Qu’est ce qui empêche les végétarien·nes de devenir végétalien·nes ?

De prime abord, on pourrait croire que les motivations des personnes à devenir végétariennes ou végétaliennes sont les mêmes, puisqu’après tout, elles ont fait le même choix de ne pas consommer de viande. Mais certaines choisissent de continuer à consommer des œufs et produits laitiers… et d’autres pas. Des chercheureuses se sont donc interrogé.es à ce sujet et ont souhaité comparer les motivations qui distinguent les personnes végétariennes des personnes végétaliennes, notamment pour déterminer ce qui empêche les personnes végétariennes de basculer vers une alimentation complètement végétale. En parallèle de l’étude des différences et ressemblances dans leurs motivations, les chercheureuses ont analysé les facteurs moraux, psychologiques et contextuels susceptibles d’expliquer les différences observées.

Leur étude a permis de dégager des données que je trouve particulièrement intéressantes, qui leur permettent de conclure à des différences significatives et qui justifient que l’on prenne le soin de distinguer d’une part les motivations pour adopter une alimentation sans viande, et d’autre part les motivations pour adopter une alimentation strictement végétale. Je vous propose ici un résumé de cette étude, mais je vous mets bien évidemment les références en note de bas de page si vous voulez aller la consulter dans son entièreté, et en saisir toutes les nuances que je ne vais pas retranscrire ici.

Pour ce qui concerne le fait de ne pas consommer de viande, les chercheureuses ont identifié que les motivations des personnes végétariennes et végétaliennes sont les mêmes : à savoir principalement des considérations d’éthique animale, mais aussi de manière secondaire des considérations écologistes et, dans une moindre mesure, des considération de santé. A noter que les personnes végétaliennes présentent un niveau de motivation plus fort que les personnes végétariennes pour l’arrêt de la viande, mais la différence relevée est minime.

Quant à la réduction ou l’arrêt de la consommation d’œufs ou de produits laitiers, les personnes végétariennes et végétaliennes partagent encore ce triptyque de motivations avec en tête les motivations d’éthique animale, puis les considérations écologistes et enfin les aspects en lien avec la santé. Les personnes végétaliennes présentent un niveau de motivation assez comparable, qu’il soit question de viande ou d’œufs ou de produits laitiers. Mais… les personnes végétariennes sont globalement moins motivées lorsqu’il est question d’œufs et de produits laitiers que lorsque l’on parle de viande. Cette différence est particulièrement marquée pour les considérations d’éthique animale, qui chutent plus encore que les considérations écologistes ou de santé.

Les auteurices de l’étude ont montré que, en comparaison avec les personnes végétaliennes, les personnes végétariennes présentaient des niveaux de considération morale envers les animaux plus bas, des croyances plus fortes concernant le suprémacisme humain, et qu’elles percevaient plus fortement le véganisme comme une menace. Les personnes végétariennes percevaient également moins de soutien social et plus de barrières pratiques vis à vis des alimentations végétales, notamment en percevant l’alimentation végétalienne comme plus chère et avec une impression accrue de faible disponibilité des aliments végétalisés.

Après analyse statistique des données collectées, les chercheureuses ont pu établir une corrélation entre, d’une part les niveaux de considération morale pour les animaux, d’adhésion à l’idéologie suprémaciste humaine et de perception d’une menace végane, et d’autre part les scores de motivations d’éthique animale pour limiter la consommation aussi bien de viande que d’œufs et produits laitiers. Ce qui explique pour partie les scores différents que les personnes végétariennes ont obtenu sur les motivations d’éthique animale en fonction des aliments concernés.

Les auteurices soulignent également que la perception d’une menace végane symbolique, bien que moins élevée que celle observée chez les personnes qui mangent de la viande, se retrouve en toute logique aussi parmi les personnes végétariennes, chez qui il existe un conflit manifeste entre leurs valeurs et leurs choix alimentaires. Cette perception du véganisme comme une menace aux traditions culturelles impliquant des produits animaux, et comme une menace à l’idéologie dominante qui légitime l’exploitation des animaux pour leurs produits expliquerait pour partie pourquoi les personnes végétariennes sont moins motivées par des considérations d’éthique animale lorsqu’il est question d’œufs et de produits laitiers (en comparaison avec la viande).

Bon, il existe tout un tas de nuances et de précisions que je vous laisse aller lire directement dans l’étude si vous le souhaitez. Mais avant de vous livrer les conclusions, je voulais souligner une des limites majeures que les chercheureuses ont mentionné dans leur publication : il est en effet impossible de savoir si les motivations étudiées étaient aussi importantes avant les changements alimentaires… ou pas. Par exemple, il est impossible de savoir si les motivations d’éthique animale plus fortes observées chez les personnes végétaliennes ont été l’élément déclencheur qui leur ont fait choisir d’adopter une alimentation végétalienne… ou si cette motivation est juste devenue plus forte après avoir cessé de consommer des produits d’origine animale. Pour avoir des certitudes à ce sujet, c’est une toute autre étude qu’il faudrait monter. Une étude bien plus complexe et coûteuse.

Mais en bref, pour résumer et conclure : il ressort de cette étude que les personnes végétariennes et végétaliennes ont tendance à avoir des motivations identiques pour se passer de viande, et ces motivations sont principalement des motivations d’éthique animale. Cependant, seules les personnes végétaliennes tendent à maintenir ces motivations à un degré aussi fort pour ce qui concerne la consommation d’autres produits d’origine animale, tels que les œufs et produits laitiers. Cette différence semble s’expliquer par une adhésion plus forte des personnes végétaliennes à des principes moraux favorables aux animaux, notamment à travers une opposition plus forte à l’idéologie spéciste.

Les auteurices indiquent qu’on pourrait donc légitimement penser que les personnes assurant la promotion des alimentations végétales devraient mettre tout particulièrement l’accent sur les considérations d’éthique animale, plus que sur des considérations environnementales ou de santé. Les chercheureuses soulignent cependant que, les gens ayant tendance à ignorer ou nier les souffrances ou la sentiences des animaux exploités pour leur chair ou leurs produits, même lorsqu’on porte à leur connaissance les informations pertinentes à ce sujet, il serait judicieux de continuer à mener des recherches pour mieux connaître les motivations qui conduisent à arrêter ou réduire la consommation d’œufs et produits laitiers, mais aussi pour mieux cerner les stratégies de justification mises en place pour soulager l’inconfort lié à la consommation de ces aliments.

Et sur ce dernier point justement, j’en parlais dans deux articles plus ou moins récents où je vous présentais les conclusions de deux publications sur le « paradoxe de la viande » et le « paradoxe du fromage » :

📌 « Aimer les animaux et les manger : le paradoxe de la viande… et du fromage ! »

📌 « Comment manger de la viande en ayant bonne conscience ? (ou du poisson, des œufs, des produits laitiers…) »

Je vous invite à aller les lire si ça vous intéresse de découvrir les stratégies que l’on déploie pour affirmer que l’on considère les animaux… tout en continuant à manger des produits issus de leur exploitation en ayant bonne conscience. Vous allez voir, c’est passionnant comme domaine de recherche !


L’étude mentionnée est celle-ci : Kristof Dhont, Maria Ioannidou, Similarities and differences between vegetarians and vegans in motives for meat-free and plant-based diets, Appetite, 2024, 107232, ISSN 0195-6663, https://doi.org/10.1016/j.appet.2024.107232.