J’évoquais dans un article publié l’an dernier diverses réflexions pour proposer une prise en charge différente de nos patient.es en surpoids. Parmi les points abordés, je mentionnais la problématique des régimes amincissants, encore trop souvent proposés en première intention lorsque nos patient.es sollicitent un accompagnement pour perdre du poids.
Alors certes, ça fait perdre du poids. Parfois de manière rapide, voire même spectaculaire. Mais… pas que. Dans son rapport d’évaluation des risques liés aux pratiques alimentaires d’amaigrissement, l’ANSES a passé en revue différents régimes amincissants1 pour en évaluer les effets. Le premier apport de ce travail, ça a été de mettre en lumière l’importance d’un suivi adapté lorsque l’on s’engage dans un régime amincissant, avec un.e ou des professionnel.les de santé. Mais au-delà de ce constat, les conclusions montrent que les régimes restrictifs étudiés ne permettent visiblement pas d’atteindre sur le long terme les objectifs auxquels ils sont censés répondre (la perte de poids), et exposent en plus de cela à des risques non négligeables :
« Ce travail a permis de mettre en évidence, sur la base de la littérature scientifique, des risques cliniques, biologiques, comportementaux, ou psychologiques liés à la pratique des régimes amaigrissants. La caractérisation de plusieurs exemples de régimes amaigrissants révèle qu’ils peuvent induire des déséquilibres nutritionnels et des inadéquations d’apports (insuffisance et excès), notamment en vitamines et en minéraux. […] De plus, l’analyse bibliographique souligne que la pratique de ces régimes peut avoir pour conséquences des perturbations somatiques, d’ordre osseux et musculaires notamment, ainsi que des perturbations psychologiques (notamment troubles du comportement alimentaire), ou encore des modifications profondes du métabolisme énergétique et de la régulation physiologique du comportement alimentaire. Ces dernières modifications sont souvent à l’origine du cercle vicieux d’une reprise de poids, éventuellement plus sévère, à plus ou moins long terme. »
Concernant la reprise de poids, on entend parfois dire que 95 % des personnes qui ont fait un régime amincissant ont repris le poids perdu après cinq ans. Difficile de trouver la source de cette affirmation, cependant il semble raisonnable d’affirmer au regard des étude menées à ce sujet que la plupart des gens reprennent le poids perdu au cours d’un régime dans les années qui suivent.2
En plus des perturbations métaboliques évoquées dans le rapport de l’ANSES cité précédemment, cela peut aussi s’expliquer en raison du fait que les régimes amincissants ne répondent pas vraiment aux causes du surpoids, qui sont variables d’une personne à l’autre (si globalement tout le monde s’accorde à dire que, dans l’immense majorité des cas, le surpoids résulte d’un déséquilibre entre les apports caloriques et les dépenses énergétiques, ce déséquilibre ne résulte pas nécessairement des mêmes comportements). De plus, les régimes amincissants sont perçus comme temporaires car particulièrement contraignants et restrictifs, donc complexes à tenir sur la durée (et il n’est de toute façon pas souhaitable de les conduire sur la durée, notamment en raison du risque de déséquilibre nutritionnel et de l’impact psychologique). De ce fait, l’arrêt du régime marque quasi-nécessairement la reprise de certaines habitudes et comportements favorables à la prise de poids.
Bref, je pourrais moi aussi développer mon activité en revendiquant des pertes de poids exceptionnelles et rapides chez mes patient.es en les orientant vers des régimes hyper-restrictifs. Mais pour toutes les raisons qui précèdent, j’ai fait le choix de proposer une prise en charge différente, pour mettre en place progressivement des changements bénéfiques et durables (dans la ligne directrice des recommandations formulées par la Haute Autorité de Santé d’ailleurs). A savoir une prise en charge :
- Individualisée, où les recommandations sont adaptées au mode de vie de mes patient.es, à leur état de santé (physique et mentale), à leurs contraintes (financières, familiales, professionnelles…), à leur histoire personnelle, à leur rapport à la nourriture et à leur corps, à leur culture, à leur éthique, à leurs habitudes…
- Axée sur le comportement alimentaire, à travers une reconnexion aux sensations alimentaires (les signaux de faim, de rassasiement et de satiété) et au plaisir gustatif, pour une régulation différente (mais surtout plus fiable et sans effet secondaire) de celle induite par le contrôle des calories ou des grammes ingérés.
