Aujourd’hui je vais vous parler des tests d’intolérances alimentaires à IgG. C’est un sujet que je connais bien, puisque j’en ai régulièrement recommandé à mes client-e-s lorsque j’étais naturopathe. Enfin, disons plutôt que je pensais bien le connaître…
La première fois que j’ai entendu parler de ces tests, c’était lors d’un entretien avec un naturopathe en retraite qui voulait me transmettre ses connaissances et m’apprendre les ficelles du métier… Entre plusieurs recommandations étranges de type énergétique, il m’a parlé de tests sanguins réalisés en laboratoire et destinés à dépister des intolérances alimentaires. Et ça, ça a attiré de suite mon attention : déjà parce que ça avait l’air sérieux, et puis ça semblait répondre à pas mal des problématiques de ma clientèle de l’époque, puisqu’il s’agit de remédier avec ces tests à de nombreux problèmes de santé souvent sans solution.
Pour enfoncer le clou, ce naturopathe m’a parlé de l’ouvrage du Docteur Mussi, apparemment spécialiste du sujet. Ce livre s’intitule « Je mange ce qui me réussit – Le guide pour repérer et soigner toutes vos intolérances alimentaires ». Le fait que ce soit un médecin qui parle du sujet m’a beaucoup rassurée sur le sérieux du sujet.
Dans cet ouvrage, il parle de combattre une inflammation chronique qui serait occasionnée par une hyper-perméabilité intestinale et des intolérances alimentaires, en traitant par l’éviction des aliments concernés de nombreux troubles : troubles digestifs, acné, eczéma, troubles ORL chroniques, douleurs articulaires, maux de tête, syndrome de l’intestin irritable, fatigue chronique, mais aussi des tendinites, la malade de crohn, la recto-colite hémorragique… Il cite aussi la boulimie, la dépression, l’autisme, le TDAH, les troubles bipolaires, le diabète, l’urticaire… Bref, ça semble assez miraculeux…
Pour en arriver là, il faut commencer par réaliser un dépistage des intolérances alimentaires avec un bilan sanguin qui va rechercher les IgG, (immunoglobulines G) : ce sont des antigènes spécifiques à des aliments donnés, c’est à dire des marqueurs du système immunitaire en circulation dans le sang et propre à chaque aliment. En général les laboratoires proposent des tests pour un nombre d’aliments qui varie d’une vingtaine à plusieurs centaines.
Dans son ouvrage, le Dr Mussi fait la promotion du laboratoire ImuPro, dont les tests seraient plus qualitatifs que ceux des autres laboratoires. Et comme il était hors de question que mes client-e-s servent de cobayes, je me suis laissée séduire et j’ai commandé un kit de prélèvement ImuPro. L’idée c’est d’aller dans n’importe quel laboratoire pour procéder au prélèvement, puis d’envoyer ça par voie postale au laboratoire ImuPro pour réaliser les analyses. Quand je me suis rendue dans mon laboratoire d’analyses habituel pour faire le prélèvement, à ma grande surprise, la biologiste m’a indiqué qu’eux aussi réalisaient des dépistages comparables, et en plus, pour moins cher !
Oui, parce que ce que je ne vous ai pas encore dit, c’est qu’un dépistage pareil, ça coûte quand même plusieurs centaines d’euros… Et c’est intégralement à la charge du patient ou de la patiente, puisque la sécurité sociale ne les prend pas en charge. Mais bon, j’étais séduite par les prétentions de ces tests, puis, dans la logique de ces tests, on est encouragé-e-s à choisir les tests les plus complets possibles, pour ne passer à côté d’aucune intolérance. Alors j’ai déboursé 300 euros pour un test BioPredix sur 220 aliments.
On y trouve des fruits, des légumes, des graines, des céréales, des viandes, des poissons, des crustacés, des légumineuses, des épices, des condiments… tout le contenu de ma cuisine est concerné.
Et quand j’ai reçu les résultats, je n’étais pas déçue d’avoir choisie la formule la plus complète, parce que j’ai découvert plus d’une dizaine d’aliments pour lesquels on m’a recommandé une éviction totale. Et c’était particulièrement gênant parce que ça concernait des aliments que je consommait quasi-quotidiennement ou que j’aimais vraiment beaucoup… notamment les amandes, les figues, la levure de bière et la moutarde. Tous les résultats sont présentés de manière très claire, et dans certains laboratoires, les résultats sont accompagnés de conseils pour « traiter » l’hyper-perméabilité intestinale, notamment avec des recommandations de compléments alimentaires divers et variés.
Le simple fait que les résultats concluent à plusieurs intolérances alimentaires a achevé de me séduire, et c’est à ce moment là que j’ai commencé à recommander ces analyses à ma clientèle. J’ai toujours refusé de rentrer dans les partenariats commerciaux proposés par certains laboratoires, dont ImuPro. Mais comme j’étais identifiée comme ayant une compétence à ce sujet par mon laboratoire d’analyses, les biologistes renvoyaient vers moi les patients et patientes qui venaient chez chez eux passer des tests comparables.
En tant que naturopathe, j’ai donc accompagné plusieurs personnes après qu’elles aient passé ce genre de tests, avec pour objectifs d’une part de les aider à ré-équilibrer leur alimentation avec de nombreuses évictions alimentaires et d’autre part, de leur conseiller des compléments alimentaires censés les aider dans cette démarche. Et force est de constater que chez plusieurs personnes, on a pu observer une amélioration nette de leurs troubles, notamment digestifs et cutanées.
