« La médecine est patriarcale, mais les médecines alternatives ne sont pas la solution »

Capture de la première page de l'article intitulé "Medecine is patraichal but alternative medecine is not the answer"

J’ai enfin lu cet article de 2018 que j’avais sous le coude de longue date et qui s’intitule explicitement « La médecine est patriarcale, mais les médecines alternatives ne sont pas la solution ».

L’autrice y défend le point de vue selon lequel « il faudrait prendre au sérieux l’idée selon laquelle l’attraction exercée par les médecines alternatives sur les femmes est liée au fait que la médecine conventionnelle néglige les besoins des femmes ».

Elle commence par rappeler que l’histoire même de la médecine conventionnelle est jalonnée de violences faites aux femmes. A ce sujet, il est incontournable de mentionner que, par exemple, les progrès immenses que la gynécologie a connus aux 19ème siècle tiennent à des expérimentations horribles faites sur des femmes esclaves. Cette histoire de la médecine pose les jalons d’une défiance des femmes envers le corps médical.

On observe également que les femmes sont encore trop souvent considérées comme des « êtres reproducteurs », ce qui conduit à sur-médicaliser la grossesse et l’accouchement, tandis que les problèmes de santé non liés à la reproduction mais indispensables au bien-être des femmes sont clairement sous-investis, comme la ménopause par exemple.

De plus, les femmes ont longtemps été tenues à l’écart des protocoles de recherche, ce qui pose souci lorsqu’il s’agit de problèmes de santé qui se manifestent différemment selon que l’on est un homme ou une femme. Du fait de recherches centrées sur les hommes, certaines traitements peuvent donc se révéler sous-optimaux pour les femmes.

Les inégalités de genre dans le parcours de soin se retrouvent également lors des rendez-vous médicaux, où les médecins peuvent baser leurs conclusions sur des stéréotypes de genre, concernant la douleur notamment. En effet, la douleur des femmes est souvent discréditée et attribuée de manière abusive à des problèmes de santé mentale. D’une manière générale, la douleur des femmes est moins prise au sérieux, ce qui peut conduire à des retards de prise en charge ou à des prises en charges inappropriées. Une étude à ce sujet est particulièrement marquante : elle montre qu’aux États-Unis, les femmes admises à l’hôpital sont presque un quart de moins que les hommes à se voir administrer des antalgiques opioïdes pour des douleurs abdominales alors qu’elles présentent le même score de douleur, et qu’elles doivent de plus patienter plus longtemps pour être soignées.

En général, les problèmes de santé des femmes sont plus facilement attribués à des causes psychologiques ou émotionnelles, plutôt qu’à des causes physiques. On donnera donc plus souvent aux femmes des conseils d’hygiène de vie et des traitements anxiolytiques, là où dans la même situation, on prescrira aux hommes des analyses plus poussées ou un traitement.

Et puis, face à une médecine paternaliste, autoritaire et sexiste, les femmes ont plus souvent que les hommes des expériences négatives avec les professionnel.les de santé : elles ne se sentent pas crues, pas écoutées et pas respectées. Manque de bol, s’ajoute à ça que les problèmes de santé que la médecine ne sait pas résoudre ou expliquer sont plus courants chez les femmes que chez les hommes.

Face à ce constat, l’autrice de cet article résume les choses ainsi : « La médecine […] reflète les contours du pouvoir dans la société en général, et les valeurs patriarcales sont présentes dans le système de soin comme une tendance structurelle, que l’on observe également à travers les injustices dans les consultations individuelles. » Elle suppose que si les femmes sont sur-représentées dans les médecines alternatives, c’est parce qu’elles y cherchent un espace dénué de tous les effets négatifs du patriarcat qui gangrène la médecine conventionnelle, et notamment qui fasse place à l’autonomie du patient dans le cadre d’une relation patient-professionnel.le équitable.

Là où plusieurs chercheurs et chercheuses pensent que la défiance envers la médecine conventionnelle est un déterminant de l’usage des médecines alternatives plus pertinent que la croyance en l’efficacité des médecines alternatives, d’autres pensent que c’est l’engagement féministe, écologiste ou autre qui détermine le recours aux médecines alternatives. Plusieurs raisons sont en effet proposées pour expliquer le recours aux médecines alternatives, comme le désir d’une plus grande autonomie, l’envie de réduire la différence de pouvoir entre praticien.nes et patient.es, le désir d’avoir un traitement personnalisé, mais aussi l’envie de bénéficier de soins plus en accord avec sa philosophie personnelle ou son système de valeurs.

