Alimentations végétales : quelles sont les connaissances des professionnel-le-s de la diététique ?

Les personnes végétariennes représentent une part croissante de la population française : d’après une enquête récente, 2,2 % des adultes déclarent avoir adopté un régime sans viande, c’est-à-dire pescetarien, végétarien ou végétalien (voir note 1 – dont environ 0,5 % de végétaliens). La diminution de la consommation de viande et de poisson touche également un quart des français-e-s interrogé-e-s, qui se déclarent flexitarien-ne-s. Par ailleurs, le marché des alternatives végétales à la viande et aux produits laitiers connaît une croissance très importante, ces produits devenant peu à peu des aliments de consommation courante (voir note 2).

Quelles que soient les motivations de ces choix (éthique animale, enjeux écologiques, raisons de santé, croyances religieuses…), ces régimes alimentaires sont de plus en plus adoptés. Ils restent cependant encore peu abordés dans les cursus de formation en diététique, notamment du fait que le Programme National Nutrition Santé (PNNS) ne les aborde que de manière très superficielle.

Si dans le cadre de l’un de mes stages de BTS diététique, j’ai été amenée à consulter plusieurs études soulignant la méconnaissance des médecins au sujet de ces alimentations, je n’ai par contre pas trouvé d’étude sur la perception de ces alimentations par les professionnel-le-s de la diététique. Il m’a donc paru pertinent de réaliser mon étude personnelle de BTS autour de la question suivante : quelle est la perception que les diététicien-ne-s ont des alimentations végétales ?

Pour répondre à cette interrogation, j’ai dans un premier temps élaboré un questionnaire destiné aux diététicien-ne-s exerçant en France après l’obtention du BTS diététique. J’ai volontairement mis de côté les personnes exerçant après obtention d’un DUT, puisque les enseignements ne sont pas tout à fait identiques, et que je voulais avoir un aperçu sur la base du cursus de formation le plus courant.

Pour rédiger les questions, je me suis notamment inspirée des études menées en thèse de médecine générale par les Dr Defer et Passelergue (voir note 3). J’ai souhaité réaliser un questionnaire suffisamment court (10 questions) pour faciliter l’adhésion des participant-e-s et obtenir un maximum de réponses complètes. L’objectif de ce questionnaire était d’évaluer les connaissances que les diététicien-ne-s ont des alimentations végétales (végétarisme et végétalisme) à travers leur aptitude à les définir, leurs connaissances sur les risques de carences, et les examens complémentaires spécifiques qu’iels suggèrent à leur patientèle végé.

J’ai ensuite diffusé ce questionnaire à plusieurs reprises sur des groupes de diététicien-ne-s sur les réseaux sociaux. Le choix d’un questionnaire diffusé de cette manière expose à un possible biais de sélection, voire de confirmation : les diététicien-ne-s ayant une alimentation végétale sont plus susceptibles de répondre à l’enquête, et ont potentiellement plus de connaissances à ce sujet. Afin de limiter autant que possible ce biais de sélection, j’ai choisi d’ajouter une question sur le régime alimentaire des répondant-e-s, afin d’analyser les résultats à la lumière de cette information.

Dans l’objectif de faciliter le traitement (anonyme) des résultats et de limiter le biais méthodologique qui serait induit par une mauvaise formulation de questions, le questionnaire reposait majoritairement sur des questions fermées à choix multiple.

Analyse des données recueillies

Avec un total de 85 réponses (dont 82 exploitables), les résultats de cette étude n’ont pas du tout la prétention d’être représentatifs. Ils permettent cependant de proposer un état des lieux de la perception que les diététiciennes qui ont répondu ont des alimentations végétales.

La majorité des personnes ayant répondu étant des femmes, je parlerai désormais de « diététiciennes » et de « répondantes » pour parler d’elles. Parmi les répondantes, 84 % déclarent avoir des personnes végé dans leur entourage et/ou leur patientèle, 11 % déclarent avoir une alimentation végétarienne ou végétalienne, et 51 % se disent flexitariennes. C’est bien au-delà des pourcentages que l’on retrouve dans la population générale. Il est donc plus que nécessaire d’étudier les résultats du questionnaire en prenant en considération ces spécificités.

Si toutes les répondantes définissent plutôt bien les composantes d’une alimentation végétalienne, il existe de grandes disparités au sujet de l’alimentation végétarienne, pour laquelle seuls 60 % des répondantes non végé donnent une définition correcte.

Près de 30 % des répondantes non végé pensent en effet que le poisson est un aliment végétarien, et 8 % ignorent que les œufs entrent dans la composition d’une alimentation végétarienne. Seule 1 répondante qui qualifie son alimentation de végétarienne estime par contre que le poisson est un aliment végétarien.

