Ça ne vous aura pas échappé si vous avez écouté quelques uns des témoignages de victimes publiés sur ma chaîne YouTube ou PeerTube : les médecins et autres professionnel-le-s de santé jouent un rôle important dans le choix des patients de se diriger vers les pseudo-médecines. Et à mon sens, ça se joue à plusieurs niveaux.
D’abord, cela peut se faire de manière très directe. C’est le cas par exemple quand un médecin prescrit de l’homéopathie, recommande le dépistage d’intolérances alimentaires à IgG, ou bien renvoie vers un-e ostéopathe. C’est aussi le cas pour d’autres professionnel-le-s de santé, par exemple quand une infirmière recommande les services d’une naturopathe ou d’un maître reiki, quand une sage-femme encourage à consulter un-e sophrologue, ou bien encore quand un-e pharmacien-ne oriente vers des fleurs de Bach.
Mais le plus souvent, le rôle des médecins et autres professionnel-le de santé dans l’essor des pseudo-médecines est plus indirect, plus subtil.
En premier lieu, on peut pointer du doigt le manque d’écoute dont se plaignent la plupart des patient-e-s. Car les pseudo-thérapeutes, eux, peuvent se permettre de faire des consultations d’une heure, voire plus. Consultations pendant lesquelles les client-e-s se sentent pleinement écouté-e-s et entendu-e-s. Alors, j’ai bien évidemment conscience du fait que les médecins, pour la plupart, ne peuvent pas se permettre de mener des consultations qui durent plus d’un quart d’heure. C’est tout simplement impossible au regard de la demande sous laquelle ils croulent.
Bien sûr, la première chose à faire, ce serait donc de réformer notre système de soin de manière à ce que les médecins et professionnel-le-s de santé puissent prendre ce temps d’écoute. Mais en attendant une petite révolution dans le milieu médical… rien n’empêche, pendant ce quart d’heure de consultation, de faire un effort pour se montrer à l’écoute de son ou sa patiente. Ça passe notamment par le fait de répondre précisément aux questions qui sont posées, sans se contenter de les esquiver si elles ne vous semblent pas pertinentes. Mais ça passe aussi par une attention particulière portée au langage non verbal : le médecin doit être capable de déceler un changement d’attitude qui trahit une incompréhension, un doute, voire une peur ou un rejet du traitement proposé. Il appartient au médecin d’être à l’écoute de ce que son ou sa patiente exprime verbalement et non verbalement, et de montrer dans la réponse qu’il apporte qu’il prend bien en compte ce qui lui a été exprimé.
Ensuite, un élément majeur dans l’attirance pour les pseudo-médecines, c’est le fait que les médecins, pour la plupart, ne prennent pas le temps d’expliquer aux malades les mécanismes de leur(s) pathologie(s) et le mode d’action des traitements qu’ils leurs prescrivent. Parce qu’il faut bien avoir conscience d’une chose : là où les professionnel-le-s de santé n’auront pas fait cet effort de communication et d’explication, les pseudo-thérapeutes, eux, ne se priveront pas de donner des explications causales diverses et variées. Et même si ces explications sont parfaitement foireuses, si les patient-e-s n’en ont pas eu d’autres, iels y adhéreront sans peine.
Donc, s’il vous plaît, si vous êtes médecins ou professionnel-le-s de santé, prenez un court temps pour expliquer rapidement les mécanismes de la pathologie concernée et comment les traitements proposés vont agir. Il s’agit de susciter l’adhésion de vos patient-e-s à la prise en charge thérapeutique que vous proposez, cette adhésion ne pouvant se faire qu’en connaissance de cause. Bien sûr, comme tout le monde ne sort pas d’une fac de biologie, cela nécessite parfois de s’adapter en trouvant des explications simplifiées. Mais cela reste nécessaire. Vos patient-e-s ne sont pas idiot-e-s, iels peuvent tout à fait comprendre, et iels en ont même besoin pour adhérer à la prise en charge que vous leur proposez, et pour observer vos recommandations sur le long terme.
Dans la même logique, abstenez vous de porter le moindre jugement sur les choix de vie de vos patient-e-s. Vous n’avez pas à juger le choix de contraception de vos patientes par exemple, même si elles désirent être stérilisées. Idem si elles souhaitent avorter. Vous n’avez pas à juger non plus leur activité professionnelle, même si ils ou elles sont prostitué-e-s. Vous n’avez pas à émettre de jugement non plus sur leur choix de mener une vie considérée comme « alternative », que ce soit par exemple en pratiquant l’instruction en famille, en vivant en camion ou bien en étant engagé-e dans des relations polyamoureuses. Bref, restez à votre place et gardez pour vous vos jugements moraux. C’est ainsi que vous pourrez maintenir une relation de confiance avec votre patientèle et minimiser le risque de les voir se détourner de la médecine.
