La naturopathie prétend aborder toute problématique de santé, y compris la dépression et autres troubles psy/neuro. L’approche proposée, comme toujours à base d’alimentation saine et d’hygiène de vie convenable, envisage parfois aussi l’usage de plantes à visée thérapeutique. Mais est-ce bien la démarche la plus pertinente pour traiter la dépression ?…
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La dépression est une pathologie qui touche de nombreuses personnes et qui se caractérise par un déséquilibre du métabolisme des neurotransmetteurs, c’est à dire des messagers chimiques qui permettent le bon fonctionnement du système nerveux.
On distingue la dépression de la déprime par le caractère durable des troubles et l’impact majeur sur le quotidien : avec notamment une perte d’appétit, un sommeil perturbé, une fatigue chronique, l’absence de plaisir et de motivation, une diminution des performances intellectuelles, une perte de libido, un sentiment d’impuissance, voire des idées suicidaires…
Dans cet articles, je voudrais partager quelques réflexions sur la façon dont la dépression est abordée au sein des pratiques naturopathiques. Si je concentre mon propos sur ce sujet, c’est parce que c’est la dépression que je connais le mieux, mais beaucoup des constats que je vais faire valent aussi pour d’autre troubles psy/neuro, comme par exemple les troubles du spectre autistique, la schizophrénie ou les troubles bipolaires, qui sont appréhendés de manière quasi-équivalente dans la démarche naturopathique.
Plusieurs aspects me semblent très problématiques. A commencer par la tendance, que l’on observe d’ailleurs dans la société en général, de refuser d’admettre le diagnostic de la dépression. Dans le milieu des thérapies dites alternatives, on ne dira généralement pas qu’une personne est dépressive, mais qu’elle n’est pas connectée à ses valeurs ou pas alignée ou ancrée convenablement. Pourtant, refuser de se considérer atteint-e de dépression n’est pas plus constructif que de refuser d’admettre que l’on est atteint-e d’un cancer, d’une mycose, de calculs rénaux ou de n’importe quelle autre pathologie. C’est un état de fait : même si on refuse de l’admettre, même si on rejette cette étiquette, quand on souffre de dépression… on souffre de dépression ! Le nier n’aide pas à sortir de cette condition. Au contraire, nier la réalité physiologique et pathologique de cette condition éloigne des leviers efficaces pour agir sur les causes du problème.
Dans la lignée de ce refus de considérer la dépression comme une pathologie à part entière, on observe souvent un rejet des traitements antidépresseurs ou anti-psychotiques en général.
Si peu de personnes nient l’intérêt de l’insuline pour une personne diabétique insulino-dépendante, des bronchodilatateurs pour une personne asthmatique ou des hormones thyroïdiennes pour une personne atteinte d’hypothyroïdie, il existe à l’inverse une sorte de tabou autour des traitements antidépresseurs, qui sont diabolisés. J’ai d’ailleurs eu en consultation, lorsque j’étais naturopathe, de nombreuses personnes qui souhaitaient des alternatives « naturelles » pour ne pas commencer ou pour arrêter un traitement antidépresseur.
Mais si l’on attend pas d’une personne diabétique qu’elle augmente sa production d’insuline par la seule force de la volonté, pourquoi devrait-on s’attendre à ce qu’une personne dépressive corrige par la force de la pensée un déficit en neurotransmetteurs ? Ce n’est pas parce que cela se passe dans la tête que l’on a le pouvoir de changer les choses juste en le voulant. Un anévrisme cérébral par exemple, c’est aussi dans la tête : il ne viendrait pourtant à personne l’idée d’affirmer qu’il peut être comblé par la seule volonté, sans chirurgie.
Le rejet des traitements antidépresseurs, s’il est courant d’une manière générale, est très largement encouragé par la vision de la santé développée par les naturopathes. En effet, la naturopathie et bon nombre de thérapies dites alternatives partent du principe que toutes les maladies résultent de comportements contraires aux lois de la nature, autrement nommées lois divines. Ainsi, pour traiter une dépression, la solution serait de rentrer dans le droit chemin des prescriptions de ces lois. C’est à dire en ayant une alimentation idéalement saine, une activité physique régulière et une morale irréprochable. Tout en travaillant à nourrir des pensées positives et en ayant une vision du monde naïvement positive.
Certaines personnes vont même jusqu’à développer des théories farfelues en affirmant que la dépression résulterait d’un défaut de pression sanguine dans la boite crânienne et qu’elle se soignerait, entre autre, en s’installant sur une planche la tête en bas… Oui, Thierry Casanovas est un homme qui ne cessera de nous surprendre… Sur ce point encore, il étale l’ampleur de sa méconnaissance de l’anatomie et de la physiologie humaines et brille par son aptitude à la fabulation.
Bon, je en sais pas si vous avez déjà connu un épisode dépressif majeur, mais si ce n’est pas le cas, demandez à des personnes concernées : elles vous diront que lorsque l’on traverse une période de dépression, on a rarement les ressources pour s’imposer des restrictions alimentaires en vue d’une alimentation parfaitement saine, on manque d’énergie et de motivation pour avoir une activité physique adaptée et on est dans l’incapacité la plus totale de se contraindre à nourrir des pensées positives. Ces efforts sont physiologiquement inaccessibles.
Pour ce qui concerne les effets de l’alimentation sur les états dépressifs, je vous renvoie d’ailleurs à la vidéo réalisée par Thibault Fiolet, qui a parcouru les études menées à ce sujet et propose une synthèse nuancée. Car la réalité est en effet plus nuancée que les évidences avancées par les naturopathes et hygiénistes en la matière.
