Les chercheuses autrices d’une étude récente sont parties du constat que de plus en plus de gens adoptent des alimentations qui incluent peu ou pas de produits d’origine animale : des personnes flexitariennes, végétariennes ou végétaliennes. Et ces régimes végétalisés constituent une sorte de défi pour les professionnel.les de santé. Les chercheuses ont donc souhaité mener une étude qualitative pour explorer les pratiques nutritionnelles et les expériences que les personnes végétaliennes ont dans leur parcours de soin médical. Et les conclusions sont assez inquiétantes, puisque les chercheuses indiquent qu’elles ont identifié pour ces personnes un manque en termes d’accessibilité à des contenus d’éducation nutritionnelle, mais aussi un accès potentiellement limité aux recommandations de soins de santé primaires.
On va détailler pourquoi elles en arrivent à ces conclusions, mais je dois préciser avant toute chose que c’est une étude qui a été menée en République Tchèque. Mais bon, comme vous le verrez quand on l’évoquera à la fin, ce qui ressort de l’étude n’est pas spécifique à ce pays, malheureusement…
Pour enquêter, les chercheuses ont mené des entretiens avec 21 personnes qui sont ou ont été végétaliennes ou véganes pendant plus d’un an. Forcément, avec un tel échantillon, impossible de conclure à quoi que ce soit de représentatif… Mais l’exercice reste cependant très intéressant.
Les chercheuses se sont tout d’abord intéressées aux motivations des personnes interrogées. Sans surprise, en accord avec les autres études menées sur ce point, les personnes interrogées indiquent qu’elles ont très majoritairement choisi d’être végétaliennes pour des raisons éthiques.
Pour ce qui concerne l’équilibre de leur régime, les personnes interrogées sont globalement très attentives à la qualité nutritionnelle de leur alimentation. Elles passent un temps considérable à rechercher des informations pour couvrir correctement leurs besoins nutritionnels et s’intéressent aux recommandations de compléments alimentaires dont elles pourraient avoir besoin. Et pour ce faire, elles se reposent principalement sur des sources d’information non médicales, notamment des informations qu’elles trouvent sur internet et sur les groupes véganes sur les réseaux sociaux… Certaines des personnes interrogées soulignent à juste titre que l’abondance des informations disponibles en ligne peut augmenter leur confusion puisque de nombreuses informations sont contradictoires, dépassées et/ou sans fondement scientifique.
Au sujet des compléments alimentaires, toutes les personnes interrogées semblent conscientes de l’importance de la complémentation en vitamine B12. Mais certaines confessent que, dans la pratique, elles ne pensent pas toujours à se complémenter. Les chercheuses identifient sur ce point qu’une des causes de la difficulté à mettre en place une complémentation adéquate semble être le manque d’informations fiables, concises et compréhensibles à ce sujet.
Les chercheuses ont ensuite enquêté sur le rapport des personnes interrogées à la médecine et leurs expériences avec les professionnel.les de santé. Ce qu’il en ressort globalement, c’est que, puisque le végétalisme est peu connu et accepté par les professionnel.les de santé, les personnes interrogées évitent de prendre l’avis des médecins ou de leur parler de leurs choix alimentaires, pour ne pas prendre le risque de vivre des expériences négatives, voire conflictuelles.
Pour détailler un peu la chose, les chercheuses ont identifié trois principales réactions vis à vis des professionnel.les de santé. La réaction la plus commune parmi les personnes interrogées, c’est de ne pas évoquer leur végétalisme : ces personnes consultent leurs médecins autant que nécessaire, mais sans leur parler de leur alimentation, car elles ne se sentent pas confortables à l’idée de partager ces informations. Elles ont peur que cela soit mal reçu.
Une autre réaction observée, moins commune, c’est une réaction d’évitement : à moins d’une urgence, les personnes interrogées concernées évitent de solliciter un médecin. Elles sont sceptiques vis à vis de la médecine et ont plutôt tendance à s’orienter vers des pseudo-médecines.
La troisième réaction observée chez les personnes interrogées, c’est de faire preuve d’une totale transparence vis à vis de leurs choix alimentaires quand elles consultent leurs médecins : les personnes interrogées qui choisissent cette transparence sont habituées à la critique et ne sont pas découragées par les réactions négatives.
D’ailleurs, à ce sujet, quelles que soient les stratégies adoptées par les personnes interrogées vis à vis des professionnel.les de santé, la plupart rapportent avoir vécu des expériences négatives après avoir informé des professionnel.les de santé de leur végétalisme. Elles évoquent notamment les jugements négatifs des médecins, leur hostilité manifeste, mais aussi leur tendance à attribuer n’importe quel problème de santé au végétalisme, sans même les examiner.
En conséquence, les personnes interrogées indiquent avoir globalement le sentiment de ne pas recevoir des soins de santé adéquats à cause des idées reçues que les médecins ont au sujet du végétalisme et de leur tendance à pathologiser le choix de cette alimentation.
Bref, ça en dit long sur l’ampleur de la méconnaissance des professionnel.les de santé au sujet des alimentations végétales… et de l’influence négative que ça a sur la prise en charge des personnes concernées.
Mais la plupart des personnes interrogées restent très attachées à la médecine, et elles souhaiteraient que les professionnel.les de santé qui les accompagnent puissent un jour leur transmettre des informations fiables sur les risques nutritionnels et les compléments nécessaires dans le cadre d’une alimentation végétale.