Bon, en vrai, des tests pareils, je n’en ai pas recommandé tant que ça. Parce qu’à ce prix là, sauf à de rares exceptions, je préférais les garder comme solution de seconde voire troisième intention, jamais en première intention. Je préférais tester d’abord d’autres outils naturopathiques.
J’ai appréhendé la chose avec beaucoup de sérieux, jusqu’à contacter le médecin qui coordonnait ces analyses au sein du laboratoire BioPredix lorsque je constatais des incohérences dans les résultats de mes client-e-s ou lorsque je me questionnais sur des erreurs dans la documentation.
Et puis un jour, alors que j’avais déjà commencé à questionner la rationalité de la naturopathie, je me retrouve au téléphone avec une certaine Fantine… Et au cours de notre conversation, elle me glisse une petite phrase cinglante à ce sujet : c’est bien la première fois que je suis confronté-e à une personne, qui plus est professionnelle de santé, qui remet en question la pertinence et la fiabilité de ces tests… Alors j’ai alors commencé à creuser le sujet et… je suis tombé-e des nues…
En cherchant mieux, j’ai effectivement trouvé plusieurs sources qui font la critique de ces tests. Et pas des moindres : des sociétés savantes des professionnel-le-s allergologues, immunologues ou gastro-entérologues, plusieurs études scientifiques… bref, des sources autrement plus sérieuses que le livre du Dr Mussi. Et toutes ces sources concordent : elles concluent à l’absence de validité scientifique de ces tests. En fait, les IgG mesurés ne sont rien d’autres que des marqueurs qui attestent d’un contact plus ou moins ancien avec les aliments testés. Et la recherche à ce sujet, assez ironiquement, tendrait à démontrer qu’un taux élevé d’IgG serait plutôt un marqueur de tolérance alimentaire ! Tout l’inverse des prétentions des tests de dépistages vendus si chers…
D’ailleurs, en relisant le livre du Dr Mussi plusieurs années après ma première lecture, avec un regard plus critique, je suis aussi tombée aussi des nues. En fait, il écrit noir sur blanc qu’aucune étude ne soutient la méthode qu’il promeut, et il prétend que ses propos reposent sur « la médecine basée sur l’expérience » (ce qui ne veut strictement rien dire). Il s’oppose à la médecine basée sur les preuves, qu’il estime trop influencée par les lobbies alimentaires, et son ouvrage n’est rien d’autre qu’une accumulation de témoignages personnels. Donc d’un très faible niveau de preuve…
Bref, je suis tombé-e des nues et j’ai culpabilisé d’avoir recommandé des tests pareils à plusieurs personnes. Alors j’ai contacté toutes les personnes auprès desquelles je me souvenais avoir fait cette recommandation, et je leur ai fait part de ma découverte sur l’absence de validité de ces tests, et donc sur l’absence de nécessité de retirer de leur alimentation tous les aliments incriminés à tort. Mais certaines d’entre elles n’ont pas jugé nécessaire de ré-intégrer les aliments concernées, voire même ont continué à accorder du crédit à ces analyses, puisqu’elles avaient observé des améliorations digestives ou cutanées.
Du coup, on peut légitimement se demander comment est-il possible que ces tests n’aient aucune valeur scientifique, mais que ces personnes constatent tout de même un mieux-être. Déjà, on notera que ces améliorations sont évaluées très subjectivement, elles sont donc sujettes à caution. Ensuite, impossible de dire si ces améliorations sont le fait de ces changements alimentaires ou d’autres paramètres. D’ailleurs, le simple fait de prêter une grande attention à son alimentation du fait des nombreuses évictions peut conduire à une alimentation moins raffinée, moins transformée, donc plus saine, ce qui peut aussi avoir une influence positive.
Mais globalement, ces tests exposent plutôt à des risque de carences si les personnes ne sont pas accompagnées pour ré-équilibrer leur alimentation et assurer des apports nutritionnels convenables malgré toutes ces évictions. Surtout auprès des enfants.
Autre problème important : ces tests peuvent alimenter ou créer des troubles du comportement alimentaire tels que l’orthorexie. Mais surtout, accorder de la fiabilité à ces tests, c’est possiblement passer à côté d’un réel diagnostic d’intolérance ou d’allergie alimentaire. Je pense notamment à la maladie cœliaque ou à l’intolérance au lactose…
Bref, vous l’aurez compris, ces tests coûteux ne servent que les intérêts des laboratoires qui les commercialisent, et certainement pas les vôtres. Je vous encourage vivement à passer votre chemin si quelqu’un-e vous les recommande, même si c’est un-e professionnel-le de santé…
Pour aller plus loin à ce sujet, je glisse ci-dessous le lien vers un article en anglais qui synthétise l’état de la recherche à ce sujet, mais aussi le lien vers le témoignage de Bernard, qui a consulté le Dr Mussi et qui a souhaité témoigné de son expérience avec ces tests…
Pour aller plus loin :
👉 L’état de la science : https://sciencebasedmedicine.org/igg-food-intolerance-tests-what-does-the-science-say/
👉 Le témoignage de « Bernard » : https://www.youtube.com/watch?v=n0uXNfXbdk0&list=PLmCWCK5mIeCqsEYcwvWwcTmhpYesG2ozW&index=8&t=1247s
S’il vous est plus agréable d’écouter ou de regarder une vidéo plutôt que de lire cet article, retrouvez son contenu en ligne sur l’une de mes chaînes :
Sur YouTube : https://youtu.be/QuprByuHFaI
Sur PeerTube : https://tube.kher.nl/w/rY7YjtHq8NSW6p6fvKj2Ba