Je vous ai parlé il y a quelques mois d’une étude intéressante menée en France au sujet du suivi médical des enfants végétariens et végétaliens (ici), ainsi que d’une étude menée en République Tchèque sur la prise en charge médicale des personnes végétaliennes adultes (ici). Il en ressortait tristement que la méconnaissance des professionnel.les de santé au sujet des alimentations végétales avait une influence négative sur la prise en charge des personnes concernées. Avec des conséquences possiblement très graves, puisque certaines personnes concernées ont mentionné la fâcheuse tendance des médecins à considérer tous leurs problèmes de santé comme conséquence de leur régime alimentaire (avec un risque évident de passer à côté du bon diagnostic donc un retard de prise en charge), mais aussi la tendance à cacher des informations à son médecin de peur de devoir affronter des réactions hostiles, voire même un refus de prise en charge… Bref, ce qui se passe actuellement, ça ne va pas du tout. On avait d’ailleurs évoqué diverses pistes mises en avant par les auteurices de ces études pour améliorer la situation.
Et c’est justement d’une de ces pistes que je voulais vous parler aujourd’hui ! Car des chercheurs et médecins français ont mené une expérimentation pour évaluer quel impact cela aurait d’informer les médecins au sujet de ces régimes alimentaires. Dans leur étude publiée tout récemment, ils expliquent comment ils ont évalué l’impact que cela peut avoir sur la prise en charge de leur patientèle végétarienne et végétalienne. Je vous propose donc un petit résumé de cette publication, dont je mets bien évidemment les références en note de bas de page pour que vous puissiez aller la lire si cela vous intéresse !
Les auteurs commencent par rappeler que, lorsque l’on cherche à végétaliser son alimentation, il est courant de s’interroger sur les effets que cela peut avoir sur notre santé. De ce fait, l’avis des médecins à ce sujet joue un rôle important dans l’adoption de régimes plus végétaux… sauf que, les médecins sont globalement peu formé.es à la nutrition et certain.es ignorent les travaux récents qui concluent aux bénéfices sur la santé des régimes végétalisés. Certain.es encouragent même la consommation de viande et d’autres produits d’origine animale auprès de leurs patient.es végé ou bien formulent auprès d’elleux des recommandations inadéquates du point de vue de l’équilibre nutritionnel.
Les auteurs rappellent également qu’en France, une personne sur quatre parmi celles qui ont adopté une alimentation végétarienne ou végétalienne n’informe pas son médecin de ce choix, et une sur trois envisage de changer de médecin en raison de ses jugements négatifs. Le fait que des médecins fassent barrière à ces choix alimentaires conduit à altérer la relation patient-médecin et peut amener les patient.es concerné.es à taire certains de leurs comportements ou de leurs symptômes, à alimenter une forme de défiance vis à vis des professionnel.les de santé, à se tourner vers des médecines dites alternatives, ou à recourir à internet pour obtenir des informations médicales.
Les auteurs sont partis du constat que les campagnes d’informations permettent généralement de mettre à jour les connaissances des professionnel.les de santé et d’améliorer leurs pratiques. Mais ils émettent certaines craintes au sujet d’une campagne d’information relatives aux risques et bénéfices des alimentations végétales. Ils interrogent la pertinence d’une telle campagne, notamment en raison de la tendance que les gens ont à rejeter des informations qui viennent contredirent leurs croyances et remettre en question leurs propres choix alimentaires. Mais aussi du fait que la plupart des médecins manquent de temps pour s’intéresser aux nouvelles publications scientifiques et certains préfèrent donc se reposer sur les recommandations institutionnelles (celles de l’ANSES en France, mais nous n’en avons pas encore de spécifiques aux personnes végétariennes et végétaliennes), perçues comme plus robustes que celles des campagnes d’informations. Sauf que… ces recommandations varient grandement d’un pays à l’autre du fait qu’elles résultent d’un compromis entre des considérations scientifiques et politiques, et elles sont établies pour plusieurs années, ce qui empêche de prendre en compte les données les plus récentes. Les auteurs de l’étude s’attendent donc à ce qu’une campagne d’information auprès des médecins au sujet des régimes végétarien et végétalien puise n’avoir qu’un impact limité.