- Axée sur une alimentation équilibrée, adaptée aux besoins et à l’état de santé de mes patient.es, sans aliment interdit : nous travaillons notamment sur les proportions dans l’assiette et les aliments à favoriser pour être en bonne santé, les repères principaux d’une alimentation équilibrée.
- Sans culpabilisation ! Si en tant que professionnel.le de santé je me dois de transmettre une information claire et fiable sur les risques encourus en raison de certains comportements alimentaires (avec pour objectif de contribuer à réduire ces risques), je n’ai pas à exercer la moindre pression sur mes patient.es, à les juger, à les effrayer ou à prendre des décisions à leur place. Je suis en effet très attaché.e à l’autonomie de mes patient.es (notamment leur autonomie corporelle, concept pour lequel je renvoie régulièrement vers ce contenu pour en comprendre toutes les nuances).
- Sans objectifs déraisonnables : pour certaines personnes en situation d’obésité, l’objectif le plus raisonnable sera de stabiliser le poids et de mettre en place des habitudes destinées à minimiser les risques de complications (à travers l’activité physique et une alimentation plus équilibrée notamment). Pour d’autres personnes, il peut être raisonnable de viser une certaine perte de poids et de travailler à maintenir ensuite ce poids dans le temps. Tout cela est à déterminer selon le profil de chaque personne.
Une telle approche ne permet pas d’obtenir une perte de poids importante et rapide. Elle occasionne même parfois une prise de poids au début de la prise en charge, car on apprend à lâcher des interdits, mais on ne sait pas encore comment bien contrôler ses apports sans les restrictions des habituels régimes amincissants (pesée des aliments, comptage des calories). Mais elle permet d’accompagner mes patient.es en douceur et durablement vers leur poids d’équilibre, d’apaiser leur rapport à la nourriture et d’amener de la souplesse dans certaines croyances dysfonctionnelles héritées de l’enfance ou de la société dans laquelle nous vivons.
J’ai bien évidemment conscience que la prise en charge que je propose ne convient pas à tout le monde. Et je le respecte. Je m’efforce donc de faire preuve de transparence sur les modalités de l’accompagnement que je propose et ce que l’on peut en attendre, de manière à ce que chacun.e puisse choisir, de manière libre et éclairée, de solliciter cet accompagnement… ou pas ! 😉
1 Régime du Dr Atkins, régime californien du Dr Guttersen, régime « citron détox », régime chrononutrition du Dr Delabos, régime du Dr Cohen, régime du Dr Dukan, régime du Dr Fricker, régime Mayo, régime Miami du Dr Agatston, régime Montignac, régime du Dr Ornish, régime Scarsdale du Dr Tarnower, régime de la soupe au chou, régime Weight Watchers et régime Zone de M. Sears. Donc en gros : restriction calorique, restriction glucidique, restriction lipidique, régimes hyperprotéinés, jeûne, monodiète, dissociation de certains groupes alimentaires, régime basé sur l’heure à laquelle consommer tel ou tel aliment, éviction totale de certains aliments, régime variable selon le sexe…
2 Bernard Lavallée, Pourquoi je ne dirai plus que « 95 % des gens qui font une diète reprennent leur poids après cinq ans », 5 janvier 2022 https://nutritionnisteurbain.ca/actualite/pourquoi-je-ne-dirai-plus-que-95-des-gens-qui-font-une-diete-reprennent-leur-poids-apres-cinq-ans/
A ce sujet, lire également « L’illusion perdue des régimes amaigrissants » par Irène Margaritis, ANSES : https://www.anses.fr/fr/content/lillusion-perdue-des-r%C3%A9gimes-amaigrissants