien mieux rédigé cependant, avec des citations, des références, un truc sérieux quoi ! Il y est question de tout un tas d’aspects passionnants, et personnellement ça me donne un peu d’espoir. Vous pouvez le retrouver sur le site du Cortecs : https://cortecs.org/non-classe/quand-faut-il-dependre-son-jugement/ ]

[ EDIT BIS : Andréa de la chaîne « Concrètement moi » publiait dans la foulée une vidéo sur le classisme dans a communauté zet. Ça fait plaisir de voir des voix s’élever à se sujet ! Retrouvez sa vidéo ici : https://www.youtube.com/watch?v=MRunFqpz6nk&lc=Ugz2bzY4A3U5xrjhK7J4AaABAg.9_ElWRk55yb9_EnqweC-3C ]