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Quand j’ai eu connaissance de la publication de cet ouvrage, je me suis demandé si je n’étais pas passé à côté de quelque chose… J’ai été très tenté-e de le lire pour me faire un avis à son sujet… Alors, c’est ce que j’ai fait ! Je vous propose donc ici une revue de lecture du livre « 100 médecines douces validées par la science » rédigé par le Pr Grégory Ninot, publié en janvier dernier.
La toute première chose qui a attiré mon attention en lisant le sommaire, c’est qu’il n’est en fait pas question de médecines douces… Enfin, ça dépend ce que l’on entend par là…
C’est aussi le problème de ces expressions qui ne veulent rien dire et qui sont utilisées pour qualifier tout et son contraire. Personnellement, et je pense que c’est le cas de la plupart d’entre nous, quand j’entends parler de « médecines douces », je m’attends à ce qu’il soit question de thérapies dites « alternatives et complémentaires », ces pratiques que certaines personnes opposent à la médecine dite conventionnelle, enfin, à la médecine tout court. Je m’attends à ce qu’il soit question de naturopathie, de reïki, de sophrologie, d’acupuncture, d’homéopathie etc etc.
Et ce n’est pas tout à fait ce que l’on trouve dans cet ouvrage. Malgré un titre pouvant laisser entendre qu’il serait question de thérapies alternatives ou complémentaires, le livre change rapidement de vocabulaire en évoquant finalement des interventions non médicamenteuses. Tout en entretenant une confusion à ce sujet tout du long, malgré une volonté affichée de ne pas alimenter la confusion inhérente à cette terminologie… C’est à la fois étrange et ça m’interroge sur l’objectif de la publication de cet ouvrage…
L’introduction entretient notamment une confusion flagrante entre médecines qualifiées de « douces », « naturelles » ou « alternatives » et interventions non médicamenteuses. Elle présente tout de même l’intérêt de mettre en garde contre les dangers de certaines pratiques alternatives, le risque d’y perdre du temps, de l’argent et sa santé, le risque de faire confiance à des témoignages plutôt qu’à des pratiques éprouvées par la science. Sont aussi pointés du doigt l’absence de pertinence de se fier au caractère « traditionnel » d’une pratique, les critères de méfiance de la MIVILUDES sur les dérives sectaires. D’ailleurs, l’auteur indique s’attacher à la démarche scientifique, à la médecine basée sur les preuves (evidence based medecine – EBM) et être lui même acteur de la recherche sur les sujets abordés dans son livre.
Cela semble quelque peu rassurant sur la suite, même si le médecin qui préface l’ouvrage qualifie la médecine d’ « allopathique », et laisse entendre que les interventions non médicamenteuses ne seraient pas inclues dans le parcours de soin médical.
Ce qui est complètement erroné et semble relever d’une vision très partielle de la médecine et du parcours de soin médical… Car la médecine, ce ne sont pas QUE les traitements médicamenteux ou chirurgicaux… C’est AUSSI la prévention des risques, l’éducation thérapeutique des patient-e-s, la prise en charge psychologique et émotionnelle, l’accompagnement destiné à gérer la douleur, la ré-éducation, la promotion de l’exercice physique adapté, la prise en charge diététique etc. Alors certes, ces aspects là ne sont sûrement pas assez mis en avant et exploités… mais tout cela relève de ce que l’on nomme les interventions non médicamenteuses, qui sont quotidiennement mises en œuvre par les professionnel-le-s de santé.
Le sommaire révèle d’ailleurs cette confusion manifeste puisque sur les 100 interventions non médicamenteuses citées (présentées comme des médecines douces donc), seules 38 relèvent des thérapies dites alternatives (et encore… on va y revenir !). Le reste des interventions citées relève de l’éducation thérapeutique, de la relaxation, des thérapies cognitives, de l’exercice physique adapté, de la diététique thérapeutique, de la kinésithérapie et d’autres interventions non médicamenteuses communément menées dans un parcours médical conventionnel. Ou moins communément si elles sont récentes, comme les outils qui font appel à la réalité virtuelle par exemple. En tout cas, elles ont bien évidemment fait leurs preuves si elles intégrées au parcours médical conventionnel…
Pour ce qui est des 38 méthodes qui relèvent effectivement des médecines douces, on trouve principalement des recommandations de compléments alimentaires, sous forme de plantes mais pas uniquement. Cela concerne 18 des interventions non médicamenteuses mentionnées. On trouve aussi quelques conseils d’aromathérapie, de musicothérapie, de taï chi, yoga-thérapie et de danse-thérapie, de mindfullness et d’hypnose, de biofeedback et d’EMDR, de thérapies au contact d’animaux ou de plantes, mais aussi d’ostéopathie, d’auriculothérapie, d’acupuncture et de réflexologie plantaire…
En lisant les chapitres dédiés à ces méthodes, je me disais qu’il y avait pas mal de choses qui ne tournaient pas rond… Alors j’ai été fouiller un peu dans les études qui servent de sources à l’auteur, et qui lui permettent de tirer des conclusions que je trouve un peu hâtives… Bon, vous me pardonnerez, mais je n’ai pas fait ça pour les 38 chapitres hein ! Je me suis contenté-e d’aller explorer les affirmations qui suscitaient le plus mon intérêt personnel.