L’autrice précise que l’autonomie est particulièrement importante pour les féministes dans le domaine de la santé, car demander à être autonome, c’est le moyen le plus évident et direct pour éviter le paternalisme.

Les professionnel.les de santé, dans l’idéal, doivent recueillir le consentement éclairé de leurs patient.es, c’est à dire qu’iels doivent donner le détail des options de traitement de manière que à ce que les patient.es soient capables d’une part, de comprendre pourquoi c’est CE traitement qui est proposé et d’autre part, de l’approuver. En pratique, cet idéal est rarement atteint, notamment par manque de temps en consultation, car les connaissances scientifiques des patient.es sont limitées, mais aussi car de nombreux.ses patient.es coupent cours à ce processus collaboratif en se référant à l’autorité médicale en qui elles ont confiance. Mais malgré ces limites, le consentement éclairé reste accessible dans la médecine conventionnelle car il est possible d’expliquer de A à Z les mécanismes d’une maladie et ses options de traitement de manière à ce que les patient.es puissent décider en connaissance de cause d’adhérer ou pas au protocole de soin proposé.

A l’inverse, dans les médecines alternatives ce consentement éclairé ne peut pas être délivré, et ce n’est pas une question de contexte : c’est inhérent à la définition même des médecines alternatives. L’autrice défend même l’idée que les médecines alternatives sont, par définition paternalistes, et ce pour deux raisons : la première étant qu’aucune explication scientifiquement fondée ne peut être donnée sur le mécanisme de la thérapie en question, et la seconde étant que les effets de la thérapie ne dépassent pas l’effet placebo. Pour ces raisons là, l’autrice défend l’idée que les praticien.nes des médecines alternatives ne peuvent jamais obtenir un authentique consentement éclairé comparable à celui que les médecins peuvent obtenir, car iels demandent à leurs client.es d’accepter des explications incohérentes avec le vaste corps de connaissances scientifiques que nous acceptons collectivement.

Autrement dit, il s’agit ici uniquement de croire : les patient.es ne peuvent que croire dans les médecines alternatives, que ce soit en ayant confiance dans leur praticien.ne, ou bien dans la thérapie en question. L’autrice ajoute que cette confiance sans consentement éclairé est une violation manifeste de l’autonomie, car cette confiance accordée à une autorité incontestée viole la prétention d’offrir autonomie et contrôle aux patient.es.

L’autrice conclut qu’il relève d’une urgence morale pour les professionnel.les de santé de s’assurer que la décision pour les patient.es de se tourner vers les médecines alternatives n’est pas motivée par un mécontentement vis à vis de la médecine, en particulier pour les personnes minorisées.

Elle insiste longuement sur la nécessité de créer des temps de consultations plus longs, où chaque patient.e peut se sentir écouté.e et compris.e, particulièrement les patient.es atteint.es d’affection de longue durée ou celleux souffrant de symptômes non expliqués, qui sont les plus à risque de basculer vers les médecines alternatives.

Je dois avouer que la lecture de cet article m’a beaucoup plus, car il pointe du doigt un élément essentiel qui explique l’attrait des pseudo-médecines : le fait que la médecine conventionnelle est aussi patriarcale que notre société.

Cette lecture m’a aussi conforté.e dans la conclusion que je faisais dans ma série d’articles au sujet de la naturopathie, où j’interrogeais le consentement éclairé des personnes qui y recourent. Donc forcément, ça me parle…

Bref, je vous encourage grandement à aller lire directement l’article si vous êtes à l’aise avec l’anglais, car il est en accès libre : https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC6474852/ (Shahvisi A. Medicine is Patriarchal, But Alternative Medicine is Not the Answer. J Bioeth Inq. 2019 Mar;16(1):99-112. doi: 10.1007/s11673-018-9890-5. Epub 2018 Dec 20.)

2 réflexions au sujet de “« La médecine est patriarcale, mais les médecines alternatives ne sont pas la solution »”

  1. @Sohan Il y a surtout un très gros problème avec la formation des medecins au consentement. Je ne suis pas sur que le consentement éclairé soit si accesible que ça. A noter également que c'est souvent des medecins conventionels qui poussent les patientes vers des therapies non verifiee scientifiquement.

    • Je pense que le terme « accessible » dans ce contexte voulait surtout dire « possible » (car il est possible de communiquer des infos scientifiquement sourcées sur des traitements aux effets éprouvés). Mais oui, tristement, beaucoup de médecins négligent encore le consentement, et certain.es renvoient vers des charlatans de tout poil 🙁

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