Les chercheuses autrices de l’étude pointent cependant du doigt plusieurs freins (qui sont en réalité autant de pistes d’améliorations possibles), notamment :
- le fait que les professionnel.les de santé ne sont, pour la plupart, pas formé.es en nutrition et sous-estiment l’impact des recommandations diététiques,
- la réactance des professionnel.les de santé hostiles aux alimentations végétales,
- le manque de temps chez les médecins qui voudraient pourtant bien évoquer des considérations nutritionnelles en consultation,
- l’absence de politique publique encourageant l’intégration de recommandations diététiques dans le parcours de soin,
- la difficulté à faire prendre en charge par le système d’assurance santé les accompagnements diététiques.
En conclusion, les chercheuses évoquent l’importance de publier – enfin – des recommandations nutritionnelles officielles adaptées aux populations ayant une alimentation végétale, avec un accent mis sur l’importance préventive de la complémentation en vitamine B12. Et elles insistent aussi sur la nécessité de sensibiliser et former les professionnel.les de santé à interagir avec leur patientèle végétalienne de manière à leur garantir un accès optimal aux soins, sans les pousser en dehors du parcours de soin médical.
Bon, je dois avouer que les constats et conclusions de cette étude ne m’ont pas du tout surpris.e. Tout simplement parce que ça colle avec les autres études que j’ai pu lire à ce sujet. Mais aussi parce que ça colle à ce que j’observe en France depuis toutes ces années où je fréquente à titre personnel et accompagne à titre professionnel des personnes végétaliennes et véganes.
Parce que tristement, on retrouve en France exactement les mêmes problématiques liées à la méconnaissance des alimentations végétales par les professionnel.les de santé, les idées reçues qui les conduisent à émettre des jugements négatifs, à faire la leçon à leurs patient.es, voire parfois à identifier le végétarisme ou le végétalisme comme étant la cause de tous les problèmes de santé des personnes concernées… Ce qui conduit ces personnes à cacher des informations à leurs médecins, à moins suivre les prescriptions médicales, voire carrément à se détourner de la médecine.
C’est une thématique que j’avais abordée dans cet article où je partageais notamment les résultats de l’enquête de mon étude personnelle du BTS diététique, au sujet des connaissances des professionnel.les de la diététique relatives aux alimentations végétales.
Mais, ceci étant dit, les choses évoluent très positivement en France !
Déjà, nous devrions bientôt avoir les toutes premières recommandations officielles de l’ANSES pour les régimes végétarien et végétalien. Toute une équipe de professionnel.les de la nutrition travaille actuellement à produire des recommandations fiables et actualisées, basées sur la littérature scientifique la plus récente. Ça sera un grand pas en avant !
Ensuite, pour assurer la formation des professionnel.les de santé aux spécificités des alimentations végétales, on a la chance de pouvoir accéder depuis peu à deux formations qualitatives basées sur la littérature scientifique :
– une assez courte mais très complète dans le même temps, proposée par le CFDC (centre de formation diététique et comportement) et coordonnée par Virginie Bach et Florian Saffer,
– et une autre, plus conséquente, proposée dans le cadre du DU (diplôme universitaire) « Alimentations végétariennes » de Sorbonne Université.
Pour vous en parler plus en détail, je vous renvoie à mes deux articles sur ces formations (parce que je les ai suivies toutes les deux) : ici et ici.
Et pour les professionnel.les de santé qui n’ont ni le temps ni l’envie de suivre une de ces formations, on trouve aussi tout un tas d’informations fiables sur le très utile site vegeclic.com, un outil en ligne d’aide à la prise en charge nutritionnelle des patient.es ayant une alimentation végétarienne ou végétalienne. C’est accessible gratuitement et mis à jour par des professionnel.les de santé. D’ailleurs il y a aussi des onglets conçus pour être accessibles aux patient.es elleux-mêmes, notamment sur l’équilibre nutritionnel global, mais aussi sur l’alimentation végétale chez les enfants, ou bien encore sur la complémentation en vitamine B12.
Un autre site qui propose des contenus fiables, c’est celui de l’ONAV, l’observatoire national des alimentations végétales. Vous pouvez y lire des notes scientifiques actualisées sur divers compléments alimentaires, sur la qualité des protéines d’origine végétale, ou bien encore sur l’impact sur la santé de la consommation de soja.
Et pour celles et ceux qui préfèrent avoir un livre entre les mains, je me dois de mentionner les deux tomes « La meilleure façon de manger végétal » et « La science de l’alimentation végétale », co-écrits par Léa Lebrun et Fabien Badariotti, membres du conseil scientifique de l’ONAV. Je les avais d’ailleurs interviewé.es sur ma chaine à ce sujet !
Bon, bien évidemment, rien de tout cela ne remplace la consultation d’un.e diététicien.ne formé.e aux spécificités des alimentations végétales, car seul un.e professionnel.le de santé pourra formuler des recommandations adaptées à votre situation personnelle. D’ailleurs, je vous renvoie au répertoire mis en ligne par l’ONAV, où vous pourrez trouver des professionnel.les de santé qualifié.es qui exercent près de chez vous, ou qui exercent comme moi en visio. Mais si vous avez tout de même envie d’explorer les innombrables ressources disponibles sur internet, je vous renvoie vers les quelques astuces que je partage dans ces deux articles, ici et ici !
L’étude mentionnée dans cet article est la suivante :
Borisova V, Stöckelová T, Ouřadová A, Gojda J. Nutritional practices and experiences of people on vegan diet with healthcare system: a qualitative study. Cent Eur J Public Health. 2023 Sep;31(3):191-197. doi: 10.21101/cejph.a7693. PMID: 37934482.