J’ai commencé par la réflexologie plantaire, puis que je connais assez bien cette discipline, l’ayant pratiquée moi-même… L’auteur indique que la méta-analyse qu’il cite (voir note de bas de page 1) conclut que la réflexologie plantaire permet « une amélioration de la qualité du sommeil, les patients ressentant un relâchement, une détente, un coup de fatigue et une envie de dormir ». Bon, sauf qu’en fait… pas tout à fait.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, je précise rapidement de quoi il s’agit : la réflexologie plantaire, c’est une technique manuelle qui prétend stimuler les capacités d’auto-guérison du corps en massant des zones spécifiques sous les pieds, censées être connectées à l’ensemble des organes du corps. Cela relève en quelque sorte de la médecine traditionnelle chinoise et des croyances liées aux méridiens.
Si on en revient à cette étude, on constate une limite assez conséquente : les chercheurs ont choisi de recenser uniquement les études menées sur l’impact de la réflexologie plantaire sur le sommeil dans lesquelles le groupe contrôle ne recevait ni traitement, ni soin, ni indication spécifique. Ça signifie que les chercheurs ont choisi de comparer l’effet d’un protocole de réflexologie plantaire avec… rien. En gros, ça veut dire que d’un côté on observe comment évolue la qualité du sommeil de personnes qui ne font rien de particulier pour améliorer leur sommeil, et de l’autre on observe comment évolue la qualité du sommeil de personnes qui utilisent pendant un temps donné la réflexologie plantaire, sans protocole précisément détaillé. Et c’est pas avec ce genre d’études que l’on peut conclure quoi que ce soit de la réflexologie plantaire…
Pour tirer de telles conclusions, il aurait fallut comparer des choses comparables : par exemple, observer d’un côté des personnes recevant un protocole de réflexologie plantaire, et de l’autre des personnes recevant un simple massage des pieds, sans que les personnes ne soient en mesure de savoir si elles recevaient un simple massage ou une séance de réflexologie. Voire mieux encore, observer d’un côté des personnes recevant un protocole de réflexologie plantaire spécifique au sommeil, et de l’autre des personnes recevant un protocole de réflexologie plantaire différent… C’est ce que d’autres études plus sérieuses font déjà d’ailleurs… Et à ma connaissance, aucune d’entre elle ne permet de conclure que la réflexologie plantaire présente des effets supérieurs à un simple massage sur la qualité du sommeil…
Passons à un autre chapitre… L’auteur indique que la spiruline a un effet bénéfique sur le surpoids et l’obésité. Il fait tout de même bien de préciser que la spiruline n’a rien de miraculeux et qu’elle ne dispense pas d’une prise en charge diététique, psychologique et physique… Et c’est d’autant plus approprié que la publication sur laquelle il se base (voir note de bas de page 2) pour affirmer que la spiruline contribue à la perte de poids repose sur des études dont les modalités de contrôle de l’alimentation et de l’exercice physique n’étaient pas les mêmes, et dont la moitié n’était pas en double aveugle… C’est à dire que dans la moitié des études, les personnes observées et/ou les chercheurs savaient qui recevait des comprimés de spiruline, et qui recevait un placebo. Les participant-e-s savaient également toustes que l’objet de l’étude était l’étude de leur poids. Ce qui contribue immanquablement à biaiser les résultats obtenus. Il me semble donc particulièrement ambitieux de prétendre que des comprimés de spiruline (sans en préciser la posologie d’ailleurs…) permettraient de lutter contre l’obésité, sur la base d’une publication présentant de telles limites et concluant à un perte de poids moyenne inférieure à 2 kilos…
A ce stade de ma lecture, j’étais déjà très déçue… Mais j’ai quand même voulu investiguer les prétentions du Taï-chi, qui selon l’auteur du livre, contribue à limiter le risque de chutes chez les personnes âgées. Pour celleux qui ignorent ce dont il s’agit, nous parlons ici d’un art martial chinois qui combine des mouvements lents et des exercices respiratoires, supposément équilibrants pour le corps et l’esprit, sur la base de l’existence d’une énergie vitale nommée Chi.
