Binge Audio – Peut-on avoir un rapport apaisé à la nourriture ?

Vous connaissez Binge Audio ? Personnellement, en général j’aime beaucoup leurs podcasts (mention spéciale pour « Les couilles sur la table » et « Le cœur sur la table »). Du coup j’étais super enthousiaste en découvrant ce soir un épisode sur le rapport compliqué que l’on peut avoir à l’alimentation : « Peut-on avoir un rapport apaisé à la nourriture ?« . Ça parle de régimes, de grossophobie, de normes de beauté, de contrôle, d’injonction à la minceur, de TCA, d’orthorexie, de plaisir, d’alimentation intuitive, d’estime de soi… bref, filez donc écouter cet épisode plein de réflexions stimulantes si ces thématiques vous intéressent !

Il y a malgré tout quelques points qui ont tout particulièrement attiré mon attention et qui nécessitent à mon sens quelques précisions (sans grande surprise, c’est en lien avec la naturopathie!). Comme je ne me voyais pas faire un commentaire de plusieurs milliers de caractères sous le podcast, je me livre à l’exercice ici.

A la minute 18:45 on nous fait écouter le témoignage touchant d’une naturopathe qui indique avoir vécu une période d’orthorexie, c’est à dire d’avoir eu un rapport à l’alimentation guidé par ce qu’elle pensait être bon en termes de santé (Wikipedia présente l’orthorexie comme la « volonté obsessionnelle d’ingérer une nourriture saine et le rejet systématique des aliments perçus comme malsains »). Cette naturopathe fait le lien entre cette période d’orthorexie et les conseils prodigués par ses enseignant.es, qui promouvaient activement une alimentation crue et encourageaient à ne manger que des fruits jusqu’à 16 heures, avant de faire plus tard le seul vrai repas de la journée (c’est le concept du « raw till 4 »…). Elle évoque la culpabilité liée à l’ingestion d’aliments perçus comme « toxiques » et la mise en place de stratégie de « purification ».

A la suite de ce témoignage, l’intervenante Zina Mebkhout évoque le mythe de la détox et réagit en évoquant « la formation des professionnel.les de santé ». Elle évoque le fait que ces formations (médicales et autres) sont institutionnellement basées sur l’injonction à la minceur, des normes de beauté sexistes, âgistes, racistes. Elle se désole du constat qu’en sortant d’une école de naturopathie on puisse avoir envie d’exercer un tel contrôle sur son alimentation et indique que selon elle ça dit quelque chose de l’institution qui dispense ces formations. Puis les réflexions s’enchaînent sur la nécessité de former des professionnel.les de santé qui puissent éduquer leur patientèle à « se foutre la paix » au niveau de leur alimentation et qui puissent s’extraire des dynamiques grossophobes.

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→ Première chose à préciser ici : il y a une confusion manifeste, car les naturopathes ne sont pas des professionnel.les de santé, pas plus que les kinésiologues, les chamanes, les musicothérapeutes ou les maîtres reiki.

L’accès à aux professions de santé est réservé aux personnes qui valident un diplôme d’État mentionné dans les textes de lois qui réglementent ces professions (médecins, diététicien.nes, pharmacien.nes, kinés, infirmier.es… voir le code de la santé publique pour la liste complète). A l’inverse, les personnes qui pratiquent les pseudo-médecines (discipline sans fondement scientifique, dont la naturopathie) peuvent s’installer sans la moindre exigence de formation préalable, sans aucun diplôme de professionnel.le de santé, ni pré-requis scientifique ou médical.

Il est donc audacieux de ranger dans la même catégorie des disciplines éprouvées, réglementées et accessibles via des diplômes d’État et des disciplines sans fondement, qui ne sont encadrées par aucun texte de loi ou réglementaire : on ne peut décemment pas partir du principe qu’il existerait un tronc de formation commun entre toutes ces professions, qu’il y ait quoi que ce soit de comparable dans les processus de formation des médecins et des naturopathes.