Si les répondantes végé définissent plus justement les alimentations végétales que les autres, elles n’ont pas une meilleure connaissances des risques avérés de carences pour les alimentations végétales. Le risque de carences en protéines, en fer et en calcium est largement surestimé (particulièrement par les répondantes non végé). Le risque de carence en vitamine B12 pour les personnes végétariennes ou végétaliennes est par contre clairement sous-évalué, ainsi que le risque de carence en iode et en acide gras essentiels pour les personnes végétaliennes (voir note 4). On note par ailleurs une étonnante crainte de carence en vitamine B9 pour les personnes végétaliennes (27 % des répondantes non végé), alors que les principales sources alimentaires (hormis le foie) sont végétales…

Cette tendance à surestimer les risques de carences en fer se retrouve dans les recommandations de bilans biologiques : 49 % des répondantes recommanderaient un bilan martial à leur patientèle végé.

De manière surprenante par contre, bien que la majorité d’entre elles ait conscience d’un risque avéré de carence en vitamine B12, seuls 46 % des répondantes orienteraient leur patientèle végé vers un dosage de la vitamine B12.

Les craintes de carences sont cependant telles que 12 % des répondantes orienteraient leur patientèle végé vers la mise en place d’un bilan sanguin complet régulier, et 6 % vers une albuminémie (donc avec un présupposé de dénutrition et la volonté de déterminer la sévérité de l’état de dénutrition).

Cette difficulté à définir correctement les alimentations végétales et à prendre en considération les risques avérés de carences qui en découlent (sans les sur ou sous-estimer) peut être mise en regard avec le fait que 54 % des répondant-e-s déclarent que leur principale source de connaissances sur les alimentions végétales réside dans diverses lectures et recherches personnelles.

Seuls 33 % des répondantes estiment que leurs connaissance à ce sujet émanent des enseignements du BTS diététique, dont plusieurs indiquent qu’ils sont insuffisants.

Ce qui justifie que 13 % des répondantes aient sollicité une formation ultérieure sur les alimentations végétales (en dehors du circuit de l’Éducation Nationale, en l’occurrence une formation d’une journée de l’AFDN – Association Française des Diététiciens Nutritionnistes, ou de 2 jours avec une diététicienne indépendante). Les sources de connaissances des répondantes sur les alimentations végétales sont donc variées, mais surtout de qualité variable et incertaine.

On peut également noter que les répondantes semblent particulièrement confiantes en leurs connaissances sur les sujets abordés, puisque sur les 246 opportunités offertes de cocher la réponse « je ne sais pas » (3 questions pour chacun des 82 répondantes), cela n’a été fait que 10 fois, et exclusivement sur le sujet des bilans biologiques. Ce qui ne semble pas anormal eu égard au fait que les deux tiers des répondantes ont obtenu leur diplôme récemment (depuis moins de 5 ans).

Mais si l’on met en regard la quasi-absence de réponse « je ne sais pas » avec la proportion importante de réponses erronées, on peut imaginer que les répondantes font preuve d’une confiance excessive en leurs connaissances. Ce qui n’est pas sans rappeler l’effet Dunning-Kruger (autrement nommé effet de sur-confiance – voir note 5), selon lequel les personnes les moins qualifiées dans un domaine auraient tendance à sur-estimer leur compétence…

Je citais tout à l’heure les travaux de thèse des Dr Passelergue et Defer : ceux-ci concluent que les craintes des médecins généralistes concernant les régimes végétarien ou végétalien et leurs potentiels risques ne semblent pas fondées sur la littérature, mais bien sur une représentation personnelle ou sociale associée à un manque de formation concernant ces sujets. Il semble en être de même pour les diététiciennes, répondantes qu’elles soient elles-mêmes végétariennes/végétaliennes ou pas.

Limites de cette étude personnelle

Si l’analyse des résultats permet de mettre en évidence une perception biaisée des alimentations végétales par les diététiciennes répondantes, elle ne permet par contre pas d’en mesurer les conséquences sur la prise en charge nutritionnelle de la patientèle concernée, ni sur la qualité de la relation entre les diététiciennes et la patientèle végé.

Les travaux réalisés par le Dr Demange (voir note 6) ont par exemple révélé qu’un attitude perçue comme négative vis à vis du végétarisme de la part du médecin, ou bien la recommandation de consommer des produits carnés à des patient-e-s végétarien-ne-s, pouvaient avoir pour conséquence de dégrader la relation entre le médecin et sa patientèle, notamment en favorisant :

  • les non-dits (un-e patient-e végé sur trois hésite à parler de ses symptômes à son médecin, de peur qu’il soit relié à son végétarisme),
  • la non observance des conseils ou prescriptions (40% des patient-e-s végé ont déjà arrêté un traitement prescrit, dont près de 30% car il contenait des produits d’origine animale)
  • et un recours accru à l’automédication et à des « médecines » dites alternatives ou complémentaires (naturopathie, médecine traditionnelle chinoise, homéopathie etc).