Effectivement, la publication citée par l’auteur (voir note de bas de page 3) conclut que la pratique régulière du Taï-chi permet de diminuer le risque de chutes chez des personnes de plus de 65 ans. Cela contribue en effet, comme le précise l’auteur, à améliorer l’équilibre, la coordination et la souplesse, tout en augmentant la force musculaire… comme n’importe quelle autre activité physique associant équilibre et coordination motrice. L’auteur du livre ne fait pas cette précision, ce qui selon moi laisse entendre que le Taï-chi présenterait un intérêt spécifique et supérieur aux autres activités physiques comparables (un peu comme pour la réflexologie plantaire précédemment). Or, rien dans la publication citée ne permet de dire que le Taï-chi aurait un intérêt supérieur aux autres activités physiques stimulant les mêmes aptitudes. Alors pour être honnêtes, on devrait plutôt encourager à la pratique de l’activité physique qui convient le mieux aux personnes concernées et qui leur permet de travailler leur équilibre, en leur proposant diverses pratiques, sans focaliser sur celles qui présentent une dimension spirituelle ou énergétique (qui ne leur confère aucun intérêt en terme de santé).
Bon, après ce chapitre, je n’étais toujours pas très convaincu-e par les sources et les raisonnements de l’auteur… Mais j’ai tout de même tenté de creuser un autre sujet. Et je me suis intéressé-e cette fois à l’acupuncture, que je connais assez peu. Il est question dans ce chapitre d’un protocole d’acupuncture spécifique qui serait efficace pour soulager les nausées induites par une chimiothérapie en cas de cancer du sein. Intéressant ! Sauf qu’en fait… non. La méta-analyse citée pour appuyer cette affirmation (voir note de bas de page 4) conclut littéralement qu’il n’y a actuellement pas de preuve suffisante permettant de conclure à un quelconque bénéfice de l’acupuncture pour les patientes souffrant de symptômes causés par un traitement contre le cancer.
En fait, l’auteur du livre s’appuie sur deux petites études qui sont citées dans la méta-analyse, pour leur faire dire le contraire de ce que la méta-analyse conclut…
Je n’ai pas creusé plus de chapitres : personnellement ça m’a suffit pour en conclure que cet ouvrage est plus que discutable…
Déjà parce que cet ouvrage entretient une confusion énorme entre « médecines douces » et interventions non médicamenteuses, tout en alimentant l’idée que la médecine mettrait de côté les aspects non médicamenteux ou chirurgicaux. Ce qui est faux, on l’a déjà évoqué plus tôt…
Ensuite, puisque l’auteur semble connaître les effets placebos, l’intérêt de la présence d’un groupe contrôle, puisqu’il mentionne aussi les niveaux de preuve et son attachement à l’EBM, je me serais attendue à ce que les exigences de rigueur affichées en introduction se retrouvent concrètement dans les chapitres suivants… Mais manque de chance, mes attentes ont été déçues.
Au final, ça ressemble plutôt à une liste de prétentions infondées concernant les thérapies dites alternatives et complémentaires, noyées dans la mention d’interventions non médicamenteuses communément mises en œuvre dans le parcours de soin médical.
Et j’étais aussi particulièrement déçu-e de lire la liste des « médecines alternatives » qu’il conseille d’éviter car n’ayant pas apporté la preuve de leur pertinence et/ou exposant à des risques pour la santé. J’étais déçu-e par la très courte taille de cette liste, dans laquelle ne figurent par exemple pas la naturopathie, l’homéopathie, la kinésiologie, le reiki, l’EFT, l’acupuncture, la micro-nutrition et toutes ces pratiques douteuses courantes qui ont pourtant pignon sur rue… Comme si on pouvait en conclure que ces pratiques étaient fiables et fondées…
Un point positif malgré tout : l’auteur prend la précaution de renvoyer presque tout le temps vers des professionnel-le-s de santé (kiné, médecin, pharmacien, psychiatre, psychologue…) et paramédicaux telles que des personnes formées à l’activité physique adaptée. Mais pas uniquement malheureusement…
Pour conclure et synthétiser ce que je retire de cette lecture, je dirais qu’il faudrait bien plus rigoureux qu’un tel ouvrage pour prouver l’efficacité propre des « médecines douces ».