Et c’est bien là le problème : la naturopathie et les thérapies dites alternatives développent une vision simpliste et irrationnelle de la dépression. Lorsque le diagnostic n’est pas nié, la complexité et les causes multifactorielles de la dépression sont souvent réduites à des considérations d’alimentation et d’hygiène de vie. Pour guérir, il s’agirait de drainer le foie, détoxifier je-ne-sais-quoi, éliminer le gluten, jeûner, faire des purges et recourir à d’autres méthodes sans intérêt en cas de dépression.
Dans le meilleur des cas, des naturopathes proposent des compléments à base de plantes aux vertus antidépressives, comme le millepertuis ou le safran. Ces deux plantes ont en effet démontré des effets tout à fait intéressants pour le traitement de la dépression légère ou modérée. Encore faut-il les proposer à des dosages en principe actif suffisants et constants, sous forme d’extraits titrés par exemple. Ce que peu de naturopathes font dans la pratique…
[ Précisons au passage que la plupart des personnes qui recommandent des compléments de millepertuis ignorent que cette plante présent de très nombreuses interactions médicamenteuses. Notamment (et ce n’est pas exhaustif) avec les contraceptifs oraux, les traitements antiviraux, les anticoagulants, et les antidépresseurs dits « sélectifs » de la sérotonine. Consommer du millepertuis expose donc à des conséquences parfois graves, comme des grossesses non désirées, des hémorragies ou un rejet de greffe. Rien que ça… A noter aussi que le millepertuis est photosensibilisant et qu’il faudrait donc ne pas s’exposer au soleil lorsque l’on en consomme. Il est également à éviter chez les personnes présentant des troubles bipolaires, car le millepertuis peut occasionner des crises maniaques. Toutes ces données me laissent penser que le millepertuis ne devrait pas être recommandé à la légère, et en tout état de cause, jamais sans un avis médical préalable. Voilà pour la parenthèse sur le millepertuis… ]
Pour « traiter » la dépression, les naturopathes recommandent aussi très souvent des compléments de tryptophane, un acide aminé précurseur de sérotonine. Sauf que, si le tryptophane semble avoir un effet supérieur au placebo pour le traitement de la dépression, son efficacité reste si faible qu’il est de très loin préférable de choisir un traitement antidépresseur efficace et dont les effets sont bien étudiés.
Mais on ne doit pas le nier non plus : certains médicaments antidépresseurs actuellement sur le marché sont problématiques. Leur efficacité est minime en comparaison avec les effets secondaires majeurs qu’ils font encourir. C’est notamment le cas de 8 traitements pointés du doigt par la revue « Prescrire » dans son rapport 2021 sur les médicaments à éviter.
Mais tous les antidépresseurs ne sont pas à mettre dans le même panier : il existe des traitements efficaces, dont les bénéfices sont très supérieurs aux éventuels rares effets secondaires. Pour en bénéficier, il est nécessaire de solliciter l’accompagnement d’un médecin, pour trouver le principe actif, le dosage et la durée du traitement la plus adapté à chaque situation.
Si la dépression n’est pas une fatalité, elle n’est pas non plus à prendre à la légère : elle nécessite un accompagnement sérieux. Se reposer sur la naturopathie ou autres thérapies alternatives en cas de dépression présente de réels risques. Notamment en raison de possibles envies suicidaires, l’absence de traitement ou un traitement inadapté pouvant favoriser le passage à l’acte. Un autre risque majeur, c’est d’accroître le risque déjà élevé de chronicité et de récidive en choisissant de ne pas être traité-e ou en se reposant sur des « traitements » illusoires. Et soigner une dépression chronique, ce n’est pas aussi simple que de traiter un premier épisode dépressif majeur… D’où l’intérêt de ne pas perdre de temps en consultant naturopathes et autres thérapeutes dits « alternatifs » en cas de dépression avérée.
Si les enjeux et problématiques sont différent-e-s pour les autres troubles psy/neuro, l’approche naturopathique reste similaire : il serait possible de « soigner » l’autisme, la schizophrénie et les troubles bipolaires à grand renfort d’alimentation vivante, de purges et de jeûnes… (Spoiler : ça ne fonctionne pas).
En raison des risques majeurs évoqués plus tôt et de l’absence de réponse efficace par les disciplines naturopathiques et autres pratiques « naturelles », il est préférable de confier sa santé mentale et psychologique à des professionnel-le-s de santé. Diverses thérapies peuvent en effet efficacement accompagner un éventuel traitement médicamenteux contre la dépression et d’autres troubles psy, et il serait dommage de ne pas en bénéficier…
RESSOURCES POUR ALLER PLUS LOIN :
« Et si on prenait soin de notre santé mentale » par Dans Ton Corps : https://m.youtube.com/watch?v=wcfY44oh70Q
« 6 bullshits sur la dépression » par Le PsyLab : https://m.youtube.com/watch?v=KMNXqj3QmxU
La dépression – Psykocouac :
« Alimentation, anxiété et dépression : existe-t-il un régime « anti-déprime » ? » par Thibault Fiolet : https://www.youtube.com/watch?v=dlqD1Bf_pHE
Sur les effets antidépresseurs du safran, du millepertuis et du tryptophane :
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28064110/
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31135916/
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/11869656/
Sur les interactions médicamenteuses et contre-indications du millepertuis : https://www.vidal.fr/parapharmacie/phytotherapie-plantes/millepertuis-hypericum-perforatum.html
Revue Prescrire, décembre 2020, tome 40 n° 446, page 929-1 « Pour mieux soigner, des médicaments à écarter, bilan 2021 » : https://www.prescrire.org/Fr/15F000963A5247A9E454BF5B3AAD0DB2/Download.aspx
L’extracteur – « Thierry Casasnovas soigne la dépression et la schizophrénie ? [Regenere] »