A ce sujet, je pense notamment aux travaux de thèse en médecine générale du Dr Sébastien Demange, qui a montré clairement un lien entre le fait d’être confronté-e à des jugements négatifs de la part de son médecin sur le choix d’avoir une alimentation végétarienne, et l’attirance qui en découle pour les pseudo-médecines. Car une fois que la qualité de la relation médecin / patient-e est altérée, les patient-e-s ont tendance à taire leurs symptômes auprès de leur médecin, à moins bien observer les prescriptions médicales, mais aussi à plus facilement solliciter un-e naturopathe, un-e praticien-ne de médecine traditionnelle chinoise ou un-e homéopathe.
Bien sûr, s’abstenir de ce type de jugement moral induit aussi de s’abstenir de tout comportement ou propos oppressif. Car le sexisme, l’homophobie, le racisme, la transphobie, le validisme, la grossophobie ou bien encore la psychophobie sont des éléments majeurs qui conduisent les patient-e-s à se détourner de la médecine…
A titre d’exemples, évitez donc de mégenrer une personne trans, de solliciter l’avis du mari au sujet de la contraception de son épouse, d’alimenter le mythe du « syndrome méditerranéen », de faire croire à une personne obèse que tout ses problèmes de santé découlent de son surpoids, ou bien encore de négliger la prévention des IST chez vos patientes lesbiennes. Si ces sujets vous intéressent, il existe de nombreuses études publiées dans des revues à comité de lecture. Je ne peux que vous encourager à y jeter un œil.
Dernier point dont je pense qu’il contribue à l’essor des pseudo-médecines : les médecins ont encore trop souvent tendance à négliger l’importance de l’accompagnement réalisé par les professionnel-le-s de la santé mentale et par les professionnel-le-s de santé que sont les diététicien-ne-s. Car en ne renvoyant pas vers les diététicien-ne-s, les médecins laissent la porte ouverte aux naturopathes, qui se réjouissent de pouvoir faire des recommandations alimentaires sans aucun fondement scientifique (pour ne pas dire complètement bullshit) et le plus souvent inadaptées à l’état de santé de leurs client-e-s. Et en ne renvoyant pas leur patient-e-s vers les professionnel-le-s de la santé mentale que sont les psychologues, les médecins contribuent indirectement au succès des sophrologues, kinésiologues, magnétiseurs et autres réflexologues, ces pseudo-thérapeutes qui font commerce de la détresse mentale et psychologique de leurs client-e-s.
Il me faut bien évidemment nuancer mon propos, car on ne peut pas souligner l’importance de l’accompagnement diététique et psychothérapeutique sans déplorer en même temps le frein majeur que constitue l’absence de prise en charge par la sécurité sociale de ces consultations. Bon, on notera tout de même qu’il y a eu une tentative en ce sens avec le conventionnement des certain-e-s psy, mais force est de constater que la réforme « Mon parcours psy » est un échec cuisant et ne répond absolument pas aux besoins des patient-e-s (ni à ceux des psy d’ailleurs…).
Bref, vous l’aurez compris, je partage l’avis que les médecins et autres professionnel-le-s de santé ont un rôle important à jouer pour éviter que leurs patient-e-s ne se détournent de la médecine et se précipitent dans les bras réconfortants des fake-meds. Bien évidemment, iels ne sont pas seul-e-s responsables de l’essor des pseudo-médecines, mais je voulais tout de même partager avec vous ces quelques pistes de réflexions à ce sujet.
A ce sujet, Richard Monvoisin, Olivier Bernard, Nicolas Pinsault et moi avions co-animé une table ronde aux Rencontres de l’Esprit Critique 2022 sur le thème « De quoi les thérapies alternatives / complémentaires sont-elles le symptôme ? » : https://www.youtube.com/watch?v=4Yvj9CiMV9E
Voici quelques unes des publications qui mentionnent la qualité de la relation médecin / patient parmi les facteurs qui conduisent certaines personnes à faire usage des pseudo-médecines :
Chatterjee A. Why do chronic illness patients decide to use complementary and alternative medicine? A qualitative study. Complement Ther Clin Pract. 2021 May;43:101363. doi: 10.1016/j.ctcp.2021.101363. Epub 2021 Mar 11. PMID: 33740591. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33740591/
Sirois FM, Gick ML. An investigation of the health beliefs and motivations of complementary medicine clients. Soc Sci Med. 2002 Sep;55(6):1025-37. doi: 10.1016/s0277-9536(01)00229-5. PMID: 12220087. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/12220087/
McFadden KL, Hernández TD, Ito TA. Attitudes toward complementary and alternative medicine influence its use. Explore (NY). 2010 Nov-Dec;6(6):380-8. doi: 10.1016/j.explore.2010.08.004. PMID: 21040887; PMCID: PMC3011931. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21040887/
Thèse en médecine générale citée dans l’article : « La relation médecin-patient au regard du végétarisme : enquête nationale » (Docteur Sébastien Demange, 2017)