L’intention de confronter les pratiques des « médecines douces » à l’exigence de la rigueur scientifique me semble tout à fait louable, et même souhaitable. Tout le monde tirerait profit à ce que l’on intègre dans le parcours de soin médical certaines pratiques si elles apportaient la preuve de leur intérêt.
Encore faut-il éviter de faire preuve de complaisance, ne pas alimenter de confusion entre pseudo-médecines et interventions non médicamenteuses, et, bien évidemment, évaluer convenablement ces pratiques. Notamment en n’oubliant pas de prendre en considération le poids des effets contextuels pour évaluer leur efficacité propre… Je vous glisse d’ailleurs quelques ressources en description si l’envie vous prend de creuser le sujet (voir note de bas de page 5).
Ah, et je vais ajouter un petit mot aussi sur le co-auteur de cet ouvrage : Brice Perrier. Auteur et journaliste, il semble ne pas accorder une grande confiance à la méthode scientifique (voir note de bas de page 6). Ce qui ne semble pas sans lien avec le fait qu’il ait été un des porte-parole régulier de Didier Raoult auprès du journal Marianne en 2020. Il est également l’auteur d’un ouvrage sur les origines du SARS Cov 2 qui lui a valu d’être qualifié de complotiste, selon ses propres mots (voir note de bas de page 7). Et dans une interview donné l’an dernier (voir note de bas de page 8), on peut l’entendre recommander un ouvrage qui prône le retour de l’ « Esprit » dans la démarche scientifique, mais aussi tenir des propos particulièrement complaisants à l’égard du Pr Luc Montagnier et manifester son intérêt pour les travaux du Dr Beljanski. Ces deux hommes étant la risée de la communauté scientifique du fait des libertés qu’ils prennent avec la démarche scientifique.
Notons au passage que l’ouvrage du Pr Ninot est préfacé par le Docteur Gérald Kierzek, directeur médical du site Doctissimo, pas forcément réputé pour sa rigueur scientifique. Le Docteur Gérald Kierzek est également un des médecins qui a écumé les plateaux télé en 2020 pour tenir des discours niant la gravité de la situation hospitalière pendant la pandémie de Covid 19, ce qui lui a valu deux rappels à l’ordre par sa hiérarchie de l’AP-HP (voir note de bas de page 9).
Voilà… Disons que le Pr Grégory Ninot aurait pu mieux s’entourer si l’idée était vraiment de donner un crédit scientifique et rationnel aux « médecines douces » qu’il souhaite valoriser…
1. HUANG H.-C., CHEN K.-H., KUO S.-F. et CHEN I.-H., « Can foot reflexology be a complementary therapy for sleep disturbances ? Evidence appraisal through a meta-analysis of randomized controlled trials », J Adv Nurs, vol. 77, 2021, p. 1683-1697
2. ZAREZADEH M., MAMAGHANI M. E. et al., « Spirulina supplementation and anthropometric indices : a systematic review and meta-analysis of controlled clinical trials », Phytother Res, vol. 35, 2021, p. 577-586
3. HUANG Z. G., FENG Y. H., LI Y. H. et LV C. S., « Systematic review and meta-analysis : Tai Chi for preventing falls in older adults », BMJ Open, vol. 7, 2017, p. e013661
4. JANG S., KO S.-G. et al., « Acupuncture as an adjuvant therapy for management of treatment-related symptoms in breast cancer patients : Systematic review and meta-analysis », Medicine, vol. 99, 2020
5. Ressources sur les effets contextuels, le placebo : https://www.monvoisin.xyz/faites-du-bien-a-vos-oreilles-ressources-sur-le-placebo/ – De manière plus synthétique, sur les effets contextuels toujours : « Pourquoi on va mieux avec une thérapie de merde? », vidéo de Psykocouac https://www.youtube.com/watch?v=r9UwT149d7Q
6. https://www.marianne.net/echantillon-biaise-indicateurs-arbitraires-comment-des-etudes-scientifiques-peuvent-etre-faussees
7. https://www.sudradio.fr/societe/brice-perrier-un-conflit-dinteret-enorme-pour-celui-qui-enquete-sur-le-laboratoire-de-wuhan
8. https://www.thinkerview.com/brice-perrier-covid-aux-origines-du-mal/
9. https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9rald_Kierzek