Un témoignage, est-ce une preuve ?

Lorsque l’on s’interroge sur les effets d’une pratique de soin, d’un régime alimentaire, d’un complément alimentaire ou tout autre intervention en rapport avec la santé, on pourrait être tenté.e de se fier aux témoignages que l’on reçoit. Car après tout, si tel régime a permis à votre voisine de perdre 20 kilos, c’est bien qu’il doit être efficace ? Et s’il existe des centaines de témoignages de personnes qui assurent que telle « médecine douce » leur a sauvé la vie, c’est donc bien que cela doit être vrai ? Et si tel médecin célèbre assure qu’il a guérit des milliers de patient.es avec sa méthode, c’est forcément vrai, n’est-ce pas ?

En fait, les choses ne sont pas aussi simples que cela…

Si les personnes qui témoignent avoir guéri avec telle ou telle pratique vont effectivement mieux et sont persuadées de l’efficacité de ladite pratique, rien ne dit que leur guérison aient été causée par cette pratique là. Car les témoignages, y compris ceux recueillis par les professionnel.les de santé dans le cadre de leur pratique clinique, ne constituent jamais une preuve de nature scientifique de l’efficacité d’une intervention à visée thérapeutique. Aussi nombreux soient-ils.

Par exemple, le fait que des milliers de personnes affirment avoir vu leur santé s’améliorer depuis qu’elles boivent chaque jour leur urine n’est pas un élément de preuve permettant de conclure que boire son urine améliore la santé (guérir du cancer, soigner un diabète, traiter des troubles hormonaux, soigner l’eczéma, réduire les douleurs articulaires etc…). La seule chose que l’on peut en conclure, c’est que des milliers de personnes sont persuadées que boire leur urine leur permet d’aller mieux. Pas que c’est effectivement la consommation de leur urine qui améliore leur santé.

En effet, au sujet des témoignages, on parle de la faiblesse des « preuves anecdotiques », qui, en dehors de tout protocole expérimental rigoureux, exposent à de nombreux biais qui peuvent conduire à tirer des conclusions faussées, notamment en raison de :

  • L’échantillon non représentatif : quand on se base sur une série de témoignages, on ne prend pas en considération les personnes pour lesquelles la pratique évaluée n’a pas eu d’effets ou a eu des effets négatifs. Or, il est possible que ces personnes là soient très nombreuses…
  • La généralisation abusive : on estime de manière abusive que ce qui fonctionne pour une poignée de personnes fonctionne pour toutes. Ce qui est bien évidemment hâtif et faux.
  • La confusion entre corrélation et causalité : sur ce dernier point, particulièrement fréquent dans les témoignages, il s’agit d’attribuer sa guérison à la récente mise en place d’une intervention donnée (faire un lien de causalité), sur la base du constat d’une guérison survenue peu de temps après avoir adopté ces changements (simple corrélation), sans imaginer qu’il pourrait y avoir d’autres raisons à cette guérison (si ce point là vous intéresse, je prends le temps de détailler cet aspect à la fin de cet article).

Ces autres raisons peuvent être, par exemple :

  • Une autre intervention thérapeutique menée en parallèle ou un autre changement apporté à la même période et auquel on aurait pourtant pas attribué les effets observés. Par exemple, on peut conclure qu’un complément alimentaire nous a fait perdre du poids… alors qu’en réalité c’est parce que dans le même temps on a fait plus attention à ce que l’on mangeait et on a réduit ses apports caloriques.
  • Le caractère spontanément résolutif de certaines maladies : ces maladies qui guérissent seules après un certain temps, avec ou sans intervention de notre part (comme par exemple 90 % des infections HPV…). On aurait alors tendance à penser, à tort, que notre intervention est la cause de la guérison, alors que la guérison serait de toute façon intervenue seule dans les mêmes délais.
  • L’alternance de phases de rémission et de poussées aiguës dans d’autres maladies (sclérose en plaques, maladie de crohn, lupus, rectocolite hémorragique, psoriasis, spondylarthrite ankylosante…) . On pourrait là encore penser à tort qu’un soin est la cause d’une rémission, alors qu’il s’agit de l’évolution naturelle de la maladie.
  • Mais aussi, les effets contextuels (ou effet placebo).

L’effet placebo (ou effets contextuels) peut en effet expliquer les bénéfices que l’on a tirés d’une pratique de soin qui n’a pourtant aucun effet propre.

« L’effet placebo correspond au résultat psycho-physiologique positif (bénéfique) constaté après l’administration d’une substance ou la réalisation d’un acte thérapeutique, indépendamment de l’efficacité intrinsèque attendue du traitement. »

Wikipedia

Divers paramètres influent en effet sur la manifestation des symptômes (notamment la douleur, mais pas seulement), sans pour autant que l’on suive un protocole de soin ayant le moindre effet propre. Par exemple la suggestion (cela fonctionne mieux si on nous assure que cela fonctionne), les attentes vis à vis du traitement (cela fonctionne mieux si l’on croit que cela va fonctionner), la notoriété du ou de la thérapeute et le prix de la consultation, l’assurance du ou de la thérapeute, ses discours rassurants etc.