Pour étudier cela, les auteurs ont donc mis sur pied une expérimentation auprès d’un échantillon représentatif de 400 médecins français. L’idée c’était de soumettre la moitié d’entre elleux à une campagne d’information composée de deux supports :
- d’une part la plateforme en ligne Vegeclic, développée par des médecins français sur la base des données scientifiques les plus récentes, qui contient des recommandations pour les patient.es végétarien.nes et végétalien.nes concernant l’équilibre nutritionnel, les compléments alimentaires et les bilans biologiques. Le site propose des recommandations spécifiques aux nourrissons, enfants, personnes enceintes et allaitantes, ainsi que pour les personnes âgées.
- et d’autre part, un livret de cinq pages qui contient les informations les plus pertinentes de Vegeclic, notamment sur les risques et bénéfices des régimes végétarien et végétalien.
Il s’agissait ensuite d’observer si l’accès à ces ressources modifiait les attitudes et les recommandations formulées par les médecins auprès de leur patientèle, en comparant les informations collectées auprès des 200 médecins destinataires de la campagne avec celles obtenues auprès des 200 autres médecins du groupe témoin (qui n’avaient donc pas reçu ces ressources).
Je vous laisse aller lire directement l’étude si les détails du protocole expérimental vous intéressent, notamment les indicateurs développés pour cette étude et les détails du questionnaire. Personnellement je trouve ça passionnant, mais dans cet article je vais surtout vous parler des résultats.
Alors, qu’est ce qui ressort de l’analyse des données collectées ?
Hé bien pour commencer, les médecins français surestiment leurs connaissances en nutrition, y compris au sujet des alimentations végétales, pour lesquelles iels ont globalement des avis négatifs. Bien que la littérature scientifique récente suggère une réduction de la mortalité associée à ces régimes végétalisés, peu de médecins pensent qu’ils peuvent être bénéfiques en termes de santé. Des oppositions fortes au végétalisme persistent dans leurs rangs, notamment en raison de craintes infondées de carences. A noter cependant : les médecins les plus jeunes sont globalement plus favorables aux alimentations végétales.
En parallèle de ce constat, les médecins interrogé.es semblent majoritairement conscient.es du fait que leurs opinions au sujet de ces régimes végétalisés peuvent avoir des conséquences négatives sur leur patientèle, notamment sur le risque de se détourner de la médecine et de taire ses symptômes auprès des médecins.
Pour ce qui concerne la campagne d’information mise en œuvre dans le cadre de cette étude, les résultats sont mitigés. D’un côté, elle a permis d’améliorer les conseils prodigués par les médecins à leur patientèle concernée et de diminuer la réticence des médecins vis à vis des régimes végétarien et végétalien. Globalement, les réactions positives sont augmentées et les réactions négatives sont minorées. C’est à dire que les médecins qui ont consulté les informations transmises vont moins essayer de décourager le choix d’un régime végétalisé et moins affirmer que c’est un mauvais choix de santé. Iels vont plus souvent indiquer que ces régimes peuvent être bénéfiques pour la santé et qu’il n’y a pas de problème si l’alimentation est équilibrée et le ou la patiente complémenté.e correctement. En fait, la lecture d’informations fiables à ce sujet a rassuré les médecins à propos du risque de carences et des conséquences sur la santé à long-terme. Ce qui, d’après les auteurs, suggère que l’opposition actuellement rencontrée à l’égard des régimes végétalisés résulterait d’un manque d’information plutôt que d’un fort biais à l’encontre de ces alimentations.
