Une naturopathie rationnelle ?

On me rétorque souvent que ma critique de la naturopathie est abusive car je généraliserais à l’ensemble des naturopathes alors que toustes ne sont pas concerné-e-s. On me dit régulièrement que je devrais me contenter de critiquer les dérives et abus des naturopathes qui ternissent l’image de la profession, tout en défendant les naturopathes sérieux-ses. Mais, une naturopathie rationnelle est-elle vraiment possible ?…


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J’entends ou je lis régulièrement une même critique en réponse à mes articles ou vidéos. Je ferais des généralisations abusives en mettant toustes les naturopathes et thérapeutes dits alternatif-ve-s dans le même panier. Le panier du charlatanisme et des discours dangereux pour la santé.

Pour les personnes qui formulent ces critiques, il semblerait qu’il soit correct de dénoncer les abus d’une poignée de gourous médiatisés, mais qu’il faille dans le même temps défendre une pratique sérieuse et rationnelle de la naturopathie et autres disciplines comparables. Et pour être honnête, c’est ce que j’ai aussi cru pendant un temps… J’ai même cherché à écarter toutes les dérives pour ne garder que les pratiques rationnelles de la naturopathie, que je voyais comme un complément nécessaire à la médecine conventionnelle. Mais une fois écartées toutes les pratiques irrationnelles, il ne restait plus que quelques recommandations d’alimentation saine et d’hygiène de vie basiques… C’est à dire… de la diététique améliorée, en gros.

Je persiste donc à affirmer qu’absolument rien de rationnel n’est propre à la naturopathie. Et la critique que j’en fais repose sur les fondements mêmes de la naturopathie, ses « piliers » comme ils sont qualifiés par les naturopathes elleux-mêmes. J’évite volontairement de mentionner les particularités et spécificités qui ne sont pas communes à toustes les naturopathes et peuvent faire débat au sein de cette pratique. Car même si l’ensemble des naturopathes n’a pas la même vision de la santé et de la naturopathie, les principes directeurs sont les mêmes pour toustes et ce sont ces fondements dont je fais la critique. Je pense que ces précautions sont suffisantes pour me permettre de généraliser mon propos à la naturopathie dans son ensemble.

J’ajouterai que ces principes directeurs de la naturopathie sont communs à d’innombrables autres pratiques thérapeutiques qualifiées d’« alternatives ». Raison pour laquelle je me permets parfois d’élargir ma critique plus largement… Ce qui est d’autant plus justifié que, ces disciplines n’étant pas reconnues par l’État, elles peuvent être pratiquées par à peu près n’importe qui, sous n’importe quelle étiquette, sans exigence de diplôme ou de formation. Je m’intéresse donc plus aux raisonnements, aux arguments et aux discours, qu’à l’étiquette même du ou de la thérapeute dont je critique la pratique.

Pour en revenir à la naturopathie à proprement parler, il me semble important de préciser que ma critique se fonde sur l’étude des enseignements que j’ai reçus lorsque j’ai été formée ans une école affiliée à la fédération française de naturopathie. Je suis donc censée avoir reçu la crème de la crème des enseignements de naturopathie dispensés ce pays.

Et si rationalité il y a dans la naturopathie, elle devrait immanquablement transparaître dans ce programme d’enseignement, puisque c’est celui qui est mis en avant pour valoriser la profession et qui sert de support au lobbying actif qui cherche à faire reconnaître cette pratique par l’Etat.

Mais la naturopathie reste la naturopathie, même dans le cadre le plus sérieux et avec les prétentions de rigueur les plus vives. Les fondements restent les indétrônables hygiénisme, vitalisme, causalisme, humorisme et holisme. Et rien qu’en se limitant à celui pour lequel j’ai déjà publié une critique, le causalisme, il y a énormément de problématiques à souligner. Et si les fondements mêmes sont irrationnels, il me semble compliqué de soutenir que la pratique qui en découle puisse ne pas l’être…

Un autre point qui me permet de faire des généralités qui paraissent abusives à certaines personnes, c’est la conscience que ce qui parait marginal dans ce domaine… ne l’est pas en réalité. Je m’explique… Quand par exemple on entend des personnes dénoncer les propos choquants de Thierry Casanovas sur le VIH, on pourrait imaginer que seule une poignée de naturopathes sont dans les mêmes délires dangereux. On pourrait imaginer que la plupart des naturopathes sont plus rationnel-le-s et tiennent des discours autres. Sauf que dans la réalité, si toustes ne tiennent pas des propos aussi choquants, les enseignements reçus vont dans ce sens… J’ai notamment le souvenir d’une leçon au cours de laquelle un enseignant de mon école affirmait que le VIH n’existait pas et qu’il n’y a avait donc pas besoin de s’en protéger. Et des exemples comme celui-ci, j’en aurais des centaines…

Car dans une école de naturopathie sérieuse, on apprend entre mille autres choses que l’on peut soigner une vaginite avec des extraits homéopathique de vagins prélevés sur un cadavre animal (organothérapie), que l’on peut renforcer son immunité en vue de guérir un cancer en dessinant et coloriant ses tumeurs et ses cellules immunitaires en action (programmation par visualisation biologique), on apprend que l’on peut lire dans les yeux d’une personne ses prédispositions en terme de maladie (iridologie), que l’argent colloïdal est un anti-infectieux majeur (oligothérapie), que l’on peut analyser les traits du visage d’une personne pour cerner sa personnalité mais aussi ses problèmes de santé (morphopsychologie – d’après mon enseignante je manquais de protéines animales, c’était visible sur mon visage… et ça n’a bien évidemment rien à voir avec ses préjugés et sa méconnaissance de l’alimentation végétale…).