→ Ceci étant, il me faut préciser une chose importante qui fait une énorme différence à ce niveau là justement : les comportements orthorexiques sont inhérents aux enseignements nutritionnels dispensés en naturopathie, mais ils ne sont pas systématiques dans les professions de santé.

En effet, l’alimentation est un des piliers de la naturopathie, un des principaux leviers que les naturopathes engagent pour préserver ou améliorer l’état de santé de leurs client.es : l’alimentation perçue comme saine est présentée comme à même de prévenir et guérir à peut près n’importe quel problème de santé. Si l’on est en mauvaise santé, c’est parce que l’on mangerait mal, et il suffirait de bien manger pour guérir d’à peu près tout et n’importe quoi… En parallèle de cette vision extrêmement culpabilisante de la santé, les naturopathes enseignent une multitude de restrictions supposément saines : éviction des aliments (trop) cuits, éviction du gluten et des produits laitiers, éviction des aliments acidifiants ou pro-inflammatoires, interdiction de certaines associations alimentaires, éviction des aliments non bio, promotion du jeûne et du jeûne intermittent etc. (aucune de ces restrictions n’étant fondée sur quoi que ce soit de scientifiquement démontré…). Impossible dans un tel contexte de ne pas développer des comportements orthorexiques : comment penser son alimentation autrement lorsque l’on nous fait croire que notre état de santé tient uniquement à l’observance stricte de ces innombrables restrictions alimentaires ?

A l’inverse, les enseignements dispensés aux professionnel.les de santé sont bien plus nuancés. Il existe, certes, des professionnel.les de santé dont les discours sont à même de susciter des comportements orthorexiques (coucou à certain.es collègues diét…). Mais dans l’ensemble, les professionnel.les de santé ne soutiennent pas l’idée (fausse) que l’alimentation est l’alpha et l’oméga de la santé. Leur formation leur permet de savoir et d’expliquer à leur patientèle qu’il existe de nombreux facteurs impliqués dans l’état de santé d’une personne, et ce indépendamment de son alimentation (des prédispositions génétiques, les effets de certains traitements, des causes accidentelles, des causes psychologiques… et aussi parfois un manque de bol). Les professionnel.les de santé ne soutiennent pas l’idée que l’on peut guérir de tout en changeant d’alimentation.

Et c’est là une différence de taille entre les professionnel.les de santé et les naturopathes. Les conséquences de leurs discours respectifs en termes d’orthorexie ne devraient donc pas être évalués sans nuance comme cela a été fait dans ce podcast.

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Un peu plus tard, vers 23:35, une personne partage son expérience d’un stage de jeûne réalisé pour tenter de mettre un terme à des troubles digestifs, mais qui a finalement complètement bouleversé son rapport à l’alimentation, avec la survenue de pensées obsessionnelles, de comportements compulsifs et même des vomissements. La personne fait le lien avec les pesées quotidiennes et les conseils nutritionnels reçus en cours de stage.

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→ Impossible ici de ne pas faire le lien avec les préceptes naturopathiques qui sont dispensés pendant ces stages de jeûne (le plus souvent animés par des naturopathes). Il ne fait nul doute que la personne qui témoigne a été exposée à des conseils culpabilisants similaires à ceux dispensés en formation en naturopathie : il lui a certainement été expliqué que sa santé dépendait de ses choix alimentaires, et divers régimes restrictifs ont sûrement été promus allégrement… Le combo idéal pour bouleverser son rapport à l’alimentation en quelques jours et induire chez elle des comportements troublés. Tristement…

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J’ai essayé de faire bref, mais il me semblait important de revenir sur ces points qui me semblent essentiels. J’espère qu’après la lecture de ce court article vous filerez écouter le podcast en question, car mises à part ces quelques imprécisions, il regorge de réflexions pertinentes et de pistes intéressantes !