Mais d’un autre côté, pour ce qui concerne la pratique médicale, notamment les bilans biologiques prescrits, la campagne d’information n’a montré que peu d’effets : si elle a permis quelques petits changements, elle a échoué à améliorer franchement la pratique médicale sur ce point. Après analyse du détail des résultats à ce sujet, les auteurs en concluent que l’amélioration de la pratique médicale auprès d’une patientèle végétarienne ou végétalienne nécessite une formation plus élaborée qu’un simple livret et met en lumière la nécessité d’intégrer des enseignements spécifiques dans les cursus universitaires.
De manière générale, ce sont les médecins qui ont passé le plus de temps à lire les informations de la campagne chez qui ont a observé les effets les plus importants. Mais le protocole de l’expérimentation ne permet pas de savoir si cela tient au fait que les médecins qui ont passé le moins de temps à lire ces informations ont appris moins de choses… ou si cela tient au fait que les médecins les plus opposé.es aux alimentations végétales ont passé moins de temps à lire les informations. Les auteurs ajoutent d’ailleurs que le succès d’une telle campagne d’information tient à la confiance accordée à l’organisme qui en produit le contenu. En l’occurrence, le livret de l’expérimentation portait le logo du CNRS, qui jouit d’une réputation prestigieuse. Mais les effets d’une campagne similaire pourraient être moindres si elle émanait d’une organisation qui inspire moins confiance.
Tout en rappelant les implications positives du choix d’une alimentation plus végétale en termes de santé et surtout d’impact environnemental, les auteurs précisent « Le succès à long-terme de la transition vers des alimentations plus végétales dépend fortement de la capacité à surveiller correctement la santé des patient.es souhaitant opérer cette transition ». Ils concluent : « Notre étude suggère que les campagnes d’information peuvent être un moyen efficace mais pas suffisant pour favoriser l’adoption d’un système alimentaire plus durable.»
Je vous laisse aller lire l’étude pour tous les détails que je n’ai pas mentionnés ici… mais avant cela, en guise de conclusion, demandons nous ce que l’on peut faire à notre échelle pour contribuer à améliorer la situation ! La publication par l’ANSES de recommandations spécifiques aux personnes végétariennes et végétaliennes tarde… mais nous pouvons dès maintenant largement faire connaître la plateforme Vegeclic en en parlant à nos médecins et aux autres professionnel.les de santé (les diététicien.nes notamment!). Parce que le site Vegeclic qui a servi de support pour cette étude est accessible gratuitement à tout le monde et, grâce à son arbre décisionnel et ses fiches thématiques synthétiques, il permet une prise en charge facilitée !
Et faute de formation initiale satisfaisante, il me semble important de valoriser également les deux seules formations science-based qui existent en France, et qui sont parfaites pour former les médecins et collègues diététicien.nes qui souhaiteraient améliorer la prise en charge de leur patientèle végétarienne et végétalienne :
- une formation assez courte mais très complète dans le même temps, proposée par le CFDC (centre de formation diététique et comportement) et coordonnée par Virginie Bach et Florian Saffer,
- et une autre, plus conséquente, proposée dans le cadre du DU (diplôme universitaire) intitulé « Alimentations végétariennes » de Sorbonne Université.
Si ça vous intéresse d’en savoir plus, vous trouverez ici et ici les articles que j’ai rédigés pour chacune d’entre elles après les avoir suivies.
Et avant de vous quitter, je formule un grand merci du fond du cœur pour les auteurs de cette étude que l’on vient de passer en revue, ainsi que pour toutes les personnes impliquées dans la création de Vegeclic et des deux formations que je viens de mentionner. Vraiment, leurs apports sont considérables pour la promotion des alimentations végétales !
L’étude résumée ici est la suivante : Romain Espinosa, Thibaut Arpinon, Paco Maginot, Sébastien Demange, Florimond Peureux, Removing barriers to plant-based diets: Assisting doctors with vegan patients, Journal of Behavioral and Experimental Economics, Volume 109, 2024, 102175, ISSN 2214-8043, https://doi.org/10.1016/j.socec.2024.102175.