Dans une école de naturopathie sérieuse, on apprend aussi que l’on peut contribuer à guérir à peu près tout et n’importe quoi en massant les pieds d’une personne (réflexologie plantaire) ou en lui titillant l’intérieur du nez avec un stylet (sympaticothérapie), on apprend les bases de la psychanalyse, l’intérêt de thérapies non conventionnelles comme la programmation neuro-linguistique, l’EFT ou le rebirth, et les bases de la bio-électronique de Vincent. On y apprend également l’intérêt de la diète alcaline pour préserver l’équilibre acido-basique, la théories des signatures de Paracelse, les bienfaits du régime hypotoxique du Docteur Seignalet, les bénéfices des purges, lavements et drainages divers et variés, l’importance de bien dissocier certains aliments incompatibles entre eux d’après Shelton, et la mémoire de l’eau à toutes les sauces. On y apprend aussi les bienfaits de l’hydrothérapie du côlon, de la médecine quantique, des Fleurs de Bach et de la gemmothérapie, mais aussi, bien évidemment, les méfaits attribués aux ondes et aux vaccins.

Et je ne vais pas vous faire languir en vue d’éventuelles vidéos ou articles à venir sur les sujets que je viens d’évoquer : tout ça, c’est du bullshit. Tout cela n’a aucun fondement, pas l’ombre de la preuve d’un quelconque intérêt en terme de santé. Hormis effet contextuel bien sûr… Et pourtant, ce sont les enseignements sur la base desquels la fédération française de naturopathie souhaite faire reconnaître la discipline…

Et sans grande surprise, les milliers de page de cours que j’ai reçus ne font jamais référence à une publication sérieuse dans une revue à comité de lecture. Par contre, dans les recommandations de lecture présentées comme incontournables, on trouve des choses très intéressantes…

Mon « préféré » dans cette liste, c’est l’ouvrage « Guide personnel des bilans de santé » de Daniel Kieffer. Daniel Kieffer, c’est le fondateur de l’école de naturopathie la plus réputée en France, le CENATHO. Il est aussi co-fondateur de la fédération française de naturopathie. Une pointure dans son domaine donc…

Cet ouvrage est incontournable pour percevoir la multiplicité des techniques employées en naturopathie. On y trouve, entre autres choses, des données relatives aux tempéraments hippocratiques, aux diathèses, aux techniques d’astrologie, de graphologie, d’iridologie, de kinésiologie, de radiesthésie, de réflexologie ou bien encore de numérologie… On y trouve aussi diverses méthodes de bilan énergétique, et la retranscription d’une prière chrétienne, accompagnée d’une invitation à se réconcilier avec le Christ, qui serait le seul médecin véritable. Un chapitre recommande également de se fier à la psychanalyse et à la médecine antroposophique pour traiter un cancer… Si vous n’avait pas frissonné en lisant cette phrase, c’est sûrement parce que vous ne connaissez pas encore la médecine antroposophique. Si c’est le cas, je vous encourage vivement à visionner la conférence de Grégoire Perra à ce sujet.

Parmi les autres ouvrages recommandés, on trouve des livres et revues présentant une approche de la santé basée sur les principes de la naturopathie, mais aussi de nombreux ouvrages de propagande anti-vaccination et bien évidemment, des ouvrages complotistes qui dénoncent un système de santé gouverné par les intérêts de big pharma…

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Rien de tout cela ne tient la route, et les fondements mêmes de la naturopathie étant irrationnels, il serait vain d’imaginer pouvoir tirer quoi que ce soit de rationnel de cette discipline. C’est la raison pour laquelle je ne me cantonne pas à dénoncer les dérives et abus d’une poignée de naturopathes médiatisé-e-s aux allures de gourous. Non, je pèse mes mots pour affirmer que la problématique ne réside pas tant dans leur médiatisation que dans les discours dangereux et irrationnels qui sont tenus, discours ayant les mêmes fondements que ceux des naturopathes lambda. Autrement dit, le problème ne vient pas de la portée médiatique de ces discours, mais du discours en lui-même, de la naturopathie et des disciplines comparables. A ce titre, je prends donc la liberté de généraliser ma critique de la naturopathie, en l’adressant à l’ensemble des personnes qui en sont actrices.


RESSOURCES POUR ALLER PLUS LOIN :

Sur le causalisme et les lois naturelles :

« Guide personnel des bilans de santé » par Daniel Kieffer :

https://www.grancher.com/guide-personnel-des-bilans-de-sante.html

Médecine Anthroposophique, Grégoire Perra, Skeptics in the pub Paris, 2019 :