Il serait donc particulièrement pertinent d’étudier si la perception biaisée que les diététicien-ne-s ont des alimentations végétales a des conséquences équivalentes sur une patientèle végé. C’est en tout cas une conséquence à redouter et à prendre en considération, afin de garantir une prise en charge nutritionnelle convenable et le maintien dans le circuit médical pour cette part grandissante de la population française.

Propositions et ressources fiables

Au regard de ces éléments il me semble opportun de souhaiter une meilleure formation des professionnel-le-s de la diététique sur les alimentations végétales, à travers notamment une meilleure prise en considération de ces alimentations dans le PNNS et dans les programmes d’enseignement du BTS diététique.

Il semblerait également pertinent de prévoir des enseignements en lien avec les méthodes de recherche et les niveaux de preuve, afin que les diététicien-ne-s en exercice puissent efficacement maintenir à jour leurs connaissances, en se référant aux publications scientifiques en lien avec la nutrition. Dans cette logique, une initiation à l’esprit critique permettrait de conférer plus de rigueur aux diététicien-ne-s, en leur permettant de repérer les arguments fallacieux, biais cognitifs et sophismes qui sous-tendent les préjugés qui alimentent une perception des alimentations végétales éloignée des réalités scientifiques.

Afin de contribuer modestement à cet élan, j’ai élaboré une fiche synthétique que j’ai adressée aux répondantes du questionnaire qui m’ont laissé une adresse mail. J’ai pris le temps d’y préciser quelques précautions importantes pour évaluer la validité des ressources au sujet des alimentations végétales. Il me paraît judicieux de les partager ici également, car de nombreux préjugés et idées fausses circulent encore sur les alimentations végétales.

Pour lutter contre cette désinformation, méfiez vous des données sur les alimentations végétales que vous serez amenées à croiser dans le cadre de vos lectures et recherches personnelles – et tout particulièrement lorsque ces données :

  • ne sont pas sourcées ;
  • ne sont pas basées sur des publications scientifiques publiées dans des revues à comité de lecture (review, méta-analyses, études de cohorte etc.) ;
  • émanent de personnes qui ne sont pas professionnel-le-s de santé ;
  • en appellent à la tradition, au bon sens et/ou à l’ancienneté d’une pratique alimentaire pour en justifier les bienfaits (arguments fallacieux) ;
  • promeuvent les pseudo-médecines (naturopathie, micro-nutrition, hygiénisme, frugivorisme…) ;
  • insistent sur la dimension « naturelle » et/ou « thérapeutique » de l’alimentation ;
  • occultent ou nient la nécessaire complémentation en vitamine B12 pour les personnes flexitariennes, végétariennes et végétaliennes.

Pour compléter et/ou mettre à jour vos connaissances des alimentations végétales, je vous suggère quelques ressources francophones fiables, publiées par des professionnel-le-s de santé ayant une expertise spécifique à ce sujet, et basées sur la littérature scientifique :

Ajout octobre 2022 : une toute nouvelle formation vient de voir le jour au sein du Centre de Formation Diététique et Comportement –> https://www.dietetiquecomportementale.com/copie-de-elearning-tca

Je place également beaucoup d’espoir dans l’ouvrage à paraître le mois prochain qui s’intitule « La meilleure façon de manger végétal », fruit du travail collaboratif de Léa Lebrun et Fabien Badariotti. Mais je vous en dirai plus quand j’aurai pu le lire et me faire un avis à son sujet (je l’ai déjà pré-commandé…).

J’ajoute également ici des ressources spécifiques à la restauration collective :

Il y a encore un long chemin à parcourir pour que les professionnel-le-s de la diététique aient une perception convenable des alimentations végétales, mais on ne peut désormais plus dire que les ressources ne sont pas accessibles, et c’est déjà un grand pas en avant !


1- Étude réalisée par l’IFOP pour FranceAgriMer en 2021.

2- Good Food Institute, 2020 State of the Industry Report, Plant-based meat, eggs and dairy, 2021.

3- Defer N., État des connaissances des médecins généralistes de France métropolitaine concernant les patients suivant un régime d’exclusion en soins primaires, thèse de médecine générale, Université de Lille, 2017.

Passelergue L., Caractéristiques des connaissances sur l’équilibre nutritionnel des personnes végétariennes ou végétaliennes chez les médecins généralistes normands, thèse de médecine générale, Université de Caen Normandie, 2018.

4- Neufingerl N., Eilander A., Nutrient intake and status in adults consuming plant-based diets compared to meat-eaters: a systematic review, Nutrients 2022, 14(1), 29

5 – Sur l’effet Dunning-Kruger : https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Dunning-Kruger

6 – Demange S., La relation médecin-patient au regard du végétarisme, thèse de médecine générale, Université Jean-Monnet, Saint-Étienne, 2017.


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