Ces effets contextuels font l’objet de nombreuses études et sont bien connus des chercheurs et chercheuses, qui les prennent en compte dans la façon de monter leurs protocoles expérimentaux. A l’inverse d’une compilation de témoignages (fussent-ils des milliers, fussent-ils ceux collectés par un.e professionnel.le de santé), les études sérieusement menées le sont sur la base de protocoles destinés à évaluer l’efficacité propre d’une intervention en termes de santé, indépendamment de ses effets contextuels.

Pour toutes ces raisons, les témoignages et les impressions collectées par les professionnel.les de santé dans le cadre de leur pratique clinique ne constituent pas une preuve fiable de l’efficacité d’un régime, d’une discipline, d’un complément alimentaire ou toute autre intervention supposée agir positivement sur la santé.

Cela permet tout au plus de dégager des hypothèses qui mériteraient d’être testées dans le cadre de protocoles expérimentaux rigoureux, qui donneraient lieu à des publications dans des revues à comité de lecture (c’est à dire que les chercheurs et chercheuses soumettent la validité de leurs travaux au regard critique d’autres professionnel.les du domaine dans lequel iels travaillent).

Et quand bien même on voudrait se faire un avis sur l’efficacité d’un régime, d’une discipline ou d’un complément alimentaire sur la base de la littérature scientifique, toutes les études ne se valent pas ! Certaines exposent à des risques de biais plus importants et ne permettent pas de valider scientifiquement les effets testés. C’est toute la nuance qui transparaît notamment dans l’échelle des niveaux de preuve établie par la Haute Autorité de Santé :

Source : « Niveau de preuve et gradation des recommandations de bonne pratique », HAS, avril 2013.

Mais ceci est un autre vaste sujet, que je n’aborderai pas dans cet article 😉 Il s’agissait ici simplement de resituer la valeur d’un témoignage et d’amener à prendre un peu de recul sur ce que l’on peut lire et entendre ici et là, même s’il s’agit de milliers de témoignages, même s’ils sont relayés par des professionnel.les de santé…


Pour aller plus loin au sujet de la confusion entre corrélation et causalité :

La corrélation est un concept statistique utilisé pour qualifier l’existence d’un lien, d’une concordance entre des données. La présence d’une corrélation ne signifie pas qu’il existe un lien de causalité entre deux variables fortement corrélées : d’autres facteurs peuvent expliquer ce lien.

Par exemple, on peut observer une forte corrélation entre les le nombre de meutes de loups identifiées en France et la proportion des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie au Danemark.

L’observation de cette corrélation ne signifie pas que l’une des variables soit la cause de l’autre : l’augmentation du nombre de meutes de loups en France n’est pas la cause de l’augmentation de la consommation d’énergies renouvelables au Danemark, et inversement.

En termes de diététique et de santé, il faut également se méfier des corrélations et ne pas se hâter à tirer des conclusions de nature causale. Par exemple, si dans une étude on observe qu’un groupe de personnes soumises à un régime alimentaire donné perd plus de poids qu’un autre groupe de personnes qui suit une alimentation standard (que l’on nomme groupe contrôle), on ne peut pas en conclure directement que le régime donné est la cause de la perte de poids.

Avant de se livrer à de telles conclusions, il faut prendre en considération un maximum de facteurs confondants (ou facteurs de confusion) : ce sont tous les autres facteurs que l’on peut identifier comme ayant une probable influence sur les variables étudiées, et qui pourraient expliquer la corrélation observée.

Par exemple, on observe aux États-Unis une forte corrélation entre les ventes de crèmes glacées et les attaques de requins.

Aucun lien de causalité cependant : la hausse des ventes de crèmes glacées n’occasionne pas une hausse des attaques de requins. Par contre, on peut deviner aisément le facteur confondant qui explique cette si nette corrélation : la température qu’il fait ! En effet, lorsque la température monte, on consomme plus de crèmes glacées ET on va plus se baigner à l’océan (donc on constate nécessairement plus d’attaques de requins).

Pour reprendre l’exemple de l’effet sur la perte de poids d’un régime donné, cela signifie qu’il faudrait s’assurer que les deux groupes de l’étude sont homogènes en terme d’âge, de sexe, de poids de départ, mais aussi en termes d’activité physique (fréquence, durée, intensité), d’habitudes de sommeil, de consommation de tabac, de consommation d’alcool, de pathologies prédisposant à la prise de poids, de traitements médicamenteux prédisposant à la prise de poids, de troubles des conduites alimentaires … et tout autre facteur pouvant influer sur le poids. Sans quoi, il est possible que la perte de poids observée dans le groupe soumis au régime donné ne soit pas causée par ledit régime, mais par un autre facteur non pris en compte…

La méthodologie et le protocole expérimental d’une étude doivent donc prendre en considération ces aspects là si l’on souhaite montrer un éventuel effet causal d’une intervention en terme de santé : que ce soit un régime alimentaire, un médicament ou une thérapie. C’est typiquement une démarche impossible à avoir lorsque l’on se contente de compiler des témoignages, même par milliers.