Pourquoi je n’utilise pas d’IA…

On m’a encore récemment incité⸱e à me mettre à l’IA dans le cadre de mon travail, car ce sera de toute façon un jour inévitable, alors « autant ne pas prendre de retard et s’y mettre tout de suite ». J’entends cet argument, certes. Mais pour l’heure j’ai encore le choix, et je choisis de ne jamais utiliser l’IA, que ce soit à titre personnel ou professionnel.

Car oui, si l’IA semble progresser de telle manière qu’il nous semble qu’elle sera incontournable un jour, pour l’instant rien ne m’oblige à y recourir. Alors certes, lorsque j’ai par exemple besoin de connaître les guidelines actualisées concernant telle ou telle pathologie, ça me prend du temps de consulter les ressources sur le site de la Haute Autorité de Santé, d’aller chercher les dernières revues de la littérature à ce sujet, d’aller lire les fiches des sociétés savantes concernées etc. Mais je suis en capacité de le faire, alors je le fais, car cela me convient bien plus que de solliciter l’avis instantané d’une IA générative, dont je doute de la pertinence de la réponse… et dont je connais le coût environnemental et humain.

En effet, mes principales réticences concernant l’IA tiennent au fait que c’est une véritable catastrophe éthique et environnementale.

Une catastrophe environnementale déjà, dont on ne mesure d’ailleurs pas réellement l’ampleur du désastre, souvent sous-évalué. Les émissions de gaz à effet de serre, l’épuisement des ressources abiotiques (fossiles, métaux, minéraux), l’émission de particules fines et la pollution de l’eau sont quatre des impacts environnementaux majeurs en lien avec la fabrication et l’utilisation des serveurs nécessaires à l’IA. Si pour l’heure, ces impacts environnementaux de l’IA sont déjà conséquents, il faut s’attendre à ce que ces impacts soient multipliés par 7 d’ici à 2030 seulement.1 Cela me paraît démesuré en cette période de crise écologique, d’autant plus qu’il est question de l’impact d’une technologie dispensable…

Et puis, je défends l’idée que l’IA, c’est également une abomination éthique à plusieurs titres. Je vais donc évoquer les petites mains de l’IA et le risque de disparition de nos emplois.

Les petites mains de l’IA, car, vous l’ignorez peut-être, mais pour produire des contenus plus ou moins pertinents, l’IA doit continuellement être entraînée par des millions de personnes à travers le monde. Des millions de personnes qui sont exploitées très salement par les géants du secteur, pour calibrer les IA, leur permettre de sortir au final les réponses les plus qualitatives. Ces personnes trop souvent invisibilisées lorsque l’on aborde le sujet de l’IA vivent dans la misère et acceptent des conditions de travail inhumaines avec l’espoir de survivre un peu mieux. Elles n’ont généralement pas de contrat de travail et sont rémunérées de manière indécente (le mot est faible).2

De plus, ces personnes doivent se confronter aux contenus les plus violents, les plus gores, les plus atroces, avec des conséquences évidemment terribles pour leur santé mentale3… tout cela pour épargner les privilégié⸱es comme nous, qui sommes en bout de chaîne à consulter les IA tranquillement depuis notre salon, sans jamais être confronté⸱es à ces atrocités, filtrées efficacement grâce à l’exploitation invisible de ces millions de personnes. Je refuse donc de me rendre complice de cette exploitation en recourant à l’IA.

D’un point de vue éthique toujours, l’IA constitue une menace pour de nombreux emplois. Une étude récemment réalisée par le cabinet Roland Berge évoque la possibilité de 800 000 emplois menacés en France par l’IA générative, notamment des emplois de bureau (secrétariat, accueil…).
L’étude précise d’ailleurs que « les emplois occupés par les femmes seront particulièrement impactés, car elles sont surreprésentées dans les professions à fort potentiel d’automatisation. »4

Mais ce risque touche globalement toute personne dont l’IA générative peut assumer tout ou partie des tâches, par exemple les programmeur⸱euses informatiques, les illustrateur⸱ices, les traducteur⸱ices, les journalistes etc. A terme, mis à part les emplois particulièrement complexes, tous sont plus ou moins menacés par l’avènement de l’IA.

Ceci étant, n’étant pas particulièrement attaché⸱e à la valeur travail (je suis plutôt dans la team « revenu de base » ou « salaire à vie »), je ne pense pas que cela soit problématique, en soit, de voir disparaître des emplois peu épanouissants aux tâches répétitives et automatiques. MAIS… dans le contexte socio-économique dans lequel nous sommes (sous l’ère du capitalisme), qui dit perte d’emploi dit précarité. Donc, même si dans une société idéale, j’aurais pu me réjouir de voir disparaître ce genre d’emplois car cela aurait pu faire gagner tout le monde en qualité de vie, dans la société actuelle, cela me pose fortement problème car des millions de personnes dépendent de ces emplois pour vivre. Dans l’attente impatiente d’un changement radical de paradigme socio-économique (c’est mal barré…) et par solidarité envers les personnes les plus menacées par l’IA, je refuse d’utiliser cet outil qui menace nos moyens de subsistance.

Précision de circonstance : les métiers de la santé ne sont pas en reste… Le PDG de l’entreprise française Doctolib annonçait justement ce matin le développement d’un assistant médical basé sur l’IA, personnalisé, accessible gratuitement, pour conseiller les patient⸱es et lutter contre la désinformation  : https://www.dailymotion.com/video/x9sslv8

Pour toutes ces raisons, je me tiens bien à distance de l’IA, à titre personnel comme professionnel. C’est peut-être de la pureté militante… Je ne sais pas. Et je n’aurai peut-être pas le choix de m’y mettre un jour, lorsque mes collègues auront toustes cédé aux sirènes de l’IA et que les attentes de mes patient⸱es iront dans ce ce sens également… Mais pour l’instant, je profite d’avoir encore le choix pour rester en accord avec mes valeurs.

  1. Voir à ce sujet la toute récente étude de Green IT : https://www.greenit.fr/2025/10/21/quels-sont-les-impacts-environnementaux-et-sanitaires-de-lia/ ↩︎
  2. Voir par exemple à ce sujet cet article de Basta : https://basta.media/intelligence-artificielle-petites-mains-derriere-IA-travailleurs ↩︎
  3. À ce sujet, voir notamment le terrible documentaire « Les sacrifiés de l’IA », réalisé par Henri Poulain. ↩︎
  4. Voir l’étude du cabinet Roland Berger ici : https://www.rolandberger.com/fr/Insights/Publications/L-impact-de-l-IA-g%C3%A9n%C3%A9rative-sur-l-emploi-en-France.html ↩︎

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